Cinq heures du matin.
En peu de temps, le paysage a changé. La nuit recule et laisse aux frondaisons l’apparence des plus antiques dentelles. Le ciel transparent est parcouru de flèches : les martinets. Quelques becs claquent dans les aulnes. Froissements de plumes. Bruissements dans les joncs.
J’étais dans mon lit, un bruit m’a réveillée.
Je me lève et vais à la fenêtre, je vois deux phasmes dans le feuillage sur le mur. Ce ne sont pourtant pas eux qui ont pu faire ce bruit. Les oiseaux que je vois, eux aussi, sont trop discrets.
Au loin, j’aperçois des taches rousses.
Intriguée, je descends pour mieux voir, je rêve, ce sont des renardeaux, je tente de les suivre mais ils courent trop vite pour moi. Au loin, je crois deviner une longue chevelure rousse, une femme ou un renard ?
Je lève les yeux. Au milieu des martinets, il me semble voir un… toucan ! Ai-je la berlue ? Un toucan dans le Jura. Il vole à tire-d’aile vers le Nord. C’est à ce moment que je me rends compte qu’une mélopée lancinante s’est élevée au loin. On dirait une danse ancestrale. Le bruit est bien trop faible pour que ce soit ça qui m’ait réveillée, mais je suis l’oiseau.
Je longe le lac. Il est magnifique au petit matin. Les brumes de l’aube dessinent des silhouettes à sa surface, je crois deviner un monstre des marais, un vieux camion de pompiers, puis un homme debout sur une barque qui semble déclamer un texte ou chanter à pleine voix. Décidément, la potée comtoise a des effets insoupçonnés (ou alors, c’est le vin jaune).
J’ai quitté les abords du lac pour couper à travers la forêt. Les arbres bruissent, mais moi qui ai peur d’une mouche habituellement, je me sens étrangement sereine.
Je vois une trouée au loin. Une clairière. Un grand chat gris aux yeux verts m’y attend. C’est incroyable tous les animaux qu’on croise ici la nuit. Je m’assieds à ses côtés et je plonge mes mains dans sa fourrure. J’ai toujours aimé les chats.
À ses côtés, un carquois et des flèches argentées. Mais qu’est-ce que ça peut bien faire là ? Je les effleure du dos de la main, je n’ose pas les prendre. Soudain, le chat bondit et disparaît entre deux rochers.
Je le suis, une grotte. Une étrange lumière semble en émaner.
Claude est là. Il me regarde d’un air doux et me murmure : tu peux arrêter de me chercher, je rentre à la maison.
Je me réveille, je reconnais le bruit caractéristique de mon téléphone lorsqu’il reçoit un mail.
Incroyable, c’est une réponse de Claude à mon message de la semaine passée. Trois mots : Je vous attends et l’adresse du temple zen.
Je crois qu’il va falloir que je retourne au lac glacé pour me remettre les idées en place avant de quitter l’auberge. J’ai encore un peu de temps avant de partir pour le monastère et mes bagages sont déjà faits.
Je ne suis pas sûre d’avoir brillé par mes talents de détective ici, mais j’ai trouvé dans cette auberge un petit bout de moi que je ne savais même pas que j’avais perdu.
Au revoir Pollox !
Rapport de mission - 15/09
Client – retrouvé
Départ de l’auberge programmé à 11h
Facture (honoraires septembre + notes de frais) à envoyer dans la semaine
Affaire classée
1 Commentaire de Raphaël (ex Mela) -
J’adore ce texte. Merci pour le clin d’oeil au toucan…
2 Commentaire de Natou auteur -
Toujours ce talent de mêler des bouts d’histoires de l’auberge dans tes textes ! Bravo
3 Commentaire de Avril -
Tu as su briller différemment, c’est l’essentiel !
(et quel talent pour aller fouiller dans les mémoires de l’auberge, que tu exposes encore ici. il y a du détective là-dedans aussi)
Alors merci !
4 Commentaire de Sacrip'Anne -
Y a des gens qui ont mis des trucs dans les musettes du marchand de sable, ces derniers temps !
5 Commentaire de Mela -
De la verveine mentholée ?
6 Commentaire de La commanditaire de Caroline Etienne -
Merci à tous ! (Et si la verveine mentholée fait cet effet, je vais m’en faire une ce soir )
7 Commentaire de Malia (auteur) -
Cela me fait, Caroline, chaud au coeur de voir les phasmes percer le décor de l’auberge, des semaines après qu’ils aient été libérés de leur cloche.
Ton texte est très doux.
8 Commentaire de kozlika -
J’admire le savoir-faire de tisserande de Caroline.