Play… Dans mes écouteurs, The Doors, Indian Summer …
I love you, the best
Better than all the rest
I love you, the best
Better than all the rest,
That I meet in the summer.
C’est quand même autre chose que Joe Dassin…
Ambiance parfaite pour aller randonner vers la cascade du Moulin de Vulvoz.
Qu’est-ce qui m’a pris de m’inscrire ? C’est bien beau de vouloir se resocialiser mais une randonnée ?
Parfois je crois que je suis un peu con sur les bords. Et les bords peuvent être très larges.
Ils ont peut-être raison les autres… Ceux dont l’avis m’indiffère tant. Quand il est négatif…
Petit sac à dos, vêtement léger mais chaud (je vais encore suer comme un vieux porc…) et mes chaussures… Où sont ces foutues chaussures ? (Je ne vais quand même pas aller randonner avec des mocassins à pampille ? J’ai le sens du ridicule, dont je peux affirmer haut et fort qu’il ne tue pas, j’en suis le parfait exemple… Il crucifie, mais ne tue pas. Ou alors, à petits feux…)
J’ai glissé une bouteille d’eau et mon pique-nique dans le sac, une batterie de secours pour mon iPod (mais tu n’es pas sensé t’intégrer au groupe ? alors pourquoi un iPod, des écouteurs ET une batterie ?) et un livre, on ne sait jamais… Rêveries d’un promeneur solitaire ? [1] Why not… Je me souviens avoir lu, quand je l’ai acheté, une présentation de ce bouquin centenaire qui racontait que ces Rêveries cherchent à produire chez le lecteur un sentiment d’empathie qui lui permettrait à travers l’auteur de mieux se saisir lui-même [2]…
Foutaises ! (Mieux me saisir de moi-même ? Faut au minimum un palan ou une grue de chantier !)
Finalement j’ai choisi un recueil d’Haïku… Certains me font rire comme celui-ci de Kobayashi Issa :
Ce trou parfait
Que je fais en pissant
Dans la neige à ma porte.
Mais c’est une exception. La musicalité de ces poésies qui permettant de noter les émotions, le moment qui passe, qui émerveille ou qui étonne m’enchante souvent. Dire en peu de mots ce qu’on ressent. Et surtout le traduire avec élégance et simplicité. Il faudrait que je m’y emploie…
Trajet en voiture pour rejoindre le point de départ. Choux.
Non, je ne rigole pas. Vulvoz… Choux…
J’ai d’ailleurs noté d’autres noms de patelins jurassiens : Longcochon… Billecul… Cogna… Crotenay… Leschères… Verges… [3] Ça mériterait que j’approfondisse un peu la toponymie locale…
Heureusement que Natou, enfin Natacha, m’a proposé une place dans une des deux voitures, sinon je serais resté sur le bord de la route. C’est impensable cette incapacité que je ressens à demander tout simplement un service…
C’est Natou qui est venue vers moi. Vé, m’sieur Côme, vous montez avé nous dans la voiture, pas de chichinette, vous allez pas rester là comme une pigne, on va se serrer dans la voiture !
Tant de naturel, tant de gentillesse, cette capacité à voir le bon côté des choses… et peut-être des personnes… Ça me désarçonne… Ça m’émeut…
Je l’envie…
Je crois que j’étais comme ça. Avant.
Avant que l’âge et les responsabilités, que les convenances sociales et professionnelles me déforment. Et me pervertissent…
A moins que je ne me serve de l’âge et des responsabilités comme d’un alibi pour éviter une remise en cause : se montrer fragile ne veut pas dire être faible. Il serait peut-être temps que je m’en rende compte et/ou que je l’accepte…
D’aucuns parleraient de naïveté à propos de Natou. Pas moi. Plus maintenant… Natou est gentille. Foncièrement gentille. Positive. Aimable. Souriante. Ouverte aux autres. Rayonnante. 100% compatible avec le bonheur. Et en plus elle veut partager ce don avec ceux qu’elle côtoie. Et aujourd’hui je fais partie de ceux qu’elle veut innocemment toucher de sa grâce. Une belle personne.
Qui a eu sa part de malheur si j’ai bien compris certaines conversations volées écoutées par mégarde. Le décès de son père papou. Le largage brutal par son Toni…
Et pourtant, elle sourit. Elle partage et offre sa joie de vivre. Elle ne connait pas l’égoïsme quand il s’agit de laisser s’épanouir les moments de bonheur. Pas étonnant qu’elle s’entende si bien avec la petite Adèle. Elles partagent tous les deux cette joie de vivre, cette insouciance, même si, dans le cas de Natou, c’est par volonté. Elle me fait penser à cette citation de Blaise Pascal : Le pessimisme est affaire d’humeur, l’optimisme est affaire de volonté. [4]
J’ai fait le voyage en voiture avec le couple Midaloff, Natou avec Adèle sur ses genoux. Marrant cette sensation d’être comme une famille qui part en vacances. Les Midaloff, c’est Joseph et Julie. Joseph était là, fin juillet-début août. Je me souviens qu’il avait consolé de façon très paternelle Natou quand Toni… Et visiblement, Julie est sur la même longueur d’ondes, pleine de bienveillance.
Adèle n’en parlons même pas. J’ai l’impression qu’elle considère Natou comme sa grande sœur.
Ça a beaucoup papoté dans la voiture.
Au détour d’une question de Natou… j’ai confié que Maman était partie. Ça a été dit tout doucement, presqu’à voix basse… et très vite quelqu’un a enchainé sur une autre remarque…
Bien que j’ai été convié par Natou, j’ai tout de suite senti qu’Adèle était sur la réserve et que nous aurions l’un et l’autre des difficultés à nouer un contact simple et léger. Mais comme avec tous les enfants… il ne faut pas attendre bien longtemps pour que des remarques inattendues sortent…
Monsieur Côme, vous allez marcher avec nous ? Vous savez, nous on est jeunes et on va vite !
Natou et Julie lui ont fait les gros yeux avec cependant un sourire complice.
Pas grave Adèle, je te rattraperai dans les descentes… je serai plus rapide que toi, parce que je roule !
Ils ont tous ri poliment…
Cette randonnée ! Pfiou ! A voir marcher quelqu’un, on connaît sa pensée.
[5]
Je crois que tout le monde a pu lire en moi comme dans un livre ouvert… et comprendre que je vivais un calvaire. 18 kilomètres a annoncé le guide. 700 mètres de dénivelé. Tout ça pour voir une cascade et un panorama depuis le belvédère du Cuchet.
Faut que je sois honnête. C’est une très belle balade. Je l’aurais sans doute appréciée davantage si je n’avais pas compris que j’étais un boulet pour le groupe. Les deux ados du groupe, Adèle et Nicolas, forcément cash, n’hésitaient pas à interpeller le guide pour attendre le monsieur…
La honte…
Pour tenter de sauver la face, j’avais sorti mon recueil…
Sérénité
Marchant seul
Joyeux seul. [6]
Natou est venue lire par dessus mon épaule. Vé monsieur Côme ! vous n’êtes pas seul aujourd’hui ! allez du nerf !
Personne n’était dupe…
Marcher.
S’arrêter.
Lire (reprendre mon souffle).
Repartir.
Marcher en soufflant comme un bœuf.
S’arrêter et prendre l’air inspiré en lisant un haïku tout en essayant de ne pas mourir d’épuisement ou d’asphyxie… (Reprendre mon souffle)
Repartir…
Après tout La littérature ne permet pas de marcher, mais elle permet de respirer.
C’est Roland Barthes qui l’a écrit ! [7]
Ils ont tous été bien indulgents… Adèle, avec sa boussole toute neuve, jouait au guide-adjoint avec beaucoup de sérieux sous le regard amusé du guide officiel.
Nicolas restait greffé à son portable, à moins que ce ne soit l’inverse, que ce soit le portable qui ait pris le contrôle de tout son être…
Pas plus déplacé qu’un mec de 66 ans rivé à un livre, simple question de génération.
Julie faisait des photos…
On a fait une pause pour le pique-nique. J’ai beaucoup discuté avec Julie… C’était un tel plaisir d’échanger avec elle. Je lui ai confié que j’avais failli venir avec les Rêveries d’un promeneur solitaire… elle m’a confié ne pas être très fan de Rousseau. A cause de son prénom, on l’avait bassinée plus jeune avec Julie ou la nouvelle Héloïse. Avec le recul, elle pouvait apprécier cette dénonciation du poids des conventions sociales et l’élégance de l’écriture… Mais la vision que Rousseau a de la femme et de sa place, son déni du droit à l’éducation des jeunes filles… Non ça ne pouvait pas passer ! L’éternel débat entre la personnalité de l’auteur et ses personnages ou son œuvre… Entre le marionnettiste et sa marionnette…
J’ai fait connaissance (visuellement s’entend) avec une dame, Julia qui semble à la fois solitaire et très urbaine. Bien élevée comme on disait chez moi… mais un je-ne-sais-quoi de mystérieux : grande, élancée, volontaire assurément, sportive évidemment. Bretonne si j’en crois le triskell (je crois) tatoué derrière son oreille.
Alors simplement bretonne ou druidesse incognito ?
Il y a quelque chose dans le port de tête et dans la posture très droite, sans être raide, qui évoque la dame d’Avalon. En brune… Intrigante. Séduisante. Je n’ai pas pu discuter avec elle, moi dont l’intérêt pour la culture bretonne remonte à la Suite Sud Armoricaine d’Alan Stivell [8]. Si nous avons l’occasion de discuter, j’éviterai évidemment d’évoquer Nolwenn Leroy, je suis plus fan de Loreena McKennitt. Je connais même les sœurs Goadec.
En clair team beurre salé, plutôt que beurre doux insipide.
Je l’ai observée marcher d’un bon pas. S’arrêter, photographier des choses qu’elle seule semblait voir, ramasser ici un caillou, là une feuille morte ou une pomme de pin. Énigmatique jusque dans sa quête de “souvenirs”. A moins qu’elle n’ait choisi des ingrédients pour une mystérieuse potion ?
Je ne sais pas, mais en la regardant, je suis parti loin, vagabondant vers les brumes celtes… Alors qu’on était à quelques kilomètres de… De Choux !
6 heures de marche, mais, à cause de moi, je crois qu’on a passé plutôt 7 heures (voire 7h30 ?) sur le terrain…
A la fin de la rando, j’ai remercié le guide, même si - étant le plus clair de mon temps à plusieurs centaines de mètres derrière lui et le groupe - je n’ai pas pu profiter de toute sa connaissance du milieu.
Allez ! Je suis sûr que les nombreuses pauses que je vous ai imposées ont été appréciées, soyez honnêtes ! Souvenez vous : “Trop de repos n’a jamais fait mourir personne.”
Joseph m’a demandé avec un clin d’œil : une citation ?
Bingo ! Tristan Bernard !
De retour à l’auberge, j’ai glissé à Natou une feuille sur laquelle j’avais noté quelques haïkus qui semblaient l’avoir touchée…
Je suis rentré. Épuisé mais détendu. Dans ma tête, le mot merci clignotait au rythme de mes battements de cœur. Sans que je sache comment je pouvais le dire à voix haute.
Mais je trouverai !
On regarde nos vies
Sans jamais dire merci
A ceux qui nous font grandir
Au meilleur et au rire
A ceux qu’elle peut nous prendre
Aux pièges qu’elle peut nous tendre
Même si ça ne dure qu’une nuit
Et qu’au matin la grâce s’enfuit
Il faut savoir dire merci [9]
Notes
[1] Ce cher Jean Jacques Rousseau… que je n’aime pas du tout !
[2] Source Wikipédia
[3] Vous pouvez vérifier !
[4] On retrouve l’équivalent chez Alain dans Propos sur le bonheur.
[5] Pétrone
[6] Masaoka Shiki
[7] Roland Barthes / Qu’est-ce que la critique ?
[8] 1972
[9] Lilian Renaud - Savoir dire merci - 2016
1 Commentaire de Avril -
Sur ton bulletin scolaire, on peut écrire « En progrès. Persévérez. Encouragements du conseil de classe. »
;-*
2 Commentaire de Natou auteur -
Côme qui se met à apprécier les autres… le début d’accepter d’être aimé. Ça fait du bien à lire. Tu réussis à chaque fois à déclencher une forte empathie pour ton personnage. Bravo!
3 Commentaire de Ginou -
Que de “Morceaux choisis ” littéraires !
4 Commentaire de Sacrip'Anne -
Joli billet Côme :)
5 Commentaire de Arsene P Brisette -
Erudition, contemplation, émotion…. on souffle, on relâche et on reprend…
@ Avril: au début j’ai cru que tu parlais du billet (qui mérite au moins un accessit !) puis mon cerveau lent a finalement réalisé que tu parlais du personnage…
6 Commentaire de Malia (auteur) -
Brrr ! Une notation ! Est-ce possible ! Rien que ça et je deviens rebelle…
Pour le reste, Côme devient gentil et c’est moins piquant. Dommage ! (pur avis perso)
7 Commentaire de Come-de-la-caterie -
Pas simple de “contenter” tout le monde… Le personnage de Côme est complexe et ça me plait de faire naitre des commentaires contrastés…
L’auteur est-il plus équilibré ? Next question please !
8 Commentaire de Esteban -
Le trou est parfait mais il a un défaut : il est jaune. (je sors).
9 Commentaire de Kozlika -
Il y a la “dynamique de groupe”, qui nécessite ou en tout cas voit d’un bon œil un mouton noir qu’on se plairait à détester et il y a le personnage, qui a beaucoup plus sûrement le désir d’être aimé. L’auteur navigue comme il le peut – et à mon avis très bien – entre ces deux désirs.