Je me suis laissée vivre, j’ai vécu cette semaine comme dans un nuage. Oui, dans le nuage, là où tout est un peu flou et cotonneux à part ce qui nous entoure immédiatement.
Ici, ce qui m’entoure ce sont les bois, le lac, la ferme. Tous les matins, je vais traire avec Antoine. Je crois qu’il aime bien avoir de la compagnie, et puis il faut bien dire que je ne suis pas emmerdante. Je ne pose pas de questions, je ne fais pas de remarques ou de commentaires, je n’essaie pas de lui apprendre son métier, je me contente de rentrer les vaches sans m’énerver, de les préparer et les brancher, et je nettoie la salle de traite sans qu’on ait besoin de me le dire. Et en bonus, j’ai l’oeil pour repérer les mammites. D’ailleurs, l’autre jour, j’ai bien failli me trahir. J’ai ravalé de justesse un commentaire un peu trop précis: la touriste moyenne ne diagnostique pas une mammite à streptocoque pendant ses vacances. J’ai quand même suggéré mon idée de traitement sous prétexte que “Papi faisait comme ça et que ça guérissait mieux” (ce qui est vrai, de toute façon).
Je passe le reste de mon temps à randonner dans les bois alentours. Je suis assez peu à l’auberge, observant de loin ce qui s’y passe sans vraiment me mêler aux autres. J’ai laissé passer les festivités du 14 juillet sans m’y mêler; le grand air et le lac me suffisent. Je ne pense presque plus à ce qui m’attend à l’autre bout de la France, mon téléphone ne me manque pas du tout, pour l’instant je me contente de repousser tout cela loin de mon nuage.
Des gens partent, d’autres arrivent. Hier, un duo improbable a fait une arrivée remarquée à l’auberge: un vieux monsieur tonitruant à l’accent slave prononcé, accompagné de son assistant discret et résigné. Ils logent au même étage que moi, à l’autre bout du couloir; il m’a semblé entendre des éclats de voix quand je suis allée me coucher ce soir. Je ne peux pas m’empêcher de plaindre ce pauvre assistant. Et pourtant, moi aussi j’ai été exploitée et résignée, d’une certaine façon… Les abus sont tellement plus évidents quand ils sont vus de l’extérieur.
1 Commentaire de TarValanion -
C’est ça que je n’aime pas chez le Comte. Ses abus.