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Karl Stern

Chambre 10

Privilégier une intégration progressive

Il est temps pour moi de penser à m’intégrer progressivement dans le microcosme de cette auberge. C’est un peu l’autre côté de la pièce de ce choix de résidence : beaucoup plus de séjours longs, moins de passage, des présences moins anonymes. Ça risque d’être un peu plus délicat à gérer que je l’avais estimé. À moi de faire que cette partie ne devienne pas trop chronophage, sans que je ne la néglige cependant. M’exposer inutilement serait une erreur grossière. Passer inaperçu, tout aussi peu flatteur pour l’ego que cela puisse paraître, est l’une des caractéristiques qui font ma valeur sur le marché. Après mon efficacité et mon taux de réussite, évidemment toujours à 100 % au moment où j’écris ces lignes, qui restent mes principaux arguments, cela va sans dire.

Je suis arrivé tard, dimanche soir. En fait, je me suis présenté et enregistré tard. J’étais déjà sur site dès les premières heures de l’après-midi. L’occasion de faire une rapide reconnaissance des environs proches, de commencer à observer mes futures fréquentations à bonne distance, hors d’atteinte. Quant à l’enregistrement tardif, c’est une première sonde idéale pour tester la qualité et la vigilance du service de nuit. Rien à redire sur la qualité : le type n’est pas des plus souriants au premier abord, courtois et serviable néanmoins, certainement un gars sympathique mais souhaitant garder ses distances (et un minimum de tranquillité en passant, ce que je comprends très bien). Sur la vigilance, je ne suis peut-être pas à la meilleure enseigne : sous des faux airs distants, distraits, détachés, le bonhomme paraît être pourtant particulièrement à l’affût. Une grande expérience certainement, puisqu’il n’est pas de toute première jeunesse. Point non négligeable : surveillance vidéo très limitée et concentrée.

La découverte de ma chambre m’a fait l’effet d’un pied de nez. Spacieuse, aménagée et agencée avec goût, de la qualité même dans les détails et rien de tape-à-l’œil, un balcon agréable et pratique, ainsi qu’une belle vue sur le lac, je ne sais pas comment sont les autres chambres mais la directrice ne m’a peut-être pas raconté d’histoire en mentionnant sur ma confirmation que je disposerais d’une des plus belles chambres. J’étais persuadé que cette précision n’était rien de plus qu’un bête truc mécanique tout droit sorti d’un manuel de bonnes pratiques commerciales. J’en suis pour mon compte. J’y vois aussi un signe inquiétant de relâchement : jugement erroné, à l’emporte-pièce, infondé, tout du moins pas directement observé ou constaté. Un terrain glissant qui pourrait devenir dangereux en d’autres circonstances, si je ne fais pas plus attention. Devrais-je m’en inquiéter plus sérieusement ?

Hier, je suis parti très tôt le matin. Pour ne pas rentrer avant la nuit. La journée ayant été consacrée à la reconnaissance et au pointage des différents itinéraires pour les multiples trajets que je vais devoir effectuer au cours des semaines à venir. Je n’aime pas être pris au dépourvu sur la route. Mon métier ne permet pas d’arriver en avance et ne pardonne pas les retards. Au bon endroit au bon moment, dans les bonnes conditions. Sinon, les affaires deviennent toujours plus délicates à conclure. Risquer des complications alors que le service que la compagnie propose tient essentiellement sur la simplification des problèmes, voilà qui nuirait à notre image. Et comme la réputation de la compagnie est son seul vecteur de promotion, toute tache à cette dernière est très vite lourde de conséquence pour qui en est à l’origine. J’ai eu écho de quelques belles carrières soudainement interrompues, juste pour négligence d’un mince détail. Je préférerais ne pas rejoindre cette liste.

Autant dire qu’à part le veilleur de nuit déjà rencontré la veille, je n’ai croisé personne. Sauf cette jeune femme, plutôt jolie, de petit gabarit, excessivement matinale même pour la sportive qu’elle donne l’air d’être. Je l’ai trouvée discrète, elle aussi. Pas forcément à vouloir passer inaperçue. Plus comme une simple habitude de ne pas vouloir se faire remarquer. Seul le sourire légèrement teinté de connivence qui accompagnait le bonjour qu’elle a alors adressé au veilleur trahissait une possible résidence depuis plusieurs jours déjà. Simples sourire et hochement de tête polis en ma direction. Je les lui ai rendus à l’identique, un peu par habitude, un peu par mimétisme. À l’autre bout de la journée, guère de monde dans les couloirs après 23 h 30. À vérifier une nouvelle fois ce soir afin d’éviter des conclusions trop hâtives. Je m’accorde quelques jours avec leurs trois repas, pour mettre des noms sur les têtes de la majorité des résidents. Et surtout repérer et cerner au mieux mes voisins directs, en prenant bien soin de leur associer des numéros de chambres. On ne sait jamais.

Ah ! Tiens…

Là-bas, le long du lac, la jeune sportive entame son jogging. 5 h 15. Peu ou prou la même heure que celle de notre rencontre furtive à la réception hier. Ça sent le rituel. Entraînement lié à une pratique professionnelle ou la demoiselle est juste un peu control freak ? Pas entendu de bruit de porte ou de pas dans le couloir. Pas à cet étage, donc.

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