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Côme de la Caterie

Chambre 9

Beauty and the Beast

Beauty.jpg, sept. 2020

Date : 18 août 2020 à 10:55
De : MarieMarie@free.fr
A : r.acceteo@gmail.com
Objet : URGENT - Ta maman
Rémi, tu dois revenir, ta maman n’est plus. L’enterrement aura lieu vendredi à Lillebonne. J’y serai. Ton frère me harcèle pour savoir où tu es. Il est furieux parce qu’il doit tout organiser avec vos sœurs.
Tu sais que tu me contacter en toute confiance. Tu ne réponds pas au téléphone mais je suis sûr que tu as trouvé un moyen pour consulter tes mails. Je comprendrais que tu désires rester seul mais envoie moi un mail ou un sms.
Je t’aime toujours, tu le sais. Enfin, j’espère que tu le sais.
Marie

Après avoir relu ce mail, installé dans le salon un peu froid de l’auberge, je me suis connecté au site de la poste.
C’est pratique cet envoi de courrier en passant par leur site. L’absence de cachet-de-la-poste-faisant-foi est une incitation au mensonge et à la dissimulation . Aucune indication du lieu d’envoi. Tout est dématérialisé.
Comme tant de sentiments par les temps qui courent…

04 septembre 2020
Bonjour Marie,
Je ne sais pas si j’ai encore le droit d’écrire “bonjour mon amour, bonjour mon aimée” comme je le faisais auparavant. Mais j’en meurs d’envie.
Serais-tu finalement le seul port dans lequel je peux me réfugier alors que la tempête gronde autour et en moi ?
Je te suis reconnaissant à un point que tu ne peux pas imaginer d’avoir accompagné maman à l’enterrement. Je sais que, grâce à toi, il y avait au moins une personne qui l’aimait de façon désintéressée et qui était sincère dans ses prières.
Tu dois encore m’en vouloir et penser que je suis parti sur un coup de tête, mais tu avoueras que m’annoncer froidement que je serais le père de ton enfant et qu’il va falloir que j’assume, ça a été inattendu mais surtout brutal…
Marie, ça fait combien de temps que nous vivons notre amour par procuration et que nous nous maudissons par contumace ?
Nous avons vécu 4 années qui sont sans doute, de mon côté en tout cas, les plus belles et les plus intenses de ma vie, pourtant jalonnée de plein d’éclats de bonheur…
Même Fabien, que tu connais si bien, ne peut pas rivaliser !
4 ans et puis les amarres se sont distendues, elles ont fini par lâcher. De mon côté ? De ton côté ? D’un commun accord ? D’une commune usure ? Est-ce si important de savoir qui ou quoi…
Comme le chantait Jacques Brel, Je t’ai perdue de temps en temps / Bien sûr tu pris quelques amants / Il fallait bien passer le temps / Il faut bien que le corps exulte [1]
Et moi de mon côté, je me suis enivré de parfums coupables.
Tu m’as annoncé que je suis père d’un enfant qui aurait aujourd’hui 5 ans. Un enfant, pile poil au moment où nous avons oublié, perdu cette habitude de nous retrouver, comme un couple classique, le soir à la maison. C’est un peu bizarre, non, comme coïncidence, non ?
Je sais que tu m’as aimé… Pas seulement pour mon compte en banque, mon appartement place Bellecour et ma maison de maître à Soulac… Enfin j’espère…
Marie, tu n’aurais pas dû me le dire de cette façon là. J’ai eu l’impression que tu jetais cet enfant dans un tiroir-caisse.
Je suis parti parce que je ne voulais pas voir ma vie passée à la moulinette des avocats et des notaires. J’ai besoin de temps.
J’ai bien vu que tu me pistes en te connectant à ma boite mail et même à mon compte en banque. Mais pour le moment tu ne me trouveras pas. J’ai besoin de temps. J’ai besoin de rêver encore à ces jours et surtout à ces nuits où seule la douceur de ta voix me murmurant que tu m’aimais savait accompagner la chaleur de ton ventre et de tes seins.
Je vais revenir. Pas là peine de prévenir la police, tes avocats… Pas la peine de payer un détective… Je ne suis pas en fuite. Je ne suis pas un Dupont-de-Ligonnés de bac à sable. Pas besoin d’avis de recherche ou de signalement pour disparition inquiétante. J’ai besoin de temps.
Pas la peine de me chercher dans une abbaye, ça fait longtemps que Dieu et moi nous sommes séparés à l’amiable. Chacun vit sa vie. Sur deux routes parallèles. Tu te souviendras sans doute de ce post-it au dessus de mon bureau, rue Auguste Comte à Lyon : Je suis tout prêt à croire en Dieu. Mais je pense que Dieu n’est pas tout-à-fait prêt à croire en moi. [2]
Tu me dis que tu m’aimes toujours. C’est sans doute idiot mais je crois que je n’en ai jamais douté.
Je t’aime aussi ma douce, ma tendre, mon aimée. J’ai quitté Fabien - alors que je croyais qu’il était l’Amour - pour te suivre, toi, ton sourire et l’éclat de tes yeux. Et puis je suis parti et je n’ai suivi aucune autre femme. J’ai croisé d’autres corps, d’autres plaisirs, mais mon cœur, je le crois bien, est resté près de toi. Il y dort. Il hiberne peut-être. Personne n’a su le réchauffer comme tu le faisais. Personne ne te le volera.
C’est pour ça qu’il faut que tu acceptes mon absence. Que tu ne cherches pas à savoir où je suis.
Comme dans la Belle et la Bête, tu sais, la rose sous le bocal… A la fin elle refleurit.

Je t’aime comme tu m’aimes.
Ne m’oublie pas comme je ne t’oublie pas.
Fais moi confiance comme j’ai envie de te faire confiance.

J’ai entré les coordonnées de ma CB pour payer le service, j’ai appuyé sur la touche Envoi et j’ai effacé l’historique de connexion.
Je suis remonté dans ma chambre après avoir rendu la tablette à la réception.
Allongé face à la fenêtre du balcon, observant les nuages gris et lourds qui fuyaient dans le ciel, j’ai repensé à ces mots dans le mail de Marie : tu sais que tu me contacter en toute confiance.
J’aimerais tellement te croire (mais alors pourquoi surveilles-tu ma boite mail ?) et j’ai pleuré en silence.
Ça fait tellement longtemps que j’ai perdu l’habitude de faire confiance…

Finding you can change
Learning you were wrong
Certain as the sun
Rising in the east
Tale as old as time
Song as old as rhyme
Beauty and the beast

Notes

[1] La chanson des vieux amants - 1966

[2] Ph. Geluck - Le chat

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