Un renardeau à robe fauve et étoile blanche au cou m’a invitée à le suivre, je cours en compagnie d’un fraternel quatuor de goupils. À l’heure où les lapins folâtrent, tels des guérilleros en vadrouille, truffe au vent et oeil de braise, moustaches frémissantes, d’un trot vif mais un peu désordonné, nous franchissons les champs, traversons les futaies qui mènent vers les hauteurs des bois. Les petites renardes caracolent à mes côtés en mille cabrioles vivifiées d’insouciants jappements, les jeunes mâles filent devant, flèches d’or où flotte la touffe blanche de leur panache roux. Une joie fauve me tient.
Arrivés à cet endroit précis où la ligne de la terre rejoint le ciel dans la lumière laiteuse de la nuit, assis, serrés blottis tous les cinq, nous regardons ensemble la lune. Nous voyons la même chose, nous ressentons ensemble la lueur d’un monde qui n’est pas le nôtre et nous percevons ensemble son étrangeté. Je ne suis pas renarde, ils ne sont pas humains. Mais nous ne sommes pas séparés. Nous avons les mêmes origines et nous partageons le même mystère du monde. Dans ce partage, une tendresse nous unit. Nous nous sommes regardés, yeux dans les yeux, les uns après les autres. Regard à regard. Un instant fragile, dans la lumière laiteuse de la nuit, où par le fil ténu de ce regard de l’humain à l’animal, un seul monde existe pour nous tous.
A l’appel de la mère, les petits brigands s’éloignent, me jettent un dernier sourire qui étire leurs yeux obliques. Mon coeur cogne. Je vous aime mes flamboyantes soeurs et frères renards, je vous aime à la vie à la mort. Eloignez-vous de nous. Pour l’heure, nous vous avons déclaré une guerre totale. N’approchez jamais ceux qui, de leurs fusils et de leurs chiens, sèment carnage et désolation. Nous ne sommes pas prêts à vous comprendre. Pas encore. Restez libres. Restez sauvages.
En maraude parmi les herbes du retour, je repense à l’histoire de cette jeune épouse adorée qui se métamorphose subitement en jolie renarde à fourrure rouge. À ce mari gentleman éperdu qui tente de poursuivre la vie commune avant de donner la liberté à celle qu’il aime puis de devenir le parrain de ses renardeaux, continuant à l’aimer désespérément par-delà la barrière des espèces. L’amour peut s’éprendre des facettes les plus mystérieuses de l’autre. Qui, de l’homme ou de la femme, de la belle ou de la bête, indique ici à l’autre de quelle manière s’aimer ? Comment accepter de dévoiler à l’autre sa part cachée la plus intime, sa part d’animalité ? Qu’est-ce que chacun acceptera de voir ou pas de l’autre, osera ou pas regarder ? C’est toute la question de l’amour.
Imprimée au creux de ma paume, je sens la furtive douceur de la main de Gaston. Que se passe-t-il dans deux mains qui s’étreignent ? Jamais une, mais tant d’histoires. Comment elles n’auraient jamais dû se croiser, comment elles n’ont pu faire autrement que de s’enlacer. Tatouées au bout de mon index, je porte aussi les piqûres cuisantes des deux petites dents aiguisées d’un renardeau fauve.
1 Commentaire de Sacrip'Anne -
Je ne sais pas s’il dure toujours, mais il vaut souvent la peine d’être vécu.
2 Commentaire de Pep -
Pfiou… C’est beau.
(émoji étoiles dans les yeux)
3 Commentaire de samantdi -
Pareil que Pep.
(pfiou pfiou c’est trop beau)
Sinon, pour revenir à “Radio Potins”, Gaston lui a pris la main, ou l’inverse, enfin ça sent la love affair qui va tout déchirer ! <3
4 Commentaire de lynxxe -
@ Samantdi, on dirait que tu as raté un épisode. Mais comment cela peut-il se faire ?!? Ta réputation de Reine des Potins est en jeu et je m’en voudrais de la voir mise en cause. ;-) Tu trouveras donc là des infos de première main.
5 Commentaire de Claire Obscurs -
Tout est dit.
6 Commentaire de natalia -
Pep m’a ôté les mots de la bouche !
Quelle belle ode à la beauté sauvage. Merci.
7 Commentaire de Ginou -
Que dire de plus: que c’est beau !