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June East

Chambre 17

La Dolce Vita

« Il est difficile de garder les pieds sur terre quand on enlève son slip ! » s’était exclamée ma psy au téléphone quand je lui ai fait l’étalage des réflexions survenues lors de mon marathon autour du lac. Je pouvais raccrocher le téléphone. Cette conversation m’avait rassurée. Non, je ne faisais pas une crise de cyclothymie aiguë. Il était tout à fait normal dans mon état et vu mes antécédents de passer d’une phase d’angoisse à une autre d’euphorie. Après vingt minutes à accoucher mes pensées, elle était parvenue à me faire dire « Peut-être que cette acceptation de la maternité, en dépit de ce que j’avais toujours pensé, est un signe de paix avec mon histoire personnelle. Je m’autoriserais à tourner la page de l’inceste, envisager une vie à moi et ne plus avoir un besoin existentiel de me cacher derrière des rôles ». Elle ne me coûte pas une fortune pour rien, la bougresse !

Il n’avait pas été possible de trouver de gynécologue disponible à Bourg. La secrétaire du dernier cabinet nous avait conseillé de renouveler le test, qu’ils étaient plutôt fiables en cas de réponse positive, et aussi de prendre un rendez-vous avec ma gynéco habituelle. Les quatre tests, tous de marques différentes, avaient donné le même résultat. À chaque réponse, voir la joie dans les yeux d’Éric décuplait la mienne. J’aurais pu passer des heures encore à pisser sur des bâtons de plastique !

Le reste de la journée s’est déroulé dans une bulle de félicité. Quand Jeanne m’apporta un thé dans le salon, je vis qu’elle avait une mine perturbée. Je crevais d’envie de partager la Grande Nouvelle du jour, mais il était clair qu’elle avait d’autres préoccupations. Confie-toi, Jeanne, tu es en présence de l’incarnation de la Sagesse, la Déesse de la Fertilité, la Bouddha du Nirvâna !, pensai-je. Putain d’hormones, ça promet. Elle me confia, discrètement et du bout des lèvres, ses projets pour l’auberge et ses réticences. « N’essaye plus de cloisonner tes sentiments dans des moules trop petits pour toi ! Jeanne et la Patronne ne sont pas deux personnes distinctes. Tu es l’une et l’autre. En même temps, tout le temps. Pour avancer, il te faut lâcher du lest ! ». Elle pouvait partir en paix, l’Oracle d’Hathor avait parlé. Putain d’hormones, encore un peu et je lui faisais une imposition des mains, ça promet !


Nous étions tous allongés à nouveau dans l’herbe en ce samedi estival, comme une ambiance de réunion familiale. Douceur des regards que chacun posait sur autrui. Douceur de vivre. Douceur d’Éric qui veillait sur mon confort. 

Henri, aux fourneaux, un œil sur la cuisson de son sandre, l’autre qui renforce le sourire qu’il affiche à voir Adèle et Nicolas rejouer inlassablement la capture de la bête, exagérant le récit à chaque nouvelle prise. Jojoff et Julie les couvrent d’une affectueuse bienveillance. Il réclame moult détails pour les encourager à rendre leur histoire encore plus épique, elle le regarde conquise comme si son naturel à mettre les gens qu’il aime en valeur était une des raisons de son coup de foudre pour lui. Natou et son Petit Prince, Belle et Sébastien, roucoulent, gazouillent, et osent les petits bécots furtifs. Elle qui illumine cette auberge a trouvé un parfait rayon de soleil. Et Côme, que j’appelle maintenant avec plaisir par son prénom tellement il est apparu métamorphosé. Qui aurait cru que ce taciturne petit bonhomme puisse être si apaisé et… jovial ! Touchant revirement. Et Vernon ! Je lui découvre une malice que je n’avais soupçonnée. Le petit jeu d’exagération auquel il se livre en fait un adorable trublion. Gaston et la petite tireuse à l’arc, arrivés bras dessus-dessous ont confirmé ce qu’Adèle m’avait dit la veille. Il s’agissait donc bien de ses râles que nous avions entendus avec Éric en passant devant la porte de la chambre 19. Il est radieux. Comment pourrait-il en être autrement. Elle est tellement parfaite. Et bien sûr, retrouvailles avec Charlotte, Marianne et BabyCôme, l’alliage parfait d’amour de l’une pour l’autre qui ne souffre pas d’être partagé par ce petit bout d’homme trop choupinou. 

J’aurais aimé que Jeanne et Marco puissent se joindre à nous, Lucien aussi, et bien d’autres pensionnaires de l’auberge. Sans oublier Ann-Kathrin et Akikazi, Anna, P. Vergnes, Alexeï… Et même pourquoi pas voir revenir le Comte Romanov de l’au-delà ! Cette journée le méritait bien.

Trop de bonheur. Les larmes allaient me monter. Le sage dit que « l’océan se noie dans une goutte de tendresse ». Mais qu’en est-il des montagnes du Jura ?

« Je suis tellement en veine depuis notre rencontre. Il y a un loto à Pollox ce soir, tu veux bien être ma patte de lapin ? », m’a chuchoté Éric au creux de l’oreille. Frissons.

Je me sens Femme, je me sens belle, je me sens bien.

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