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June East

Chambre 17

La fibre des Madonnes

Le temps s’était rafraichi. L’automne était-il déjà arrivé dans le Jura ? Éric était remonté dans la chambre prendre de quoi me couvrir les épaules pour notre tour quotidien du lac. Si j’avais su qu’il suffisait de dire « je t’aime » à un homme pour que sa galanterie soit décuplée, je n’aurais pas hésité à en abuser. Sous la véranda où je l’attendais, deux colombes en plein vol à deux au ras du sol couvaient leur oisillon de toute leur attention. Je me blâme et me fustige mentalement d’avoir la chanson de Mecano dans la tête à chaque fois que je les croise dans l’auberge. Tellement cliché ! Mais en même temps, a-t-on fait mieux depuis sur les amours féminines et le regard qu’on pose sur elles ?

Comme si j’avais besoin d’expier mon crime de lèse-originalité, je me suis approchée d’elles. Deux ravissantes filles en début de trentaine me sembla-t-il, les traits un rien épuisés, peut-être par ce petit glouton avide de leur énergie.
— Tu as bien choisi cette grenouillère. Il est vraiment mignon dedans.
— Heu, Charlotte, c’est l’ensemble que tu as acheté hier à Saint-Claude !
Je m’immisçai dans la conversation.
— Bonjour ! Vous étiez à Saint-Claude ? Nous aussi. Vous avez aimé la ville ?
— Bonjour. Oui, on en a surtout profité pour quelques courses d’urgence. Pollox a son charme, mais pour ce qui est des boutiques, les options sont plutôt restreintes.
— Et comment s’appelle cette petite merveille ?
— Côme, répondirent-elles en chœur.
— Ah. Enfin, je veux dire… Un prénom qui lui va très bien !
En les voyant si douces l’une envers l’autre, je repensais à mes quelques aventures saphiques. Plus dans le registre de l’expérimentation, de l’opportunité ou de la pulsion que de l’inclination réelle, à dire vrai. Le souvenir d’Anna Fox me revint. Ma dernière tentation. C’était ici même au début de l’été. Qu’était-elle devenue ? Cela me semblait si loin déjà. Au risque de me montrer intrusive, je m’aventurai à leur demander si elles n’avaient pas été victimes d’homophobie pendant leur séjour. Charlotte me répondit que non. Mes préjugés personnels se situaient donc vis-à-vis de l’ouverture d’esprit de la France profonde et non de l’orientation sexuelle.
— Et puis, l’opinion est plus réceptive à la fluidité des désirs, ajoutai-je
— Certains disent qu’il y aurait là un phénomène de mode. Je pense plutôt que le tabou étant tombé, les individus ont moins de réticences à expérimenter. Il n’y a pas plus de LGBT qu’avant. Juste plus de personnes qui osent assumer leur identité, me répondit Marianne.
— Attention, vous allez avoir droit à ses tirades militantes si vous continuez sur cette voie, sourit sa belle.
Je compris que j’avais assez abusé de leur intimité et conclus en plaisantant : « Une chose est certaine, ce petit boutchou aura la chance de ne pas être corrompu par une mauvaise influence masculine ! ».

Javot choisit cet instant pour faire son entrée. Il les salua et leur demanda tout de go l’autorisation de prendre Côme dans ses bras. Sans-gêne niveau 4. Elles acceptèrent à ma grande surprise et il s’assit dans le fauteuil avec le bébé sur ses genoux, une main derrière la tête du bébé. « Ahreu ! Ahreuuuupeuteupeuteu ! ». J’ai bloqué net. Je passe sur les Agha-Aghas. Charlotte et Marianne le regardaient avec le sourire de celles qui ont l’habitude de voir des adultes gagatiser devant leur précieux, et qui ont renoncé à intervenir. Je dois avouer quand même qu’il m’a cueillie avec les Abouzoubouzous. Je n’ai pu m’empêcher de le trouver attendrissant.

« Tiens, June, prends-le dans tes bras. Tu vas voir, il est trop adorable ! »

What the Fuck, Javot !

Avant même que je puisse réagir et décliner poliment, Éric s’était levé, prêt à me refiler le bambin. Impossible de refuser sans paraitre insultante. Je glissai mes mains sous ses bras pour le soulever quand Charlotte se redressa de sa chaise en panique. Javot prit les devants. « Pas comme ça, malheureuse ! Tu veux lui briser le cou ? Mets tes bras en berceau, je vais te le poser ». L’audition pour le rôle de la Madonne à l’Enfant était mal engagée. De toute façon, pour ce qui était de la virginité, il y avait belle lurette que…


Si tu me baves dessus, je te pince les cuisses, que ce soit clair !

C’est donc ça un bébé ? Mouais.

C’est mignon, mais bon, côté conversation, c’est plutôt limité.

Il a une bonne bouille, faut avouer.

Oh, il m’a fait une risette ! *_*

Haaan et ses petits doigts qui s’agitent comme s’il jouait du piano ! <3

Qu’est-ce qu’il a à me regarder comme ça, l’autre gâteux ?

Y a un courant d’air dans mes yeux là, non ?

Ah… Elle me le reprend.

Pfff… Je n’ai même pas eu le temps de lui faire un bisou.

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