Informations sur l’accessibilité du site

Joseph Midaloff

Chambre 6

Pitchounette

Salut ma Douce,

J’ai reçu ton SMS. Flûte alors, j’étais si content de te retrouver ce soir ! C’est de ma faute, entre cette histoire de nuitée et de jour de départ je me suis emmêlé les pinceaux. Profite bien de Delft, j’en ai de super souvenirs, on se retrouvera demain. Comme je ne peux pas attendre d’être à demain pour te donner les nouvelles, j’allume encore l’ordi pour ce mail. C’est qu’il s’en est passé des choses depuis la partie de pétanque…

Jusqu’à hier matin, tout allait bien, comme je te l’ai raconté samedi soir. L’apéro était très sympa, avec tous les joueurs et notre public, sauf Adèle évidemment que sa mère avait récupérée. Javot sait recevoir, même quand c’est pas chez lui, le whisky qu’il avait apporté je te dis que ça. Natou était allée faire du charme aux cuisines et nous avait rapporté les planches fromages et charcuterie qu’on peut avoir ici mais en version améliorée. Le Floch est épais comme un sandwich SNCF mais ce qu’il arrive à engouffrer mérite le respect. Ensuite, j’ai dîné avec les Biraben. C’est dommage ils vont repartir juste avant qu’on revienne, je suis sûr que tu t’entendrais bien avec eux, surtout Faustine.

Je te raconterai mieux tout ça quand je te verrai. Ce que je voulais te dire c’est que je suis bien emmerdé pour la petite Natou. C’est pas que j’aurais aimé rester plus longtemps parce que j’ai trop hâte de te retrouver mais ça m’embête de la laisser toute seule. Son Toni l’a plaquée pour de bon. Déjà ça faisait plusieurs jours qu’il était parti mais il l’a déjà fait plusieurs fois et il devait revenir. Samedi il est bien revenu, mais en douce. Il a aligné le fric à la tôlière pour jusqu’à la fin du séjour qu’il avait réservé et adieu ginette.

Natou l’a découvert hier matin quand elle s’est levée. C’est à ce moment qu’elle regarde son site tous les jours pour voir si des amis lui ont laissé des messages et donner de ses nouvelles.

Moi évidemment je savais rien de tout ça, je prenais mon premier caoua tranquille basile dans ma chambre comme d’habitude.

Tout à coup j’ai entendu des cris horribles, c’était la voix de Natou et j’ai cru qu’il lui foutait sur la gueule. Mon sang n’a fait qu’un tour, j’ai pas demandé l’heure qu’il était j’ai foncé. Comme la porte était verrouillée j’ai donné le petit coup d’épaule qui va bien pour l’enfoncer fissa. Au passage, elles sont du genre solide les portes, va falloir y aller sur l’arnica. Là je trouve ma Natou toute seule, qui vient de lire le mot du salopard et de comprendre.

Une fois rassuré qu’elle n’a pas morflé et que l’autre taré n’est pas dans les parages, je passe en mode Papajoff et je la prends dans mes bras pour la serrer très fort contre moi. Elle pleure comme une mominette à gros hoquets et des gémissements à fendre le cœur.

Je la berce et je lui dis des conneries comme quoi ça va passer, que tout va aller bien, que je suis là. Je l’appelle Pitchounette parce que Marcel qui venait de Cassis appelait toujours sa fille comme ça au camping, des fois qu’elle ait besoin d’entendre des mots de son coin. Elle m’entend pas vraiment, je le sais bien, mais on s’en fout. Elle me montre son écran d’ordinateur et je lis le message de l’autre empaffé. Tiens tu peux même aller lire vu qu’il a tellement le style qu’il a fait sa lettre de rupture en public. Parfois quand les gens ont des gueules de connards c’est parce qu’ils sont vraiment des connards.

Là-dessus, Javot et sa minette June arrivent à fond de train, une dame sort de sa chambre juste à côté, hésite à venir puis finalement y retourne, d’autres sont dans le couloir à essayer de comprendre tout ce ramdam. J’explique un peu à Javot et June, qui repère l’écran allumé, va lire et se met à jurer des trucs que même moi je veux pas répéter.

Je ne sais pas ce qui s’est passé ensuite mais d’une façon ou d’une autre la June nous a sortis moi et son mec pour être seule avec Natou. Sûrement pour avoir une de ces discussions entre filles que vous adorez. Moi j’aurais bien plutôt demandé l’adresse du gars et prévu quelques battes de base-ball pour une sortie entre amis mais bon. On a attendu en chuchotant comme dans un couloir d’hosto assis par terre avec Javot, jusqu’à ce que June ressorte et nous rassure un peu.

Je suis descendu au petit déj et après j’ai un peu tourné-viré dans ma chambre en laissant la porte entrouverte au cas où la môme sortirait de sa thurne mais elle y est restée toute la journée. Comme sa porte fermait mal je l’entendais renifler, puis plus rien parce qu’elle s’était endormie, puis après elle s’est énervée au téléphone avec des gens de sa famille. Ça n’a pas l’air de lui avoir fait du bien, sauf si on pense qu’être en colère c’est mieux qu’être triste.

À l’heure du dîner je suis allé la chercher. J’allais pas la laisser ronger ses nerfs sans rien dans le ventre, pas question. On est descendus au resto et on s’est installés tous les deux à une table tranquille. Les autres clients faisaient mine que rien histoire de la laisser respirer. Enfin c’est ce que je me suis dit.

Le menu a changé depuis deux jours. J’ai pensé que ça tombait bien de pas avoir les mêmes plats que ceux qu’elle avait partagés avec l’enclume. On n’a pas trop parlé de son chagrin, je suis pas trop doué pour ça, pas comme toi, puis je crois qu’elle aurait pas eu envie, elle avait plutôt l’air d’avoir envie de taper dans un puching-ball. Dommage que la fille au tambour ne soit plus là, une autre cliente disait l’autre jour que ça lui avait fait du bien. J’ai essayé de lui remonter le moral.

« Tu te souviens de ce que tu me disais à vélo, Natou ? Tu gueulais “Je suis une aventurière”. Ben voilà, c’est ce que t’es. Je suis sûr que quand tu auras un peu digéré ce méchant coup, tu partiras pour de nouvelles aventures encore plus formidables. T’as connu le fond et t’es remontée, c’est pas ce minus qui va te coucher sur le ring. Je pars demain matin mais on continuera à se donner des nouvelles et on se parlera au téléphone si tu as besoin. »

Je lui ai donné mon numéro de portable et aussi le tien parce qu’on sait jamais. Elle l’a mis dans sa poche et elle m’a écrit l’adresse de son site pour que je sache ce qu’elle devient parce qu’elle y raconte tout elle m’a dit. Elle m’a promis que pour les gros changements elle me le dirait aussi par SMS, surtout au cas où elle raconte des craques sur son site pour faire chier l’abruti.

D’avoir tant chialé et s’être énervée toute la journée, ça l’avait bien crevée quand même alors à la fin du repas, je lui ai dit :

« Au lit, Ouistiti, tu vas te couler sous les draps et faire une bonne nuit qui répare tout et on se fera des bises demain matin avant que je parte. »

Je l’ai raccompagnée à sa chambre et comme ça me travaillait un peu tout ça je suis redescendu pour chercher Javot et sa chérie et leur demander de veiller sur la petite. Surtout à la chérie, qui à sa façon est elle aussi comme un grand rayon de soleil. J’aurais bien demandé à la patronne aussi mais je sais pas trop si ça se fait. Henri n’était pas dans les parages non plus. C’est dommage, je crois qu’il est du genre à savoir garder un œil sans se faire remarquer. Je retournerai voir du côté de son hamac tout à l’heure après le petit déjeuner. D’ailleurs c’est l’heure d’y aller.

Je t’embrasse tout partout. À demain ma douce et faites gaffe sur le trajet de retour, laisse pas conduire Martine, je comprends même pas comment elle a pu avoir le permis !

Ton Jojoff

Haut de page