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Livia Agostini

Chambre 2

La Mafia Corse

Oh Gianni, mon fils, je n’en peux plus, il faut que tout ceci s’arrête. Tu te souviens de Dumenicu Fortini qui m’avait accusée de pratiquer un double jeu, de montrer une image de moi alors que j’étais quelqu’un d’autre ? Quel testa di cazzu ! Comme si j’avais le temps et l’énergie pour ces supercheries. Mais peut-être est-ce de cela qu’il me tient rancune, ce baullò. Il faut que je rentre au pays et que je lui prouve ma sincérité. Demain matin, je bouclerai mes valises et mettrai définitivement un terme à cette effroyable fuite dans le maquis du Jura.

Ce sera sans regret aucun, je n’ai aucune confiance en ces gens qui trainent dans cette auberge. Je les soupçonne tous de manigancer en douce tels des conspirateurs romains dans un forum antique. Hors de question que je sois la Cesaria dans laquelle un de ses Brutus viendra plonger sa lame. Plutôt manger des blettes ! Oh Sign…

Note de La Direction : Une notification s’est affichée sur l’écran de Livia Agostini pour l’informer de la réception d’un courriel de son fils Gianni. Elle a interrompu sa rédaction pour le lire

Date  : 27 août 2020 à 20:20
De  : GianniAgostini@forzacorsica.fr
À  : LiviaAgostini@forzacorsica.fr
Objet  : Le Maquis C’est Fini !

Mama Livia,

Ce mail te remplira certainement de joie. Je t’annonce que tu peux revenir en Corse dès demain. J’espère que tu ne m’en voudras pas après l’aveu des vraies raisons de ton séjour dans le Jura.

Voilà six ans que je te tanne pour que tu acceptes que je retape ta vieille maison délabrée sur la falaise de Cargèse. La toiture devait absolument être refaite et les façades ravalées. Six ans que tu refuses que je « gâche mes vacances » pour toi. Alors j’ai pensé que la seule solution était de t’éloigner quelque temps au diable Vauvert sur le continent. C’est Larenzu Fortini qui a eu l’idée de la plume de corbeau et du maquis. Il m’a donné un sacré coup de main pour changer les tuiles du toit et aussi pour gratter et repeindre les murs. Dumenicu Fortini, son père, a même tenu à t’acheter des fenêtres double-vitrage. Il les a posées lui-même. Je lui ai dit que ce n’était pas la peine, mais il a insisté en évoquant je ne sais quelle querelle dont il était responsable et espérait s’amender. Avec ces fenêtres, tu n’entendras plus la mer sur la falaise. Tu dis tout le temps que les vagues te rendent dingue.

Les travaux sont maintenant terminés. Ta maison est magnifique. Dès que j’ai rebranché la box internet, je me suis précipité pour t’annoncer la bonne nouvelle avec ce mail. Je découvre que tu m’en as écrit six que je vais lire tout de suite après l’envoi de celui-ci. Je suis impatient de découvrir le récit de tes belles vacances.

Nous ferons un grand repas pour ton retour. Avec tous les Agostini et les Fortini. Ça va être la fête !

Rentre vite, tu me manques.

U to figliolu, Gianni chì ti ama.

Note de La Direction : Livia Agostini a attrapé son sac à main et a quitté sa chambre en laissant derrière elle ses vêtements noirs, son ordinateur et un drapeau corse cloué au mur au-dessus de son lit. Elle est passée devant la réception en hurlant « Ghjesù Ghjesù ! Qu’on m’apporte une carabine, je vais le tuer ce fils ! ». Elle a disparu sur la route de Pollox en vociférant des insultes. Dans quelques années, une légende de Jura racontera que les soirs de grands vents, on entend encore à travers les sapins l’écho de la voix d’une veuve Corse gronder « Gianni, u mo figliolu, o mulizzò, tù brusgi ! ».

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