Comme toujours je suis réveillé à l’expiration de la nuit. Maintenant que je connais mieux l’auberge et son ambiance particulière, j’enfile un bas de pyjama, des chaussettes, un pull (17°, ce n’est pas si froid, mais au réveil en restant immobile, j’aime être emmitouflé) et je descends m’installer dans la véranda de la bibliothèque face au lac.
J’attends l’aube.
Déjà une semaine. Le temps a filé. Je donnerai cher pour qu’il se dilate comme lorsque j’avais dix ans. Alors chaque jour était un monde ; maintenant ils filent comme une heure. Quel dommage parmi des gens aussi charmants au milieu d’un si beau cadre. J’aimerais qu’il se suspende quelques heures qui paraîtraient des années.
Une semaine, donc. Faustine dort beaucoup. Je mesure à quel point sans se plaindre elle était fatiguée. Oui, maintenant je sais que pour elle, j’ai eu raison d’imposer ce mensonge et ce break. Elle récupère lentement. J’en viens à me demander si trois semaines seront suffisantes.
Une semaine de balades en forêt, autour du lac ou plus loin, chemins escarpés et été en pente douce. Une semaine de visites des alentours : d’abord le bourg, nos habitudes[1] vite prises au café des Sapins (prendre son café en terrasse, nous qui aimions tant cela, depuis combien d’années cela ne nous était-il pas arrivé ?), les commerçants qui deviennent familiers, la postière, jeune fille en robe rouge un jour sur deux (l’autre c’est en pantalon chemisier — rouges) qui me fait fredonner Lady in red, puis des visites plus lointaines, plus touristiques.
En chemin pour l’auberge, nous nous étions arrêtés à Avallon et Semur-en-Auxois, vendredi nous avons poussé jusqu’à Beaume-les-Messieurs pour voir la célèbre cascade et échapper à la chaleur en visitant la grotte. Visite qui vaut son heure de trajet : c’est magnifique et très apaisant.
En rentrant, nous sommes passés à l’accueil demander s’il était possible de jouer à la pétanque (que seraient des vacances sans pétanque ou belote ?) et nous avons fait d’une pierre deux coups puisque nous avons trouvé dans le même mouvement un client partant pour jouer le lendemain. Il en paraissait tout rasséréné et a aussitôt fait des plans pour trouver d’autres partenaires. L’ambiance de cette auberge ressemble à une colonie de vacances, tous les clients semblent se connaître. Sans doute est-ce inévitable dans un établissement qui paraît favoriser les séjours de plusieurs semaines (deux à trois, c’est ce qui transparaît des conversations saisies au vol).
Nous avons beaucoup ri. Malgré la présence d’une Marseillaise, nous étions loin du sérieux qui accompagne parfois le cérémonial de la pétanque dans le sud. Nous avons fini par être six, dont une parfaite débutante, Antoinette[2] qu’il fallait initier, ce dont la méridionale Natou se chargea, tandis que notre équipe se composait de Joseph, le client de vendredi soir (« — Appelez-moi Jojoff. — Esteban. »), et d’Emile Le Floch, marin au long cours (A-t-il lu Le miroir de la mer ? me demandai-je intérieurement.[3])
Dans la grande tradition machiste, nous avions nos groupies, une brunette pour l’équipe adverse et Faustine pour la nôtre.
Avant même de commencer, nous avons failli faire s’étouffer l’homme d’entretien (Henri, « factotum », m’expliqua-t-on) qui arriva juste à temps pour nous éviter de massacrer les dessins zen qu’il trace avec amour dans les gravillons (serait-ce l’origine de l’ambiance de l’auberge ? un peu de Feng Shui ?)
Nous avons parlé méditation et ficelle à tension variable[4]. Le marin disparut un bon quart d’heure à la recherche de son mètre. Pendant ce temps, Faustine d’humeur badine papotait avec la petite fille de l’auberge et la brunette (Adèle et June, m’apprit-elle plus tard). Elle en a profité pour glisser à l’enfant la paire de boucles d’oreilles fantaisie rapportée de Beaume-les-Messieurs — une façon d’honorer l’Aïd, ce qu’elle n’a pas dit — : « Tiens, j’ai vu ça en vitrine, c’était si joli que je l’ai pris pour toi puisque mes petits-enfants sont loin. »
Et de lui tendre des petits bateaux en origami.
(June) — Ah bon, vous avez des petits-enfants ?
— Mais oui, neuf !
Et patati, et patata. Que cela fait du bien d’entendre Faustine bavarder, avoir une discussion normale avec des gens normaux, se détendre sans arrière-pensée et rire de bon coeur.
Les péripéties se sont multipliées, il a fallu changer mes boules qui étaient les mêmes que celles de la débutante (Antoinette) — j’en ai profité pour en prendre des plus lourdes, plus à ma main —, seule Natou se souvenait du score étonnamment bon en leur faveur[5], Adèle a mis son grain de sel féministe dans la conversation et Faustine espiègle de l’huile sur le feu. Joseph, mon héros pour les années à venir, s’en est sorti d’un habile « Je vais y réfléchir ». Mais comment n’ai-je jamais songé à cette phrase magique ? Cela m’aurait évité bien des disputes au(x) dessert(s) avec mes filles, quand les conversations surchauffent par-dessus les cuillères à gâteaux et la pelle à tarte.
Bref, peut-être aurions-nous gagné si Natou n’avait joué la grande scène du II, tragédienne marseillaise écrasée par sa défaite à la pétanque devant des Parigots (ou tout au moins des nordistes). J’ai bien vu que les autres, ceux qui la connaissaient, ont été quelques secondes réellement inquiets, ils doivent beaucoup tenir à elle. C’est vrai qu’elle est si drôle et à la fois si prévenante.
Mais bast, fausse alerte : elle les faisait marcher. Quelle complicité entre eux tous. J’espère que nous rejouerons avant le 13 août[6], je me suis bien amusé.
Le jour s’est levé. Il fait lourd. J’attends l’orage. Purple Rain.
Notes
[1] comment être proustienne sans muser sur les habitudes ?
[2] mais comment peut-on parvenir à son âge sans jamais avoir joué à la pétanque ? Chut, Esteban, te voilà de nouveau judgmental (et mufle qui plus est). Arrête. Il faudrait qu’avant ta mort tu aies réussi à te débarrasser de ce vilain défaut.
[3] Mais arrête avec ta manie d’embêter les gens avec des livres. Joue.
[4] À deux doigts de douter de notre loyauté et de nous accuser de tricherie.
[5] Jdcjdr, comme dirait Constant.
[6] Non, le 16, nous partons le 16.
1 Commentaire de Avril -
J’en connais une qui risque d’avoir Chris De Burgh dans la tête toute la matinée.
2 Commentaire de Émile Le Floch -
Je note la suggestion de lecture. Reste à trouver un bouquin publié au début du 20ème siècle.
3 Commentaire de Sacrip'Anne -
Chouette que Faustine ait trouvé une enfant pour son cadeau, je suis sûre qu’Adèle les arborera avec fierté.