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Joseph Midaloff

Chambre 12

Ils sont mignons dans le Jura

Il y a des jours, t’as pas moins d’emmerdes que la veille, pas plus non plus, et pourtant tu te réveilles avec l’idée que c’est une belle journée qui s’annonce. Ça m’a fait ça ce matin, mais c’est peut-être parce que je me suis réveillé à une heure normale et que Julie s’est réveillée en même temps que moi et que.

Après le petit déjeuner, on est allés parler avec la patronne pour voir si c’était toujours d’accord pour qu’on pousse quelques meubles au salon pour danser avec trois quatre autres clients qui ont bien envie de venir aussi vendredi après-midi. J’ai déjà dit que June et Javot sont toujours sur les bons coups ? Ils seront là. Julie a déjà préparé la playlist. Il y aura au moins aussi la joyeuse drille de l’autre soir au loto, la copine du livreur, les deux qui se sont connus ici et sûrement d’autres d’ici là. La patronne avait dit ok si on était un petit groupe, fallait qu’on lui dise que c’était bon.

Elle, au début je saurais pas dire si elle était en forme ou pas, ça avait l’air d’être un peu les deux à la fois. Natou nous a dit qu’ils avaient une réunion de tout le personnel ce soir, c’est peut-être à cause de ça.

Bref. On va à la réception, on se met d’accord pour vendredi. Et puis comme elle a une bonne bouille quand même et que j’étais tout jouasse et d’humeur blagueuse, je lui demande sans crier mais bien fort pour que les clients qui passaient par là puissent s’en régaler :

« Dites-moi j’en profite pour vous demander, ça veut dire quoi “In love with Jeanne” qui était écrit sur la voiture du monsieur qui est venu vous chercher dimanche ? Je suis ouvrier, j’ai pas fait beaucoup d’études vous savez. Je parle pas les langues étangères. »

Dans ses yeux on a eu comme tout un film en quelques secondes : surprise, recul, colère, apaisement, rire. Ce regard malicieux qu’elle a eu tout à coup, ça l’a complètement changée de d’habitude.

« Je comprends ça, M. Midaloff, mon père était ouvrier à la Saviem, il ne connaissait rien à rien non plus, quelle tristesse. Ça veut dire : je suis amoureux de Jeanne. »

Elle avait un peu rougi sur la fin quand même, mais le regard restait malicieux. Je lui ai fait un clin d’œil gentil. Moqueur mais gentil.

« Ah voilà, je comprends mieux ! Ça doit être une coutume locale ça, on a vu la même chose à l’entrée de Pollox sur un grand panneau publicitaire mais avec d’autres noms. C’était pour un Paul Dindon et c’était signé Siegfried.

— Ha ha, il l’a fait ! M. Dindon est un client chez nous. Siegfried et Marco — mon euh… mon… le propriétaire de la voiture — sont copains. Ça leur ressemblerait bien de s’être lancé un défi. Je n’ai pas encore vu le panneau mais ces deux-là ne sont jamais les derniers pour les bêtises. »

« Des jolies bêtises quand même », a dit Julie en rigolant, toute attendrie.

« Oui », a fait Mme Lalochère Jeanne en rougissant de nouveau. « Très jolies même. »

On s’est souri tous les trois comme des idiots et puis j’ai posé des questions sur son papa, la Saviem, tout ça. Je ne sais pas pourquoi mais je m’imaginais qu’elle était de Paris alors que pas du tout elle est d’Hérouville. Ça me plaît qu’une fille d’ouvrier monte son affaire, ça me plaît bien. En plus il était syndicaliste aussi le papa, on a parlé des grosses grèves de 95 et tout. Je suis encore plus content qu’on ait eu l’idée pour le stage du club. J’espère que ça pourra se faire. À discuter avec elle ça m’a pas étonné que Natou soit si attachée à sa patronne, elle est bien sympa cette jeune femme.

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