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Jeanne Lalochère

l’aubergiste

Réunion patronale

Adèle s’était endormie et je m’apprêtais à aller en faire de même mais je me suis ravisée et j’ai enfilé à la hâte un jean et un t-shirt. Pieds nus, j’ai descendu les trois étages. Je ne me sentais pas encore prête à dormir, je comptais passer un moment avec Lulu.

Lucien n’était pas à la réception, il était dans salon avec Henri et Gaston, confortablement installés dans des fauteuils face au feu qu’ils avaient allumé dans la cheminée et ils… parlaient ! Avec des vrais mots qui font des sons ! Ils ne m’avaient pas entendue descendre et poursuivaient leur conversation :

« … pourquoi ça n’irait pas ? » demandait Lucien à Henri.

« C’est idiot : s’il y a un kiosque à vin chaud près de la patinoire, les gens vont s’en prendre un avant de repartir et monteront dans leur voiture directement, bien réchauffés, sans passer par la case restaurant et cette superbe cheminée qui donne envie d’y rester !

— Mmmm, ça se tient. Faudra en reparler quand on sera tous ensemble, mais ça se tient.

— Mais la p’tite patronne a peut-être une bonne raison, hein ? Si ça se trouve je dis des conneries. »

J’intervins tandis que j’entrais dans le salon :

« Oh mais ça carbure du cerveau ici, et ça cause ! Je ne vous reconnais plus. Henri, je crois que tu as raison, je n’y avais pas réfléchi.

— Eh bonsoir la patronne !

— Bonsoir les patrons ! Je n’avais pas envie de dormir tout de suite, je comptais me faire offrir une tisane.

— Je m’en occupe, j’allais au ravitaillement pour nous. Cale-toi donc dans le canapé. »

Pendant que Lucien était à la cuisine, Gaston m’expliqua qu’il était passé pour confirmer que les papiers étaient prêts pour les nouveaux statuts. L’apport de chacun était fixé selon ce qui lui convenait et lui-même faisait un assez gros abondement. La somme ainsi récoltée permettrait de provisionner les travaux et les premiers mois de salaires avec trois ou quatre embauches supplémentaires.

« Je ne voulais pas passer pour un sauvage alors je me suis assis avec eux et j’ai accepté de leur faire la conversation, mais je ne pensais pas qu’elle serait si inhabituellement bruyante », soupira-t-il accablé.

Nous avons ri et ri encore quand il nous a fait part de la réponse si rapide d’Alexeï Dolgoroukov[1] à son SMS et plus encore quand nous avons appris que Vernon lui avait envoyé quasiment le même dans la même minute. Il était plus que partant pour nous rejoindre.

« Il y a un problème avec Natou ? me demanda Lucien. Elle était toute retournée en passant devant moi pour remonter dans sa chambre tout à l’heure. Je n’ai pas réussi à la choper pour savoir ce qui n’allait pas.

— Sa mère débarque demain matin. Si j’ai bien compris, elle est assez euh… expansive…

— Ah. Tu lui as dit qu’on était tous avec elle si besoin ? Entre mes horaires et les vôtres on assure le service solidarité-tribu vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

— Oui oui, t’inquiète pas, elle le sait. Mais elle appréhende quand même un peu.

— Bon. Si elle sait, c’est l’essentiel. On ne s’en mêlera que si elle nous sonne.

— Voilà. »

Je ramenai les pieds sous moi. J’aurais dû mettre des chaussettes.

« Tu as froid. Tiens prends un plaid.

— Dites… ça vous embête si je reste là, en vous écoutant sans parler ? Ne vous arrêtez surtout pas, j’aime bien. Je vais me poser cinq minutes et je remonte.

— Oh toi, tu es mûre pour les bras de Morphée. Si tu ne veux pas monter tout de suite prends un coussin pour ta tête et allonge-toi. Tant qu’à faire, fais ça bien. Henri, Gaston et moi on va continuer à faire notre causette de patrons. Tu veux que je te réveille à l’heure des renards ? »

Je me tournai sur le côté et glissai ma main entre l’oreiller et ma joue. Je fermai les yeux en souriant.

« Pas la peine. C’est vous ma famille de renards. »

Note

[1] Il a finalement adopté définitivement cette identité.

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