Je suis en mode pilotage automatique depuis mercredi…
J’ai pleuré longtemps.
Silencieusement.
Machinalement.
J’hésitais à fermer les yeux car immanquablement le visage de Maman s’imposait à moi… Un visage souriant doucement, tendrement. Un visage dans lequel je craignais de déceler une éventuelle lueur de reproche. Mais rien. Juste ces yeux souriants, et cette indéfinissable expression de gamine joueuse qui illuminait son sourire. Ces rides au coin des yeux… Maman assumait ses rides, creusées par le ruissellement de la vie.…
J’aimerais tellement pouvoir encore caresser ses joues, me blottir contre elle ou plutôt la laisser se blottir contre moi, une dernière fois.
Maman avait une passion, l’amour de toute sa vie, mon Papa… Elle l’a rejoint. Moi qui suis un mécréant, tout d’un coup, j’ai envie de croire à la vie (ou une vie ?) après la mort. Parce que je ne peux pas imaginer Maman et Papa dans le néant.
Un au-delà ? Pourquoi pas ? Pourquoi les morts ne vivraient-ils pas ? Les vivants meurent bien. [1]
J’ai consulté une nouvelle fois ma boite mail… Entre les spams pour des rencontres coquines, les pilules garantissant des érections en béton, les ventes-privées chez Size-Factory-le-spécialiste-des-grandes-tailles, les conventions obsèques, je recherche les mails de mon frère et de mes sœurs…
Ils ont calé un rendez-vous chez le notaire à la fin du mois.
Ils me reprochent mon silence… Ils ne s’inquiètent pas de savoir si ma disparition et mon silence sont le signe d’un problème plus ou moins grave… Je suis absent et je leur laisse la charge de tout organiser-prévoir-organiser et ça, ça leur est insupportable.
Je n’irai pas.
Je me souviens de Marie Darieussecq qui disait : Dans une famille on a beau avoir vécu les mêmes choses, on n’a pas les mêmes souvenirs.
[2]
Mon héritage ne figure pas sur l’inventaire, entre un buffet en chêne massif et des bijoux en or ou en argent… Mon héritage ce sont les sourires de Maman qui me disait toujours, lorsque je la quittais, Heureusement que je t’ai, toi !
Je me demande quand même ce qu’ils vont faire de la collection de chouettes que Maman avait patiemment constituée depuis près de 50 ans. Il doit y en avoir 8 ou 900. De toutes les tailles. De toutes les formes. Réalistes, stylisées, folkloriques, en terre cuite, en verre, en plâtre, en bois, en plumes, en métal… La dernière de la collection, c’est moi qui l’ai trouvée et offerte à Maman. Une chouette en faïence de chez Henriot… [3]
J’aimerais bien récupérer le couple de chouettes affublées d’une coiffe bigouden [4] que Papa avait offert à Maman pour leurs 40 ans de mariage.
Avec un peu de chance, quand je reviendrai dans la vraie vie, la maison ne sera pas encore vide… Et je pourrai l’emporter.
Je suis en pilotage automatique et j’essaie autant que faire se peut d’éviter les autres clients.
Le mode survie est enclenché et, quand je descends à la salle à manger, c’est presqu’en catimini.
Je dois avoir une telle tête que les rares personnes que je croise me disent bonjour avec retenue. J’entends bien, quand je leur réponds, que ma voix est sourde et terne.
Je devrais m’habiller en noir et descendre en salle avec la corse de la chambre 2 à mon bras. Genre la Famille Adams déjeune…
Pas sûr qu’elle soit d’accord… mais au moins ça me donnerait une contenance…
Et puis ça détournerait les questionnements, muets mais pesants, que je sens dans les regards des autres.
Je suis parti m’isoler dans les bois… Je n’ai pas laissé la main à mon iPod. J’ai choisi, pour m’accompagner, la musique de Jonathan Livingstone le Goéland [5] parce que j’avais besoin d’une musique qui me permette de quitter mon corps pour quelques heures…
Lonely looking sky
Lonely sky, lonely looking sky
And bein’ lonely
Makes you wonder why
Lonely looking sky
Lonely looking night
Lonely night, lonely looking night
And bein’ lonely
Never made it right
Lonely looking night
L’apaisement est venu tout doucement même si les larmes coulaient encore.
L’apaisement est venu alors que la nuit commençait à colorer le ciel de couleurs changeantes…
J’ai repensé au Roi Lion [6], j’ai repensé à Simba regardant les étoiles dans le ciel… He lives in you est naturellement devenu She lives in you…
There’s no mountain too great
(Oh, oh, iyo)
Hear these words and have faith
(Oh, oh, iyo)
Have faith
(Hela hey mamela) She lives in you
She lives in me
She watches over
Everything we see
Into the water
Into the truth
In your reflection
She lives in you
C’est bien la peine de vouloir lui donner vie maintenant, alors que tu l’as abandonnée…
Oh ce sentiment de culpabilité, dont je ne sais pas, dont je m’imagine pas qu’un jour il me quittera…
Dans ma tête, je pensais à ces enfantillages qui nous ont tous accompagnés quand on était gamin…
Je vais me réveiller et tout sera comme avant. Je compte jusqu’à 3 et si je vois un oiseau dans le ciel… Si ce scarabée grimpe sur cette brindille…
L’espoir d’un signe, la quête DU signe …
Le signe que Maman va m’envoyer pour me rassurer une fois encore… Une dernière fois…
Le signe qui me dira que Maman ne m’en veut pas… Qu’elle est partie mais qu’elle m’aime toujours…
Je ne pouvais pas contrôler les larmes qui coulaient sur mes joues…
Au milieu des hêtres, des érables, des épicéas, des sapins… dans la pénombre… je cherchais j’espérais ce signe…
Et puis je l’ai vue. Une chouette, une hulotte. Posée sur sa branche, à quelques mètres de moi. Je ne l’avais entendue, je ne l’avais pas vue se poser là, tout près…
Mais elle était là, elle me regardait…
Il était là ce signe… Maman m’avait envoyé LE signe que j’espérais…
Je suis rentré à l’auberge. Des larmes toujours plein les yeux mais…
Merci Maman…
Toi seule sait que je ne t’ai jamais abandonnée…
Je peux pleurer pour toi, et non plus sur moi…
Merci Maman… Si tu savais comme je t’aime…
Notes
[1] Chaval, dessinateur humoristique - 1915/1968
[2] Interview à l’Humanité - 2001
[3] Henriot à Quimper. Ceux qui savent, savent !
[4] Véridique ! j’ai vu ça un jour dans la devanture d’une boutique de souvenirs à Carnac
[5] J’adore ce film, et plus encore sa B.O.
[6] On n’a pas toujours des références de haut-vol !
1 Commentaire de Sacrip'Anne -
Bel au revoir…
2 Commentaire de Malia (auteur) -
“Et puis je l’ai vue. Une chouette, une hulotte. Posée sur sa branche, à quelques mètres de moi. Je ne l’avais entendue, je ne l’avais pas vue se poser là, tout près…
Mais elle était là, elle me regardait…
Il était là ce signe… Maman m’avait envoyé LE signe que j’espérais…”
C’est un texte très juste sur la perte de la mère, l’inconsolable. La collection de chouettes apporte une micro touche d’humour bienvenue. Et ces signes qui surgissent et nous consolent un instant, on les recherche tous, et longtemps. Et quand on ne les détecte pas, on fait de la généalogie, on fait revivre l’absent ou l’absente. Vraiment, chouette texte (sans blague).
3 Commentaire de Avril -
Petite confidence, il m’arrive encore de faire cela. Non pas parce que j’y crois, mais en clin d’œil à la gamine qui y croyait.
Tellement vrai. Il est là leur paradis.
HUGS !
:-*
4 Commentaire de Arsène P. Brisette -
Comme quoi, nous cherchons tous à savoir ce qu’il y a derrière le voile. Très beau texte qui me donne envie d’interagir avec Côme. Comme Arsène, je pense qu’il s’entoure d’illusion, d’apparence et d’affectation. La mort qui fait irruption, le réel qu’on ne peut ignorer, s’ils ne brisent, grandissent les personnages. Je le connais mal mais le Côme que je percevais avant m’agaçait (parfois et un peu) dans sa volonté d’être agaçant et singulier. Ce Côme nous rejoint (et nous dépasse) par sa peine et son humanité simple.
Arsène, sans le savoir, attend peut-être une rupture, un caillou dans la chaussure, pour enclencher ce cheminement qu’il ne sait pas entamer autrement…
5 Commentaire de Éric Javot (L'auteur) -
Tant que ce n’est pas le fils unique du grand goéland qui t’as rendu visite ;-)
6 Commentaire de Natou auteur -
Les signes et les rêves pour retrouver nos morts…
En plus tout cela est si bien écrit.
7 Commentaire de Come-de-la-caterie -
Merci pour vos commentaires !
Ces deux dernier billets (mais je crois que ça se sent) n’ont pas été les plus faciles à écrire…
8 Commentaire de Samantdi -
Très beau texte, dans la lignée des précédents.
(cette petite chanson sans prétention et pourtant si évocatrice)
9 Commentaire de Noé -
Il est heureux qu’ils n’aient pas été faciles, ce serait inquiétant pour l’auteur. Mais la difficulté ne se “sent” pas, parce qu’ils touchent juste ! Merci et bonne route, Mossieur Come
10 Commentaire de LostSun -
Un hommage à une mère disparue qui a vibré en moi, cette incapacité à gérer l’après, ce signe que l’on espère sans y croire vraiment, jusqu’à la collection de chouettes toujours présente dans ma propre maison familiale.
Ce refus de l’aurevoir !
Merci !