Je ne sais si c’est l’altitude mais, depuis que je suis ici, je me sens en apesanteur, hors temps hors gravité ; la rupture avec le quotidien, ses lieux et ses lourdeurs, joue certainement aussi. Je me suis coupée des outils numériques, ne gardant que les appels en visio aux enfants pour prendre de leurs nouvelles, goûter à leurs rires, m’assurer qu’ils vont bien, entendre leurs impressions des Etats-Unis, les voir pousser à distance. Sinon rien d’autre : pas de réseaux sociaux, pas de réponse aux appels téléphoniques, les amis étaient prévenus, je m’y suis tenue. Ils ont juste eu droit à une carte postale.
Les randonnées m’ont permis de reprendre conscience de mon corps, d’abord dans la douleur avec les courbatures, forcément, mon corps n’était plus habitué à l’effort physique. Désormais les muscles endoloris laissent place aux sens : la brise légère caresse ma peau, les odeurs m’envahissent, les yeux s’émerveillent d’un paysage, d’un insecte, les produits locaux magnifiés par les talents de la cuisinière me régalent ! Il m’arrive de voler avec les aigles survolant leur aire, observant le paysage du ciel, présents si hauts ! Le silence des cimes, le murmure du ruisseau, le chuchotement du vent dans les fougères, le craquement des branches dans la forêt s’immiscent, me bercent. Avec le souffle gagné à l’occasion des ascensions, ces sons enrichissent mon répertoire, ils m’engagent en dehors du chant du répertoire classique, ils m’incitent à déplacer les limites qu’au final, à l’opéra, on finit par imposer à chaque choriste en fonction de sa tessiture. En déplaçant les limites de mon corps, j’ai gagné une liberté que j’entends cultiver à l’avenir.
Ce temps à part, cette parenthèse, que j’ai fait durer au-delà du retour des enfants et de leur reprise à l’école – 1ère rentrée où je ne les accompagne pas jusqu’à la grille, c’est la seule chose que je ne vis pas très bien –, a dégagé le cerveau de ses brumes, de son engouement, et me fait apparaître au grand jour les frustrations qui se sont installées dans mon quotidien, les non-dits et les silences qui empèsent mon couple depuis plusieurs mois. Le temps paraît certes s’être arrêté durant cet été ; mais il accélère désormais et rend inéluctable les conversations courageuses, celles que l’on évite, celles qui dérangent, celles qui placent la réalité au centre et obligent à la regarder en face, et du moment que les mots se sont échappés, elles engagent l’action, sauvent ce qui peut l’être et obligent peut-être à choisir de nouveaux chemins. Pierre a accepté que nous mangions ensemble ce soir, en terrain neutre, au restaurant, pour faire le point tous les deux. Je serai donc fixée ce soir. J’ai préféré la rupture assez brutale après ces semaines dans ce havre de peur de reculer et de repartir « comme avant » ou « comme si de rien ».
Au moment de prendre congé de Mme Lalochère, je réalise à quel point les autres clients de l’auberge ont dû me prendre pour une personne bien peu sociale, je les ai si peu côtoyés au final. Cependant leurs énergies positives, leurs petits grains de folie, leurs éclats de rires ont été communicatifs et ont participé aux prises de conscience… Silencieuse, ma dette à leur égard est pourtant grande ! Quant au personnel de cette auberge, ils mériteraient de figurer dans les meilleurs guides des auberges quand les critiques placeront l’humanité au cœur de leurs critères d’excellence !
1 Commentaire de Avril -
Awwww ! Emiiiiiile ! <3
2 Commentaire de Jeanne Lalochère -
Émilie, je regrette tellement que tu n’aies pas pu développer ton personnage et son histoire. Merci pour tes deux textes en tout cas et merci aussi pour ta conclusion si charmante <3