Informations sur l’accessibilité du site

Pétronille Delatour

Chambre 18

Cache cache

Mercredi 26 août 22:41

J’ai couru à perdre le souffle.
Quand à l’abri des regards, une clairière magnifique, calme et verdoyante m’a vue tomber, comme un caillou.
Je suis restée là, le vent frais sur la peau. J’ai senti sur ma joue une goutte salée et amère à la fois.

Oui je sais bien père, une fille de général ne pleure pas, elle tousse pour cacher son chagrin. Je le sais bien.

Mais pourquoi venait-elle hanter mes nuits ? Pourquoi ici en ces lieux ? Je l’avais perdu il y a si longtemps.

Pas un son n’était sorti de sa bouche depuis mon onzième anniversaire. Pas une seule syllabe. Elle ne s’adressait qu’à Madeleine quand ni moi, ni le général n’étions présents.

Mais son rire je ne l’oubliais pas.

J’avais presque 3 mois quand le colonel fût détaché en Afrique, à l’autre bout de la terre, là où il faisait trop chaud pour nous.

Mère m’avait emmené vivre avec Madeleine chez ses parents à Saint-Claude pendant les manœuvres. Un grand domaine, entouré de prés et de bois de sapins.
Mère riait, je courais, je me cachais, elle me trouvait en criant « je t’attrape !»

Au retour du général, j’avais 3 ans 2 mois et 17 jours.

Nous sommes retournés à Ainay, dans un immense appartement ou les planchers semblaient vivants.
Mes grands parents me manquaient, mais nous allions les visiter au caveau numéro 23 allée 11.
Peu après la naissance de ma sœur cadette, mère changea. Elle était de moins en moins gaie. Le matin du grand bruit, il y a eu des sirènes, et cernée par des blouses blanches, elle disparut, plusieurs semaines.

Quand elle fut de retour, le général me fit appeler,

- « Pétronille, votre mère a perdu la raison, mais ne vous inquiétez pas, je suis là, je prendrai soin de vous, je vous le promets. »

Il a tenu promesse.
Et mère s’est tue, à jamais au fond de sa bascule mangeant des chocolats.


J’ai dû m’endormir dans la forêt, seule, elle n’est pas venue me trouver.

De retour à l’Auberge, il régnait une grande effervescence dans la véranda.

La jeune fille oiseau riait de bon cœur, un homme plus âgé, maculé de je ne sais quel breuvage cherchait une bonne âme pour le soulager d’un nourrisson aux yeux écarquillés et nu comme un ver, une grande jeune femme a saisi l’enfant avec une tendresse infinie et un immense sourire. Il régnait une ambiance de fête, j’ai oublié la nuit, la clairière et j’ai souri.

Une paire de lunettes noires scrutaient les mailles d’un tricot. J’ai croisé mon reflet dans ces miroirs et je ne sais pourquoi, j‘ai préféré hâter le pas.

Ce soir j’avais faim. J’ai dîné d’une quenelle de brochet de bonne facture, soufflée à point, accompagnée de légumes d’été, confits comme il se doit dans une huile d’olive vive et sans amertume. Mets raffiné, délicieusement surprenant pour un établissement de cette gamme.

Au retour, dans le couloir, une cousine de l’Empereur se détourna sur mon passage comme si elle avait vu le diable.

Je pourrai demain en me rendant à Pollox faire quelques emplettes. Peut-être trouverai-je une échoppe comme il en subsiste en campagne, et quelques soldats de plomb pour la collection de père.

ll faudra que je signale au factotum que la porte de ma chambre claque et que le blount ne fait pas son office.

Haut de page