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Gaston Gumowski

chauffeur-livreur

Combiné nordique


J’ai fini mon vendredi sur le même rythme que la veille. Avec un programme similaire, ou presque. Flâner dans les rues et les parcs de Copenhague, me déplaçant à pied exclusivement. J’ai hésité un instant à louer un vélo. Peut-être la prochaine fois.

Là, j’avais besoin de me sentir sur mes deux jambes, de ne pas être particulièrement attentif à ce que je faisais mais exclusivement à ce qui m’entourait. Je crois que j’ai eu un coup de foudre pour cette ville, la première fois que j’y étais venu. Ça se confirmait cette fois encore. Ça se confirme un peu plus à chaque séjour. Je me suis surpris à me maudire de ne pas avoir pris mon smartphone. Parce que toute ma musique était sur cet engin de malheur. Parce que je n’avais pas d’appareil photo, non plus. Quand on y pense, cette plaque rectangulaire de technologie est un fichu changement. Un objet cannibale. Sans lui, j’ai retrouvé de vieilles habitudes que je pensais disparues. Je me suis mis à faire plus attention aux noms des rues, aux détails marquants qui devenaient ainsi autant de points de repère pour retrouver mon chemin au retour, ou lors d’une autre excursion. Je me suis souvent arrêté, aussi, pour consulter le plan de la ville et me mettre à jour de ma situation. Je sentais que petit à petit, cette carte simplifiée s’imprimait dans mon esprit. Je surveillais l’heure aux horloges de la ville, des commerces, ou des transports. Eh oui, dans mon cas, même la montre a été avalée par le smartphone. Il n’y a bien que mon couteau suisse qui reste intouchable. Pour le moment, en tout cas. L’entorse du jour à mon programme, ce fut cette galerie marchande en plein centre-ville. Voilà que j’étais en train de faire du shopping. Les filles en seraient tombées des nues, si elles l’avaient appris. Pas trop le choix, il faut dire. Besoin de quoi me changer pour les jours sur lesquels mon séjour allait déborder. Je savais déjà que je passerais au moins le week-end ici. En plus du simple utilitaire, je me suis moi-même surpris à me laisser aller à un peu de lèche-vitrines. À ce rythme, j’atteignis rapidement la fin d’après-midi et décidai de repasser à l’hôtel, poser mes emplettes et m’allonger un moment. Et puis, il était plus que temps de contacter les Gunnarsson, tout de même.


— Inge Gunnarsson.
— Goddag, Inge. C’est Gaston.
— Gaston ? Mais tu es là ? C’est un numéro local qui s’affiche…
— Oui. Présent. En direct de Copenhague.
— Mais tu es arrivé quand ?
— …
— Hum. Je vois. Je vous laisserai vous débrouiller entre vous. Ça va lui faire tellement plaisir de te voir.
— Pas si sûr…
— Écoute. Moi, je n’en doute pas. J’ai même l’impression qu’il t’attendait déjà depuis quelques jours. Tu passes ce soir ?
— Je ne sais pas encore, peut-être seulement dem…
— Attends ! Attends ! Je te le passe. Je t’embrasse et te dis à très très bientôt.
— Je t’embrasse aussi, Inge.
— Tu ne changes donc pas, Gaston Gumowski. Toujours à te comporter comme un petit con.
— Bonjour, Einar. Toi aussi, tu m’as manqué.
— Je te laisse une heure pour rappliquer.

Et…
Il a raccroché.

Bon. Ça, c’est fait.


J’ai été surpris, déstabilisé, et un peu déçu, de découvrir que l’Erotic Corner avait fermé ses portes. Cette boutique était systématiquement source d’un sourire amusé lorsque je me rendais chez les Gunnarsson sur Istedgade, qui plus est avec leur appartement situé au-dessus d’un club « chaud ». Je me consolais en me remémorant le cadeau déconne et clin d’œil que j’ai fait à Annabelle pour ses quarante ans, au mois de mars, mais dans une enseigne genevoise. Tellement que j’en ai ri bêtement. Il faudrait que nous arrêtions tout de même ces gamineries potaches et parfois graveleuses avant que notre petit jeu ne finisse par être découvert et mal interprété. Quoi que nous n’aurions pas grand-chose à perdre de part et d’autre, si ça se produisait. Adultes attardés et consentants. Circulez, il n’y a pas d’histoire. Sur ces entrefaites, j’étais arrivé au troisième et dernier étage, devant la porte de Einar et Inge.

Coup de sonnette bref.
Lourds bruits de pas.

Faut pas demander qui vient ouvrir…

— Où sont tes bagages ?
— …
— Je vois. L’Andersen ?
— Nope. Axel Guldsmeden. J’ai voulu changer et tester.
— Alors ?
— Plutôt pas mal.
— Vérifierai ça avec toi au petit-déjeuner demain.
— Note que j’ai au moins des pâtisseries et du Cognac…
— Fais voir. Non ! Pas les pâtisseries…
— ….
— OK. Je veux bien ne pas te faire redescendre tout de suite les escaliers sur le derrière. Allez. Entre.

Qu’on ne se méprenne surtout pas sur l’hospitalité et les manières danoises : Einar est Islandais. Comme dirait Inge, entre ses origines et son âge, on peut maintenant lui pardonner son manque de savoir-vivre.


Hugo,

Merci pour l’accusé personnalisé de réception.
Je l’ai trouvé en rentrant à l’hôtel, après mon dîner avec Einar et Inge (son épouse). Il m’a fait l’effet d’une dernière douceur, juste avant d’aller me coucher après une agréable journée.
Sache cependant qu’à compter de maintenant, tu ne pourras donc plus te plaindre pour spam.
Tremble, fillette ! :-]

Ça devait être un beau moment, que celui que tu as dû vivre sur les hauteurs du Crêt de la Neige. En tout cas, je l’espère de tout cœur, et il ne fait que m’inciter à vouloir en savoir un peu plus sur toi. Quitte à devoir te tirer les vers du nez, d’une manière ou d’une autre. Je commencerai par la douce, très certainement. Mais pas impossible de passer à des pratiques plus brutales si tu t’obstines à trop garder le silence. J’aimerais t’entendre me raconter ton Japon, me dévoiler ce lien profond que tu sembles avoir avec cet endroit, cette culture, au point de le faire encrer dans ta peau. Je ne te cacherai pas que je suis très curieux de connaître la signification de ton dos, maintenant que j’en connais les reliefs changeants. Mais cette partie-là ne se jouera pas à distance, crois-moi.

J’ai encore un peu de mal à me faire à l’idée que tu es militaire. Étais. Enfin. Peut-on seulement ne plus être militaire ? N’est-ce pas un mode de vie, un système de règles, une discipline, qui s’insinue au point de devenir une seconde nature ? J’avais adopté ce « sergent » comme un simple jeu, entre nous. Un clin d’œil à ta remarque (réflexe, donc ?) lors de notre première rencontre. Je ne m’étais pas un instant douté que tu étais un vrai sergent, Sergent. Même si cela apportait en grande partie des réponses à des questions que je ne m’étais pas ouvertement posées. Ta vivacité, ton sens de l’orientation, la façon de te mouvoir dans les chemins, la pêche que tu semblais avoir 24/7. Et ta capacité à viser pile poil où ça te retourne l’estomac, aussi… Et même si tu es plus petite, je te préfère de très loin à Demi Moore. ;-) (Et là, je me demande si tu étais déjà née à la sortie de ce film. Ça me fait peu bizarre, pour être franc.)

Puisque je suis bien lancé pour tout poser sur la table, je te confesse également que je n’ai pas été évasif pour rien au sujet de mon « activité », lorsque ce sujet s’est invité. J’avais à l’esprit les quelques réflexions que tu avais laissées s’échapper au sujet de ta famille et sa propension au clientélisme et à la cooptation. Je te rassure tout de suite : ce n’est pas le cas chez les Gumowski. Mon arrière-grand-père était un exilé polonais dont nous savons assez peu de chose si ce n’est qu’il s’était rapidement retrouvé dans le Jura et embauché par un vieux couple pour les aider à tenir leur exploitation fermière. Il en a hérité, en quelque sorte, après leurs décès. Et mon grand-père Gustaw (mon « Papigus ») a donc été le premier Gumowski pure souche du Haut Jura. Je te ferai peut-être un jour le détail de la famille, mais je vais t’épargner cela pour l’instant, va. Bref. Une lignée de personnes simples, proches de leur terre et de leur forêt. Mais un tout petit peu moins à chaque génération. Au point où le petit dernier est totalement sorti des clous pendant un temps.

[…]

Je ne sais même pas pourquoi je te raconte tout ça. Besoin que ça sorte et confiance en toi, je pense que c’est le mélange qui fait que ça sorte ainsi, si vite, si brutalement. J’ai tout de même un peu peur que ça te fasse fuir encore plus vite. Mais après tout, puisque je sais désormais que je ne couperai pas à la cour martiale, je vais m’en remettre à mon avocat. Et advienne que pourra.

Il faut que je te laisse : Einar vient de finir sa sieste. Nous allons donc poursuivre nos déambulations.

Je t’embrasse.
G.

PS :
Simple question, pendant que j’y pense, un 36 ça ferait l’affaire ?
Ou il vaudrait mieux que je vise du 16 ans ?
:-p

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