Jeudi 27 août
Ce Jeudi matin, j’ai pu travailler sans précipitation et passer des appels de la terrasse. Le lainage et les chaussettes s’imposent, mais la fraicheur de l’air et la beauté du lac vous mettent en forme.
Frédéric est d’accord sur ma stratégie.
Le client affiche, avec prudence, son soutien. La Région revient sur une position qui nous favorise en termes de budget. Bricarde a envoyé les arrêtés à la relecture.
Mieux encore, les Amis de la Crasse et des Sit-in sont prêts à faire des concessions sur le projet en échange d’aménagements :
- ajout d’un bardage de bois sur les murets de soutènement (ne sert à rien, sera enlevé dans 3 ans),
- un crapauduc pour les Reinettes (hors de propos car les crapauds envahissent les mares du coin et bouffent les Reinettes, que les textes qu’ils ont fait passer empêchent de réintroduire),
- mise en place d’une aire de tri pour les déchets à l’entrée de la zone où les touristes pourront accéder (là RAS),
- installation d’une éolienne au Chalet de la Bienvue (un hochet pour le Géant couleur de chlorophylle, avec son ancrage en tonnes de béton, ses pâles qui ne verront jamais un circuit de recyclage et son générateur au diésel qui pourra contrer les facéties de l’anticyclone, et bonjour l’enquête d’utilité ! ),
- installation d’un couple de référents à la ruralité dans une demeure de tradition de la région (à 95%, et après une sélection respectant à la lettre la transparence d’une opacité que l’administration chérit , les référents seront le Géant et sa femme ou son mari, selon un stade de transformation de genre qui m’échappe encore).
J’ai également fait une rencontre de type III. Ou plutôt de la « cagole » de type 1.
Comme ceux qui se font des idées sur les gens du Sud, d’après Mado la niçoise, je pensais que la « cagole » était une créature issue de la Mythologie ou d’une exagération de ces régions.
Voir cette nymphette, dont la générosité des formes, les tenues, le maquillage, la taille, l’énergie, le parler… composaient un mélange de zèbre et de panthère, proche de la détonation, se matérialiser devant mes yeux dans une auberge du Jura avait un degré d’improbabilité tel que je ne savais pas quoi en penser. Cette sirène venue de l’azur des flots ? Ici, à Pollox ? Etait-ce encore cette conjonction que je pressentais ?
Toujours est-il que la croisant, par hasard, je me décidai à l’aborder (je vais essayer de reproduire de mémoire les expressions de Marseille mais c’est autre chose que nos intonations des Alpes…)
« Pardon Mademoiselle, Natacha, c’est ça ? Vous travaillez ici ? »
« Bonjour Monsieur, vé oui moi c’est Natacha ou Natou, je peux vous aider ? »
Elle plantait la clarté de ses yeux dans les miens avec une insouciance et une franchise qui me déconcertaient. Pourquoi ces artifices ? Cette fille du Sud, avec le costume de Manon des Sources… Simplicité et bravitude… Elle aurait embrasé (ou embrassé) la garrigue !
« Je ne veux pas vous déranger, mais comme vous travaillez ici, je me disais que vous devez connaître les gens et le lieu… »
Je sentais son regard sur moi, vis une lueur passer sur son visage, et son sourire s’élargit (jusqu’où irait-il ?) sur des dents qui rayonnaient, malgré l’apparition par moments d’un morceau de chewing-gum. Une main sur la hanche, le coude de l’autre bras sous la générosité de sa poitrine, son index se tendant vers moi ; les reflets de paillettes d’une parodie de sac à main, dansant à sa taille et d’une couleur jamais vue, brouillaient ma vision avec insistance. Elle s’exclama :
« Mille pardons, ça me fait rire, mais c’est pas de vous ! Vous ne parlez pas comme les gens d’ici, et pas comme les gens de chez moi, mais, pour de vrai, vous êtes le portrait d’un cousin de Man, de Toulon, avé la barbe que vous taillez comme lui, il est à la retraite, l’Ancien. C’est tarpin dégaine ! Manque plus que vous fumez la pipe. Je vous mets au Vallon des Auffes en photo sur un Pointu, le tricot avé les rayures et on y croit… Bé pour la question d’ici, vous n’encapez pas car je commence la saison… »
J’abordais l’IGN.
« Je peux répondre nature peinture : Madame Lalochère, elle glandouille pas avec l’hygiène, ça vé, vous pouvez dormir sur vos deux esgourdes ! »
Je n’insistais pas.
Merveille de voir cette Ingénue sur l’histoire de l’Auberge et son architecture…
« Bé, pour ce que j’en entrave, c’est comme un mas, en fait, qui remonte aux troubadours, la Jeanne y a mis un coup de frais ! Et pas la Jeanne d’Arc, la lochère»
J’embrayais sur le papier que ma réparation de miroir m’avait permis de découvrir. Le mot portant la signature d’Antonio Manilla.
« Et par hasard Natacha, vous savez qui a occupé la chambre numéro 5 avant moi ? »
Je la vis regarder dans le vague…
« Ce n’est pas mon genre de bajarquer sur les gens mais c’était un marin, une personne d’honneur avé une fille mais que sa légitime elle ignorait, bé il était plus proche de 30 que de 40. »
« Et le nom d’Antonio Manilla… »
Je n’eus pas le temps d’ajouter « vous parle-t-il ? »
Ceux qui ne connaissent pas la Méditerranée pensent qu’il s’agit d’un Pacifique au sens littéral, une mer d’huile où les naufrages sont, à la Brassens, l’occasion de sauver le pastis d’abord. Comme ce qui arrive sur cette mer dans la réalité, le coup de vent qui bouleversa le visage de Natacha aurait démâté des thoniers et fait trembler des Cap Horniers.
La lèvre tremblait, le poing vibrait sous mon nez, les iris s’élargissaient pour mieux me foudroyer, la bandoulière de son sac frémissait sous l’effort, alors que les cheveux semblaient flotter par une volonté venue de l’intérieure, sa voix me fit l’effet de la bourrasque…
« Y’a dégun ici de ce nom ! Et vous croyez que je suis à l’agachon pour savoir les mastres qui vont à gauche, à droite ou devant ? Fatche de question de con de Manon ! »
Elle me tourna le dos : le bronzage de sa peau, la fluorescence des couleurs, la puissance des cuisses nues, la marque d’une culotte, les talons des Tropéziennes frappant le sol. Quelle image ! La cagole c’est bien plus qu’on ne le dit ! Et je n’y comprenais rien…
« Fais du bien à Bertrand, il te le rend en caguant ! Je m’avance maintenant, parce que l’Auberge m’attend »
Un quart de tour, une phrase de fin jetée par-dessus l’épaule, avant de disparaître dans des effluves de peur et de patchouli.
1 Commentaire de AkaïAki -
Oh Arsène il ne faut pas nous l’énerver notre Natou ! C’est le soleil de l’auberge avé son sourire et son assent.
Quelle rencontre !
2 Commentaire de Natou auteur -
Que j’aime voir Natou à travers le regards des autres ;-) Bravo Arsène.
3 Commentaire de Avril -
Une description aussi détaillée d’un autre personnage que le sien, bravo Arsène pour ce courage. Il fallait oser.
Que j’aime le style de ce paragraphe ! <3
Et un rire pour conclure le billet en prime. Chapeau, un très beau billet.
4 Commentaire de Samantdi -
Encore un billet réjouissant ! Natou vue par Monsieur Brisette c’est quelque chose !