Informations sur l’accessibilité du site

Jacky Janssens

Chambre 3

Trois petits tours ...

Priscilla est de plus en plus belle à mesure que je l’habille. L’artisan qui s’en est occupé a fait un boulot excellent. Il a peu de commandes en juillet et août alors il peut se faire plaisir dans la perfection m’a-t-il dit, pas comme le premier semestre où les clients se précipitent pour modifier l’aménagement de leurs camping-cars. La chambre est prête avec son tout nouveau coin douche et toilette. Le salon est parfait depuis qu’il a reçu sa kitchenette. Toutes ces boiseries couleur bleu ardoise apaisent le mauve des rideaux. La lumière est parfaite et tout était prêt comme prévu. Il a pris son temps pour poser les éléments ; le grand toit ouvrant l’a bien aidé, mais voilà c’est fait et je n’ai eu aucun regret en signant le chèque final. Il m’a même offert une table pliante pour le salon cuisine, dont il ne savait pas quoi faire. On pourra enfin manger à quatre sur la même table sans qu’elle bloque le passage une fois pliée.

Elle a tellement changé entre le bus anonyme que des touristes hollandais m’ont vendu et ce qu’elle est devenue aujourd’hui, méconnaissable et magnifaïque. Je n’ose pas encore m’installer chez elle et suis rentré rassuré à l’auberge vendredi soir.


Samedi matin, j’ai le costume promis pour Nokomis à finir. J’entends encore p’tite sœur me dire, il y a quelques jours, “Jacky, tu vas encore tomber amoureux”. Si j’avais dix ans de moins, sûrement ; elle dégage une telle aura, même p’tite sœur s’est laissée attendrir. Et ce costume, d’où sort-il ? même le petit sac apparu comme par magie au pied du hamac. Le collier, les petits coquillages et autres bois de chevreuil ? Aucun patron, aucune mesure et à peine cinq minutes pour l’admirer pendant le marché. C’est à croire qu’elle guide mes mains au fur et à mesure ; elle me souffle ce que je dois faire.

Jacky, arrête de te raconter ces conneries, tu es tout seul devant ta machine, tes aiguilles et tes morceaux de tissus. Tu en as même oublié de déjeuner. Fais une pause ! sors un peu, va voir Priscilla ou qui tu veux, mais aère-toi un peu.


Ok, je sors. En arrivant près de Priscilla, je remarque que la porte est grande ouverte. Je l’avais pourtant fermée hier soir ; il faut vraiment que je la fasse réparer. A l’intérieur, tout semble normal, calme à part peut-être quelques objets déplacés ou sortis des placards, quelques morceaux de tissus éparpillés. En arrivant au fond, dans la chambre, par contre, il y a bien un petit quelque chose en plus. Une jeune fille y dort paisiblement comme un chat installé sur son coussin préféré. Il me semble la reconnaître pour l’avoir aperçue plusieurs fois à l’auberge, peut-être bien la fille de madame Lalochère, mais peu importe.

Je n’ose pas la réveiller et ferme les derniers rideaux. Avant de partir, j’enroule autour de sa main un petit collier fait de quelques plumes de pie, de grand duc et de geai, le tout attaché avec trois petits galets d’obsidienne à une lanière de cuir et la couvre d’une couverture légère. En sortant, je referme les portes et murmure, “Priscilla, je te laisse veiller sur la petite”. J’ai oublié ce que j’étais venu faire, mais tant pis.


Un peu plus loin, j’aperçois les deux femmes qui m’ont accompagné lors du retour du marché. Quelque chose me dit que j’aurais dû refuser leur demande, mais bon, Jacky, t’es en vacances, tu t’en remettras.

- Bonjour …
- Bonjour Jacky, te voilà enfin.
- On est prêtes quand tu veux, maintenant.
- Vous êtes bien impatientes, toutes les deux ?
- Non
- Oui, répondirent-elles en même temps avant d’éclater de rire.

Je n’arrive toujours pas à savoir laquelle est Charlie et qui est Léo.

- Vous connaissez un endroit au frais ?
- Le hangar ? me répondit la plus grande
- Ok, allons-y.

Arrivé dans le hangar à bateaux, quelque chose me dit qu’en fait elles se débrouillent mieux que moi ou que je n’aurais pas grand choses à leur apprendre.

Je commence avec un peu d’échauffement, elles suivent sans peine. Je les entends chuchoter et pousser de petits rires. J’enchaîne avec les pas les plus simples. Comme je le pensais, elles apprennent vite surtout la plus grande. Suivent des pas un peu plus complexes au fur et à mesure.


L’heure passe vite, elles rient beaucoup moins, mais ont encore de l’énergie à revendre, Jacky un peu moins. Il leur montre et les accompagne dans un dernier pas plus technique, plus délicat à maîtriser et là … c’est le drame. Un faux pas, déséquilibre et Charlie se retrouve dans les bras de Jacky.

Son visage si près, sa bouche si … et le baiser fut volé. La réponse retentit aussitôt sous forme d’une bonne gifle bien méritée. Léo est écroulée de rire, pliée en deux.

- Je … Je suis désolé, je n’aurais pas dû, c’est de ma faute.

Léo s’est rapprochée de Charlie et la tient dans ses bras. Message reçu.

- Avec ce que je vous ai montré, vous pouvez maintenant vous débrouiller seules. Si malgré tout, vous en voulez plus, vous savez où me trouver.

Jacky s’en va tout penaud.

- P’tit frère, t’as fait une connerie là. Il a fallu que tu l’embrasses. P’tit con.
- Je sais p’tite sœur, tu as toujours raison.
- Allez p’tit frère, tu t’en remettras cette fois aussi et je suis toujours là pour soigner tes peines ou tes chagrins.

Une fois rentré à l’auberge, Jacky prends une longue douche avant de descendre dîner d’un repas rapide. Au moins, la gouaille de Natou le fera sourire et oublier ses déconvenues, même s’il lui arrive encore d’oublier de servir du pain.

- Mademoiselle ? Il n’y a pas de whisky dans la carte des boissons ? Non. Tant pis, alors une carafe d’eau et un peu de pain s’il vous plait. J’ai une tête à faire une bêtise, vous trouvez ? Vous êtes vraiment charmante. Si vous n’existiez pas, il faudrait vous inventer.


Dans la soirée, Jacky sort faire une balade le long du lac, jusqu’à découvrir une petite plage au sable fin et doux, un ponton avec deux ou trois canoës. Sa respiration s’accorde sur le rythme du vent dans les arbres. Le lac trop calme lui murmure à l’oreille comme une douce invitation ; il s’approche et glisse doucement, tout habillé, dans l’eau si calme après avoir laissé sa veste sur le sable.


Elle est froide, mais j’ai l’habitude. Il faut bien supporter la Manche pour nager tranquillement. Allez, vas-y nage, nage et nage encore. Tu as toute la nuit pour toi tout seul, ou fais la planche en regardant le ciel, les étoiles. Elles scintillent toutes à leur rythme. Il y en a même deux qui semblent danser ensemble, magie de la nuit. Le croissant de Lune se fait encore discret, portant promesse d’une prochaine rondeur. J’ai l’impression qu’il me suffirait de tendre la main pour pouvoir l’attraper. Qui sait. Au bout de mes doigts quelques étoiles.

Haut de page