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Natacha, dite Natou 13

serveuse

L'ennui

Ce matin j’ai trainé dans mon lit, vé, je me suis réveillée avé « l’envie de rien », j’étais molle comme une figue trop mure. Mé, à rester comme ça dans le lit, le ciboulot a recommencé à tourner ses questions et tout ça faisait du brouillard. Bé ! D’un coup j’en ai eu ras la pomponnette et je me suis levée.

Bé, je me suis faite toute belle, ça m’a bien occupée et pis ben quand ce fut fé, je me suis retrouvée comme une cougourde. Qu’est-ce que je peux faire ? Je sé pas quoi faire ?

Je suis allée voir Janette dans la cuisine, lui proposer de l’aide mé elle m’a dit :

- Natou, c’est ton jour de congé aujourd’hui ! Tu as mieux à faire que trainer ici ! Allez oust, sors de ma cuisine ! Sors, va te promener !
- Tu as raison Janette, tu as raison.

Bé, je suis sortie de la cuisine, et j’ai commencé à tourner en rond dans le patio. Y avait Javot qui trainait là, y lisait pas, y faisait rien.

- Bé, Bonjour Éric, vous méditez ?
- Bonjour Natou, non, je rêvasse.
- Ah…
- …
- Vous inventez une histoire dans votre tête ?
- Pas vraiment, je laisse mes pensées dériver.
- Ah…
- …
- Et je peux vous demander à quoi vous pensez ?
- Rien de précis…
- Ah…
- …
- …
- Ça va Natou ?
- Oh oui ! Ne vous faites pas de bile, ça va !
- …
- Bé, en fait…
- Oui ?
- Je m’ennuie
- C’est très bien de s’ennuyer, c’est bon pour la créativité.
- Ah… C’est que j’ai pas l’habitude. Je m’ennuie jamais.
- Jamais ?
- Non, c’est la première fois je crois.
- Et tu ne trouves pas ça agréable ?
- Bé non, j’aime pas trop ça. J’aimerai bien faire quelques chose, mé je sé pas quoi. J’ai envie de rien.
- Si tu veux on va se promener un peu autour du lac en attendant que June finisse son jogging.
- Bé, c’est gentil ça, mais je veux pas vous embêter.
- J’y vais de toute façon.
- Bé c’est d’accord.

On est allé marcher un petit peu.

- Y fait frais, mais y fait beau té !
- Oui, les jours raccourcissent déjà.
- Oui
- …
- …
- …
- …

Rien, on a rien dit, on a juste marché. Bé c’était bien. C’était bizarre, mais c’était bien.

Après June est arrivée, et je les ai laissés tous les deux, c’était l’heure de manger midi.

Je mange pas dans le restaurant, pace que sinon, les clients y savent plus si je suis de service ou non, je mange en cuisine, d’habitude je mange avé l’équipe avant le service, mé là je suis arrivée trop tard, Janette m’a mis des restes à réchauffer et pi je me suis mise dans un coin pour pas déranger.

L’après-midi, pareil, je me traine, je me dis que je vais aller voir Henri dans son Hamac, mais il y est pas, j’ai pas envie d’être toute seule, alors je retourne vers le lac. Je vois Mossieur Come, il est en train de lire et il a des écouteurs dans les oreilles. Vé, l’avait pas envie de faire la causette, c’est sur ! Et pi, c’est le genre de mossieur qui faut pas déranger, après ça le rend méchant. Mé bon, je me suis assise quand même. La plage est à tout le monde. J’ai rien dit. Pour une fois j’avais pas envie de parler. C’est bizarre, pas avoir envie d’être seule et pas avoir envie de parler. Je me dis « Fan, qu’est ce qui m’arrive ? » Je regarde le Mossieur Come, y lit « le journal de Jule Renard ». Je pense au petit prince et à son renard et je pense à Sébastien… Salette ! J’ai une de ses envies d’aller à la ferme ! Mé bon, j’y vais demain avé June, alors je vais pas faire l’arapède ! Et pi, je me connais, je m’emballe, je m’emballe, mé je le connais pas Sébastien, je veux pas refaire comme avé Toni. Et pi si ça se trouve, Sébastien s’en bati de moi ! L’est gentil comme tout le monde, mé, je lui plais pas plus que ça, c’est de l’amitié té ! C’est bien, c’est très bien de l’amitié ! ça me va ! Mé peuchère, que j’ai envie d’aller à la ferme !

Et pendant que je me pense tout ça, je m’agite, je me lève, je regarde le lac, je me rassois. Un vré asticot !

- Pouvons-nous étouffer le vieux, le long remord,
Qui vit, s’agite et se tortille
Et se nourrit de nous comme le ver des morts,
Comme du chêne la chenille ?
Pouvons-nous étouffer l’implacable remord ?
- Quoi ? Vous me parler à moi ?
- Baudelaire vous parle mademoiselle, à travers ma bouche
- Je connais pas
- Je sais. Vous n’arrêtiez pas vous agiter à côté de moi…
- Oh pardon, je vous ai dérangé ! Je m’en vé, pardon.
- Je ne vais pas vous manger.
- Bé, je sé, mais je veux pas vous embêter.
- C’est raté, c’est fait.
- …
- Mais ce n’est pas grave. Seulement, choisissez, sois vous me parlez de ce qui vous embêtes et vous agite, sois vous vous tenez tranquille que je puisse lire.
- Bé, j’ai pas très envie de parler, mé j’ai pas envie d’être seule non plus. C’est un peu fadoli, hein ?
- Je comprends ça. Je ressens ça souvent.
- C’est vré ?
- Oui.
- Et comment vous faites ?
- La plupart du temps je suis désagréable. Ça freine la conversation.
- Ah, bé, ça je crois pas que je saurais faire.
- C’est très efficace pour ne pas parler, mais c’est nul pour éviter la solitude.
- Ah.
- Alors, je lis. Quand je lis, je ne suis pas seul. Je vis parmi des personnes passionnantes qui ne me juge pas.
- Bé moi, ça m’endort.
- Et c’est un problème ?
- Je sé pas… Bé peut-être je vais chercher mon livre que j’ai acheté l’autre jour !
- Voilà.
- Merci.
- De quoi ?
- Bé, pour le truc de la lecture.
- C’est un plaisir.

Je suis repartie dans ma chambre chercher mon livre et puis je me suis mise dans le patio. Bé, impossible, je lisais les mots et pi je comprenais plus rien, pace que chaque fois j’avais une pensée pour la ferme et pour Sébastien. Et je comprenais rien à ce que je lisais.

Pi j’ai vu Julie la femme de Jojoff qu’est venue s’assoir à côté de moi.

- Qu’est-ce que tu lis ?
- Aux bonheurs des ogres.
- Oh j’ai adoré ce livre. Il te plait ?
- Bé je sé pas, j’arrive pas à me concentrer.
- Ça m’arrive des fois, je relis quatre fois la même ligne sans rien comprendre.
- Fatche ! Oui ! ça me fait ça ! exactement !
- Dans ces moments-là je laisse tomber, il n’y a rien à faire.
- Bé c’est que je sé pas quoi faire d’autre, aujourd’hui je me traine.
- Tu es peut être fatiguée, avec tout ce qui t’arrive, et le travail en plus.
- Je sé pas. Je me suis réveillée comme ça, toute molle. Envie de rien. Enfin…
- …
- J’ai bien envie de quelque chose, mais… C’est pas bien.
- …
- Enfin, c’est pas bien. C’est pas ça, c’est que … C’est compliqué. J’arrive pas bien à dire.
- Tu n’es pas obligée de me raconter mais si tu as envie, tu peux aussi.
- Bé, je me sens un peu toti !
- Natou, des fois, j’ai envie de te prendre dans mes bras tellement tu m’attendris. C’est mon côté maman, j’ai une furieuse tendance à materner la terre entière ! Et comme Jojoff est un genre de papa universel, à nous deux, on fait la paire ! Mais je me sens un peu « toti » comme tu dis, alors je me retiens.
- Bé, y a pas de mal.
- Non, tu vois, il n’y a pas de mal. Des fois on se sent bête alors que y a pas de quoi…
- Bé, je crois que je pourrais te dire. Mais vaï, tu vas rire.
- Je rirais, si tu ris, avec toi, mais jamais de toi.
- Bé voilà… J’ai envie d’aller à la ferme… Il y a un garçon là-bas, Sébastien, on a causé quelque fois et, je pense à lui beaucoup, trop. J’ai envie d’aller le voir, mé comme j’y vé demain, c’est prévu, je me dis que si j’y vais aujourd’hui, ça va faire l’arapède…
- De quoi as-tu peur ?
- Bé, je sé pas, de l’aimer, qui m’aime pas, de me tromper comme avé Toni, de… Pffff tellement de choses que je sé plus, ça s’embrouille !
- Alors, tu n’y vas pas, mais comme tu ne penses qu’à ça, tu n’arrives à rien faire d’autre ?
- Voilà ! Comme tu dis bien les choses !
- Je suis contente pour toi.
- Bé pourquoi ?
- Parce que ton cœur est encore capable de battre pour quelqu’un, même s’il a un peu peur, et c’est merveilleux, non ? Tu es vivante Natou, et avec tout ce que tu as vécu, c’est bien normal que tu ais peur. Mais je suis contente de savoir que tu es toujours aussi vivante.
- Tu croies que je devrai y aller ?
- Je ne sé pas. Moi, dans ces moments-là, j’ai tendance à écouter mon cœur, parce que je crois que c’est là (main sur le cœur) qu’est le chemin de la vie, pas là (main sur la tempe).
- C’est joli ce que tu dis Julie.
- …
- Dis, Julie, tu veux bien qu’on se fasse un câlin ?

Alors elle s’est levée et elle m’a ouvert grands ses bras, je me suis blottie contre elle. Elle sentait bon. Ça m’a tout détendu le corps.

Et pi je suis allée à la ferme.

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