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Éric Javot

Chambre 16

Cinema Paradisio

Qu’il est bon de ne rien faire, d’observer le monde sans s’y arrêter ; juste prendre son temps, celui de la flânerie. Ce fameux lâcher-prise si à la mode en ce moment qu’en librairie, il fait concurrence au rayon bouquins de cuisine.

Je rigole souvent sur les injonctions au bonheur des nouveaux gourous du bien-être et de tous ces gens qui flippent de ne jamais y arriver ; quel paradoxe, se rendre malheureux de ne pas réussir à être heureux !

Le bonheur, il est surtout pour le compte en banque de tous ces prescripteurs.

 

XX.Ext.jour/Cour devant l’auberge décor année 70 :

Richard (7 ans) et Lauren (8 ans) jouent ensemble. Lauren fait du vélo, en faisant des cercles dans la cour. Elle s’arrête devant Richard et lui tend sa bicyclette. Ce dernier monte dessus et essaye de démarrer, mais perd l’équilibre. Il n’arrive pas à faire deux mètres.

 

Richard

T’aurais pas dû faire enlever les petites roues ! J’y arrive pas !

 

Lauren

Suis une fille et j’y arrive, alors… C’est parce que tu réfléchis et puis parce que tu regardes ton vélo ! Appuie sur les pédales en visant droit devant toi …

 

Richard essaye encore, sans beaucoup plus de succès

 

Lauren

Tu vois l’arbre là-bas ? Et ben tu te dis juste que tu veux y aller, et tu ne penses qu’à ça, comme ça le vélo il oublie que tu ne sais pas en faire ! Pour moi ça a marché !

 

Richard regarde l’arbre intensément, le regard fixe, déterminé, il respire un grand coup. Appuie sur la pédale avec force, le vélo vacille, semble hésiter un peu, retrouve un équilibre, penche de l’autre côté, puis tranquillement va vers le chêne à l’autre bout du terrain. Richard manque de tomber en freinant brusquement pour ne pas lui rentrer dedans. Il fait demi-tour, se relance et va vers Lauren. Doucement il amorce un grand virage autour d’elle ; bien qu’un peu chancelant le vélo accepte de rester debout. Richard exulte, en poussant des cris de joie. Lauren lui répond en applaudissant.

 

Lauren

Bravo bravo bravo

 

Richard prend de plus en plus d’assurance. Il fait plusieurs tours de la cour puis s’arrête aux pieds de Lauren, laisse tomber le vélo et court vers l’intérieur de l’auberge en criant.

 

Richard

Maman, maman, viens vite, je sais faire du vélo, papa, maman venez voir…

 

Couper

 

———————-

June m’a rapporté que dans l’auberge je passais  pour « l’homme qui médite ». Ça m’a fait rigoler ! C’est vrai que j’aime bien ça et si vu de l’extérieur ça a l’air très sérieux, à l’intérieur c’est juste une manière de voir passer ses rêveries ; et puis aussi souvent une manière pour qu’on me laisse tranquille.

Ça marche presque à chaque fois, sauf avec Natou !

Et justement, je la vois qui s’approche, hésitant, elle a l’air soucieux. Un petit côté Anna Karina dans Pierrot le fou, en plus entre son Toni et la mort de son père, on dirait presque que les dialogues entre Anna et Bébel on été écrits pour elle !

J’ai essayé de la faire parler, la pitchounette, mais elle a rien dit. Elle doit être marquée par les révélations du journal sur son Toni.

Alors on a marché, en silence…

En silence avec Natou !

Oui, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond !

Silence et Natou, sont deux mots qui ne vont pas ensemble !

June m’a dit que demain elles sortaient entre filles, ça devrait lui faire du bien.

D’ailleurs ma belle nous a rejoints et notre adorable Marseillaise en a profité pour s’éclipser.

 

En remontant à l’auberge, c’est Adèle qui nous est tombée dessus :

- Bonjour, June, bonjour, M. Javot, c’est vrai que vous faites des films ?

-  Tout à fait exact, j’ai cette chance-là !

- Oh ce doit être chouette, il y a des écoles pour ça ?

- Oui, j’ai appris dans une école, mais ça ne suffit pas, après il faut avoir des idées !

- Oh ben ça des idées, j’en ai plein ! Tu voudrais m’apprendre ?

- Ça risque d’être un peu long, mais je peux te montrer deux trois trucs.

Cette gamine, avec son sourire lumineux et ses yeux pleins de curiosité, m’a complètement happé au point qu’on en a oublié June qui nous écoutait sans dire un mot.

Je me suis assis par terre et ai ouvert mon ordinateur.

- Alors je t’explique, pour faire un film, il y a plusieurs étapes, la première c’est de l’écrire.

- On écrit comme une histoire ?

- Au départ oui, ou on la prend dans un livre pour la mettre en image.

- Pff c’est du vol de les prendre dans les livres !

- Non, on les achète les histoires, des fois même très cher !

- Ben moi je préfère prendre une de mes miennes, j’en ai déjà écrit !

- Ah ! Tu me montreras si tu veux ! Donc une fois que tu l’as écrite, ton histoire, eh bien il faut la réécrire comme si c’était des images, la traduire si tu préfères, ça s’appelle un scénario…

- Comment on fait pour écrire des images ?

- Bon ben je vous laisse je vais prendre ma douche moi !

- Ok, on se retrouve tout à l’heure.

Elle avait l’air un peu agacée, June…

- Et bien, tu dois imaginer que toute ton histoire puisse être vue et entendue. Par exemple je ne peux pas écrire : « Adèle pense qu’elle ferait bien du cinéma » parce que si je filme Adèle qui prend un air songeur, je ne sais pas à quoi elle pense. Il faut que j’invente quelque chose comme:

« Adèle a l’air de réfléchir. Elle regarde Éric.

Et là par exemple il y a un dialogue :

- Adèle : Je ferais bien du cinéma, ça à l’air cool.

- Éric : je suis certain que tu ferais de bons films. »

 

Comme ça, le spectateur voit et sait ce que pense Adèle.

 

La conversation dura encore un petit moment, avant qu’Adèle me dise qu’il fallait qu’elle aille manger !

 

J’ai rejoint June au restaurant, elle ne m’avait pas attendu et avait déjà attaqué l’entrée.

 

« Elle est marrante cette gamine, vive et intelligente ! Je me demande quelle est l’histoire avec son père ? Tu vois mon amour, c’est le genre qui me fait presque regretter de ne pas avoir de gosse… »

 

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