Le client de la chambre 4 est venu régler leur note hier après-midi. Le voyant descendre avec des valises, j’ai cru qu’ils partaient plus tôt que prévu, mais non. Il n’y a que lui qui partait et il réglait tout le séjour par avance. Il voulait y ajouter quelques centaines (?) d’euros « pour les frais annexes ». J’ai refusé de l’argent ne correspondant à aucune facture.
J’ai suffisamment de bouteille dans le métier pour avoir vu ça à plusieurs reprises : un plaquage brutal, un départ en catimini pendant que l’autre est occupé ailleurs, en l’occurrence la partie de pétanque très animée que j’entendais depuis le hall et qu’il entendait forcément aussi. La conviction d’être très élégant parce qu’on a sorti le portefeuille, comme si ça pouvait compenser la lâcheté de ne pas affronter la réaction de la compagne ou du compagnon qu’on abandonne.
Je les connais par cœur, les fuyards hôteliers aux grandes largesses, des hommes le plus souvent. Les femmes partent plus volontiers sur une dispute qu’elles ont plus ou moins consciemment provoquée. Il a dû laisser un mot sur l’oreiller, une enveloppe pleine de mots plus ou moins beaux selon le talent racontant à quel point elle a été importante pour lui, qu’elle est une femme formidable, qu’il ne l’oubliera jamais. En ville, ils font aussi livrer des fleurs ou des bijoux ou autres babioles selon le standing, mais au fond c’est la même chose : un solde de tout compte. Les pires ajoutent dans leur message d’adieu qu’ils aimeront toujours le jouet dont ils se sont lassés, gardant le lien bien serré autour de l’autre, attaché au piquet du souvenir d’un amour tragique.
J’en ai vu se terrer des jours entiers ou débarquer leur lettre à la main, hagardes, en quête de quelqu’un qui leur dirait que tout cela n’est qu’une mauvaise blague. J’en ai vu des poignées. Natacha, comme les autres, cherchera à s’expliquer ce qu’elle a bien pu faire pour qu’un homme si aimant la quitte malgré tout, la quitte sans le lui dire en face.
J’espère pour Natacha que ça ne touchera pas d’autres cordes déjà fragiles qui risqueraient de se rompre. J’espère qu’elle choisira le chemin de la colère, au moins le temps de se redresser. Je le suis en tout cas : en colère pour elle, pour elles.
1 Commentaire de Avril -
Aaaah, merci !!! J’étais tellement vénère de lire des commentaires complaisants à l’égard de Toni sur le billet de Natou. Ton analyse de cette lâcheté masculine est parfaite.
2 Commentaire de Garfieldd -
Tout est magnifiquement résumé !
Avril : +1 ! Et pour ma part j’ai commenté en disant qu’il restait un salaud…
3 Commentaire de Samantdi -
Oh nooooon ! Toni s’en va ?! Pourvu qu’un.e autre méchant.e arrive bientôt à l’auberge !
4 Commentaire de Laurent -
“Les pires ajoutent dans leur message d’adieu qu’ils aimeront toujours le jouet dont ils se sont lassés, gardant le lien bien serré autour de l’autre, attaché au piquet du souvenir d’un amour tragique.” L’emprise, même absent. C’est si bien dit pour une situation hélas commune.
5 Commentaire de Avril -
Samantdi : Tu arrives quand du coup ? ;-) (Si tu n’es pas déjà arrivée et repartie, bien sûr)
6 Commentaire de Anna -
Jeanne, tu analyses si bien le phénomène… Bravo et merci.
7 Commentaire de Natou -
Bien vu.
8 Commentaire de samantdi -
Avril : “cherche les méchants et tu me trouveras” (ici, bruit d’un rire terrifiant sortant d’une grotte obscure)
9 Commentaire de Philippe -
Rhâ Samantdi, mais alors c’est toi, le Toni ?
10 Commentaire de samantdi -
Philippe : Le Toni n’a pas d’auteur.e, pas de fil à lui, il n’existe pour la lectrice, le lecteur que dans ce que les autres en perçoivent, leur envie (de grand amour, pour Natou) ou leurs peurs (fais moi mal Johnny, mais c’est qu’il incarnerait le patriarcat à lui tout seul, ce con là!) , c’est pour ça que c’est un personnage drôlement intéressant qui va beaucoup me manquer. Peut-être qu’il va revenir, qui sait ?
11 Commentaire de Kozlika -
Samantdi : et puis il y a la lectrice des lecteurs, qui leur prête elle aussi ceci ou cela avec ses propres filtres j’ai bien l’impression ;-)
12 Commentaire de Noé -
J’aime toujours autant le regard de Mme Lalochère, qui connaît si bien les gens, cette infernale engeance !
13 Commentaire de Malia -
Malia atterrit à la lecture de ce texte. Que s’est-il donc passé ? Toni a lâché Natou ?
Pour apporter mon grain de sel, et ayant mon lot de cabossages, je ne crois pas hélas que seuls les gars puissent être lâches.
14 Commentaire de Esteban Biraben -
@Satmandi : serais-tu adepte d’Hitchcock ? « Plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film »
C’est difficile d’être un méchant à l’auberge. Gio Guareschi n’a tenu qu’un billet. (Mais évidemment son départ peut être dû à une foultitude d’autres raisons).
15 Commentaire de Sacrip'Anne -
Je suis sûre que Natou a le goût de la vie qu’il faut pour rebondir, j’espère que son prochain grand amour sera moins… incarcérable !
16 Commentaire de samantdi -
Kozlika : on est tous.tes lecteurs et lectrices des autres lecteurs, je crois bien, moi comme les autres. En tout cas, Toni fait parler :-)
Esteban : Je suis bien d’accord avec toi. Il y a eu Denis, un peu, aussi, dans son dernier billet. Mais il semblerait que l’air du Jura ne leur réussisse pas.
17 Commentaire de Kozlika -
Au-delà des blagounettes, je n’achète pas l’idée que l’air du Jura est moins clément pour les méchants que pour les gentils :)
Les “méchants” que vous évoquez sont partis pour des raisons différentes les uns des autres, qui ne tenaient pas au type de personnage qu’ils incarnaient :
Pour Gio l’exercice de tenir compte des “profils” et actions des autres personnages était trop contraignant, ce qui le mettait en porte-à-faux en mettant par exemple des perso à des endroits quand leurs auteurs les plaçaient ailleurs. Entre s’adapter et partir il a préféré partir. Il n’a pas abandonné l’idée de revenir plus tard, probablement sous d’autres traits pour repartir de zéro.
Pour Denis ce n’était qu’un manque de disponibilité de l’auteur, qui fait qu’il ne parvenait pas à suivre ce qui se passait et avait l’impression de courir sans arrêt derrière le fil des événements pour s’y raccrocher. Il a essayé malgré tout mais a fini par jeter l’éponge devant le volume des publications.
Pour Toni, son départ fait partie de l’arc narratif prévu par l’auteur pour son personnage de Natou dès le début, personne ne l’a chassé autre que sa créatrice. Ce n’est pas un départ anticipé, bien au contraire.
D’autres départs anticipés, de “gentils”, ont eu lieu, pour des raisons similaires à celles ci-dessus (manque de temps ou d’envie de se tenir à jour de tous les fils de la toile). En tout il y a eu 6 renoncements avant même d’arriver et quelques départs (de mémoire 3) plus tôt que prévu. Et 4 ou 5 prolongations ou demandes de retour après le départ théorique.
En tout cas personne n’est parti sur l’air de “personne ne m’aime” ;-)
On reparlera de tout ça au débriefing :)
18 Commentaire de Jeanne Lalochère -
Malia, ça tombe bien, ça n’est pas du tout ce que Jeanne dit. Mentionner un fait majoritaire implique qu’une minorité existe :)
19 Commentaire de Brigitte Audiber -
Kozlika , je suis bien contente que tu aies donné toutes ces précisions publiquement ! je suis dans le même cas que Denis, et je me suis vraiment essoufflée (voire coulée !) à tenter de tout suivre, y compris les commentaires des gentils et moins gentils lecteurs !
Ravie pour ma part que Brigitte soit enfin rentrée dans sa ville natale de Dole, et soulagée de n’avoir jamais eu le temps matériel d’occire Gérard comme failli à un moment donné.
C’est un vrai marathon ! ça demande de l’entraînement que je n’avais pas !
20 Commentaire de Samantdi -
Oui c’est vrai que c’est intéressant d’avoir ces précisions car ça modifie la perception que j’avais, et je m’en réjouis car je pense qu’il faut un peu de tout pour faire une auberge.
D’autant plus que c’est difficile de suivre tous les personnages et toutes les interactions : moi j’ai regretté le départ de Gio, Denis et Toni mais sans forcément remarquer que d’autres étaient partis précipitamment aussi.
Je reste d’accord avec Esteban : il est sans doute plus difficile de faire vivre un personnage désagréable et éloigné de ce qu’est l’auteur.e.
21 Commentaire de Kozlika -
Ah ça on est d’accord !
22 Commentaire de Garfieldd -
Difficile c’est sûr, mais ça doit être jubilatoire…
23 Commentaire de Kozlika -
Samantdi : “moi j’ai regretté le départ de Gio, Denis et Toni mais sans forcément remarquer que d’autres étaient partis précipitamment aussi.” Pas partis précipitamment (deux seulement je crois) mais quelques-uns (4 ? 5 ?) ont tout simplement disparu de la circulation tant sur le forum qu’ici après un ou deux textes.
24 Commentaire de Lephilo -
@Kozilka. Même pour un simple lecteur, tout suivre ( sans louper les interactions ) est quasiment un boulot à temps plein. Tu lâches l’affaire deux trois jours et t’as plus qu’à demander la plate à Henri pour sortir les rames et faire trois tours de lac pour recoller les morceaux.
Le tout avec plaisir, bien sûr …
25 Commentaire de Tomek -
Je suis de l’avis de Lephilo : le nombre de billets par jour ne faiblit pas, il augmenterait même, j’ai l’impression, et il suffit d’une journée “off” pour se sentir largué en tant que lecteur. Je n’ose imaginer quand en plus on est auteur. Enfin, si, je sais en fait. C’est hyper prenant.
Après, on n’est pas obligé de tout lire, mais je trouve qu’il manque alors des pièces du puzzle.
Pour revenir au sujet, je suis d’accord qu’il manque un/des personnage/s pas ou peu sympathique/s…