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June East

Chambre 17

Ain’t too much if it’s good

Averse passagère au milieu de cette journée qui s’annonçait pourtant magnifique. Les gouttes d’eau perlaient la surface du lac en ondes musicales. Éric décréta qu’il était plus sage d’abréger notre balade postprandiale et de retourner dans le cocon de l’auberge. Ah la la, ces hommes qui sont faits en sucre ! (Ou qui ont des envies de sieste crapuleuse une idée derrière la tête). Marcher sous la pluie est pourtant si plaisant. Je pris tout de même le temps d’expédier le parfait SMS à Ann-Kathrin.

À : Comtesse AKvA :
Chère Vous,
Merci infiniment pour votre carte de Lausanne. Très touchée.
Le Jura pleure votre absence. Please send umbrellas ! ☂️
Embrassez Akikazi de notre part.
Nous avons une pensée pour vous deux à chaque fois que nous passons devant votre banc face au Lac. J’y imagine vos mots doux et vos regards l’un pour l’autre.
Bises du cœur, 😘
Éric & Élisa

« Les SMS que tu m’envoies sont plus courts. Elle te connaît sous le nom d’Élisa ? »

À : Comtesse AKvA :
Éric doute que vous me connaissiez sous le nom d’Élisa.
Je suis certaine que vous avez reconnu June East !

« Ils avaient demandé des nouvelles de Natou aussi, non ? »

À : Comtesse AKvA :
Éric me rappelle de vous donner des nouvelles de Natou.
La puce est aux anges. Nouvelle idylle pour elle avec Sébastien, le beau blondinet fils du fermier. ❤️
Il m’a l’air sérieux et tendrement épris d’elle. Ils forment un joli couple. Je me suis arrangée pour retourner à la ferme lundi, histoire de les admirer dans leur béatitude. 🥰

« Tu ne voulais pas lui parler de Venise aussi ? »

À : Comtesse AKvA :
Ah oui, j’oubliais, vous connaissez Venise ?
Un certain réalisateur avec lequel vous avez fait les gros titres m’y invite pour une semaine.
Je suis preneuse de vos recommandations.

— Et tu aurais dû ajouter…
— Ah non, là c’est too much ! Après elle va dire à Jeanne que je la harcèle. Et ce sera ta faute.
— Ma faute ?! En attendant, tu aurais mieux fait de demander son email.
— Ça partait si bien pourtant…


Éric va beaucoup mieux aujourd’hui. Hier encore, il était sonné, toujours à digérer la nouvelle de sa paternité. Faut dire que je n’y suis pas allé de main morte lundi en lui déballant ma rencontre avec Pierre. Quand il a compris de quoi il retournait, son regard a viré à l’écran bleu, façon crash Windows. Puis il s’est mis à à boire et fumer en me sortant des inepties au sujet de la femme de Colombo en prenant la voix de Peter Falk. Incompréhension totale. Voilà, j’avais cassé mon amour ! Plantage du système Javotien. Erreur fatale. Il n’y avait plus qu’une chose à faire : le rebooter. Alors j’ai armé mon bras en arrière aussi loin que possible. La seconde suivante, ma main s’écrasait sur sa joue. Too much peut-être, mais ça lui a remis les idées en place. Je n’aime pas la violence, mais aux grands maux, les grands remèdes ! Je l’ai allongé sur le lit après lui avoir fait boire ce qu’il restait de son verre de whisky. Il m’a prié de venir à ses côtés. Je l’ai pris dans mes bras en lui caressant les cheveux.
— Tu veux jouer au docteur avec moi ?
— Shhhhh, ça va aller. Demain, il fera jour. Dors !
Si Ellen Pompeo quitte Grey’s Anatomy, je peux postuler pour assurer la relève !

Quelle garce quand même, la meuf ! Ça ne se fait pas de cacher la naissance d’un môme à son père. D’un autre côté, Éric serait probablement resté avec elle, ne serait-ce que pour élever le mouflet. Et je ne l’aurais jamais rencontré. N’empêche qu’elle lui a volé des souvenirs qu’il ne rattrapera jamais. Le pauvre !  

Il n’a pas voulu appeler Pierre encore. Deux jours que je me retiens d’envoyer un SMS à son fils, genre « Comme il fallait s’y attendre, j’ai gaffé. Il sait. Tu peux venir ». En même temps, c’est peut-être ce que le rejeton souhaitait secrètement, que je parle pour lui faciliter la tâche ensuite ? Va savoir ce que les hommes ont dans le crâne parfois. Mais non, ce coup-ci, j’allais être forte et arrêter de me mêler de ce qui ne me regarde pas. Éric m’a dit qu’il gérait, je laisse faire.

Faudrait quand même qu’il se penche sur ce dossier. Je ne vais pas pouvoir attendre des lustres sans intervenir…


L’averse avait cessé quand nous sommes arrivés devant l’auberge. Sur le parking, orné d’un arc-en-ciel pour l’occasion, parmi les voitures, une BM d’un rouge flamboyant vint danser sur mes rétines. Elle m’était familière, tout comme son conducteur que je reconnus immédiatement dès qu’il ouvrit la porte.
— Paul Dindon ! Vous êtes de retour !
— Oh Mademoiselle June, ou dois-je dire Élisa Hell ? Je ne pensais pas vous revoir ici.
— Comme il vous plaira, Paul. Je me suis tout de suite souvenue de votre voiture ! Impossible d’oublier que j’ai été à son volant en revenant du bar de Pollox.
— Il me semblait que tu n’avais pas le permis ?, objecta Javot.
— Ooops ! Chuuut, toi, il n’était pas au courant de ça. Paul, je ne sais pas si vous connaissez Éric. Éric Javot, Paul Dindon. PD pour les intimes, ajoutais-je avec un clin d’œil volontairement trop appuyé pour être naturel.
— Mais si, nous nous connaissons. Nous avons fêté le 14 juillet ensemble pendant que tu étais à Paris.
— Ah mais oui, c’est vrai, tu m’en avais parlé. Où ai-je la tête ?
— Dans ton…  Dans son cœur !, se rattrapa Paul in extremis.
Un ange est passé, nous nous sommes esclaffés. Chassez le naturel du dindon, il reviendra toujours en glougloutant !
— Dites-moi tout Paul, où en êtes-vous depuis que nous nous sommes quittés ?
— Oh là, Il me faudrait des heures pour tout vous dire. Tant de choses ! Dont aider une amie dans la tourmente. Elle m’a offert la BM en remerciement d’ailleurs. C’est bien simple, je n’ai pas arrêté du mois d’août. Comme disait l’autre, j’ai vécu ma vie comme une boule de flipper. Qui rouuule !
— Et du côté des amours, des nouvelles à me raconter ?
— Alors là, plutôt comme un ouragan qui serait passé sur moi…
Nous avons échangé un regard amusé avec Éric.
— Et sinon, ma pauvre, j’ai vu les photos dans Entrevue. Je ne te l’ai pas dit, mais je me doutais bien que tu étais actrice. Elle a essayé de me faire croire qu’elle était secrétaire !, dit-il à Éric en lui tapant sur le ventre. En même temps, ce sont de beaux clichés. Vous ne devez pas vous ennuyer, M’sieur Javot !
— Ah, ça. Je dois dire que j’ai tiré le gros lot ! Heu… Enfin, je veux dire…
— Ah, ah, ah ! Comme il est drôle ! Ah ma June, tu as chopé un sacré numéro, toi aussi !
Pas un pour rattraper l’autre. Venant de n’importe qui, cette allusion aux photos m’aurait probablement agacée. De Dindon, elle passait crème. Il avait l’art de rendre sympathique son excessive et envahissante personnalité (ce qui à propos de Paul était un euphémisme). Tout le contraire de Côme en fait. Tiens, il faudrait peut-être les présenter ces deux-là, qui sait ?

Il prit congé en nous faisant promettre de se retrouver pour un verre ou un repas avec lui. Il sourit et franchit les portes de l’auberge quatre à quatre en clamant « Passez une bonne journée, les amis. À très bientôt ! ».

Aujourd’hui, plus qu’hier et bien moins que demain, la chose était certaine, le grand Paul Dindon était de retour dans le Jura. En pleine forme !

Il y a des gens too much. Et c’est comme ça qu’on les aime.


La musique de The Godfather a baigné notre chambre d’une ambiance plutôt incongrue alors que nous jouions sous les draps en ce début d’après-midi. J’avais attribué cette sonnerie d’appel à Pollux, mon agent. Éric a bien essayé de m’empêcher de décrocher. Je l’ai retourné d’un coup de hanche, le pauvre a fini au pied du lit. Ooopsie !

Pollux m’a annoncé que j’avais été retenue pour le prochain Nicole Garcia. L’audition de fin juillet avait payé. Trop contente ! Rendez-vous a été fixé pour une lecture avec tout le casting fin septembre et un tournage en octobre. Trop contente ! Mon rôle sera celui d’une femme envieuse, un peu psychopathe sur les bords. Elle apprendra qu’un homme de l’immeuble d’en face sur lequel elle avait crushé a été abandonné par sa copine. Alors, elle profilera l’ex et le gars à fond pour mieux le séduire et reproduire la relation en la perfectionnant pour éviter tout ce qui merdait dans leur couple. Bref, une méchante calculatrice ! Et un vrai rôle de composition pour moi, j’adore. Trop contente !

— C’est pas du déjà-vu comme histoire, ça ?
— Mais quel rabat-joie ! Nicole Garcia peut en faire quelque chose de très bien.
— Oui. Peut-être. Si tu le dis…
— Mais sinon, je suis prête à tourner dans tout ce que tu m’écriras, mon amour.

Life is good. So fucking good.

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