Pollox, 23 août 2020 20:30
Cher général,
J’ai pris mes quartiers à l’auberge à 17:37 précisément.
Le transfert s’est déroulé sans encombre, la route était dégagée et la vitesse de croisière.
Dîner à 19:30, l’ordinaire est simple mais de bonne qualité.
La chambre est en ordre, le lit au carré, l’ensemble de l’établissement est de bonne tenue.
J’ai pris un peu d’exercice, et j’espère profiter d’une nuit de repos dans ce cadre calme et boisé.
Les pins alentours vous rappelleraient sans doute ceux de la forêt noire.
Prochaine missive mardi à l’issue de mon entrevue avec Maître Robert.
Portez-vous bien cher père et n’oubliez pas de prendre suffisamment de repos.
Pour toute transmission urgente, votre dévoué Émile a connaissance de mon numéro de téléphone mobile, à votre disposition, à toute heure.
Recevez général, toute mon affection.
Pétronille.
Je posterai cette lettre demain. Je ne peux tout dire au général, il faut le ménager. Sa santé est fragile. Je tais mon inquiétude pour le rendez-vous de mardi.
Lors de mon arrivée à l’auberge j’ai demandé à la réceptionniste Mme Lalochère (une femme bien mise, très affable et discrète qui se présenta plus tard comme gérante de l’établissement) de me décrire la chambre. Je n’aime pas les surprises. Elle a proposé ensuite de m’accompagner jusqu’au deuxième étage, chambre 18, et de l’aide pour mon bagage. J’ai gardé mon nécessaire de sport par-devers moi, pensez donc 42 kg d’haltères pour une si petite personne. De groom il n’y a point ; le veilleur de nuit était en congé hebdomadaire et participait de ce que j’ai compris à un « Barbecue ». Comme c’est champêtre !
Tout est exactement conforme aux indications. La décoration est sobre et de bon goût, la salle d’eau fonctionnelle dispose d’une large douche, ce qui est bien plus pratique que ces baignoires qui tardent à se remplir et ne sont pas plus prestes à se vider. J’ai trouvé également comme annoncé, ce carnet sur la table. À mon attention.
Un carnet, comme celui offert par tante Odette pour mon dixième anniversaire. Je le gardais sous l’oreiller à l’abri des regards, excepté celui de Madeleine, mais je ne craignais rien de ma tendre nourrice. Celui-ci n’offre pas de petit cadenas ni de clé cachée sous une jolie ferrure, mais il ravive en moi un flot de souvenirs. Quel bonheur que ce carnet. Je lui confiais toutes mes peines, quelques fois des sottises, peu, et je parlais à mère. J’imaginais nos dialogues et j’écrivais son rire. Que c’était doux.
Je pensais que ce carnet-ci, me serait utile pour prendre des notes relatives au bon déroulement de l’affaire qui m’amène et voilà que déjà je me laisse emporter en bavardages.
À ce propos, le dîner fut lui aussi sujet à bavardages. Pas de mon fait bien sûr, mais la fille de salle est une sorte d’oiseau qui pépie sans répit. Une jeune femme fort aimable au demeurant et très prévenante. Comme elle s’inquiétait de ma petite mine, elle me dit qu’ici, l’air était pur et l’ambiance idéale pour de belles vacances. Je lui répondis que ma venue en ces lieux n’avait pas pour but de prendre des congés mais que le seigneur avait rappelé mère auprès de lui et que j’étais là pour régler une affaire notariale conséquente à ce fait. Elle en fut toute émue et se confondit en excuses évoquant un « papou » qu’elle perdit aussi (un chien, un chat peut-être ?) et qui lui manquait beaucoup. Tout de même, comparer la disparition de mère à celle d’un petit animal de compagnie c’est un peu cavalier, mais je lui pardonne elle paraissait si bouleversée et je ne suis pas certaine d’avoir bien saisi. Elle parle prestement et avec force « é » un dialecte chantant du sud de la France. J’ai perdu quelques bribes.
J’ai beaucoup pensé à mère lors de ce diner. La carte propose des crêpes vonnassiennes. Celles-là mêmes qu’elle mangeât en grande quantité (18 me semble-t-il) à la fête de la crêpe et du cheval à Vonas, le premier dimanche d’août 1986. Le général alors colonel lui en fit longtemps reproche.
J’ai dîné d’une salade et d’une soupe de fraises, très fraîches au palais.
Dieu merci, la petite eut la délicatesse de ne pas demander la cause du décès de feu Mme Delatour (sont-ce des choses que l’on demande ?). Je répugne à mentir mais comment aurais-je pu lui dire que mère rendit l’âme en ce funeste 14 juillet 2020, étouffée sur le coup, par un chou à la crème avalé goulûment ?
Je n’aurai de cesse de bénir ce cher Docteur Antoine pour la version officielle et médicale qu’il donna des faits.
– Le cœur, le cœur était fragile, il a cessé de battre.
1 Commentaire de Come-de-la-caterie -
J’adore ce personnage qui vit dans un monde parallèle. Je l’imagine aisément avoir la même vision de la vie que ce personnage de Pierre Desproges qui disait :
2 Commentaire de Kozlika -
Tu vas être bien ici, Pétronille, tu vas voir. Tu sais que tu as un sergent en voisine de chambre au fait ?
3 Commentaire de Pep -
À force d’habitude, on en vient assez souvent à mésestimer le chou à la crème.
Pourtant, bien préparé, ça reste une vraie tuerie. ^^
Toutes mes condoléances.
4 Commentaire de La commanditaire de Caroline Etienne -
Quelle entrée! J’aime beaucoup. Bienvenue Madame Delatour
5 Commentaire de Samantdi -
Une entrée bien plaisante et déjà un fou-rire.
Oh la la je pense que je ne vais pas m’ennuyer avec celle-ci :-D
6 Commentaire de Natou auteur -
J’adore le malentendu avec Natou. ;-)
7 Commentaire de Esteban -
Ça promet ! :D
8 Commentaire de Pétronille Delatour -
Merci toutes et tous pour vos commentaires. <3
@Come-de-la-caterie Desproges et Pétronille, quel équipage !
9 Commentaire de AkaïAki -
J’adore le coté suranné de la dame, l’univers qui pointe derrière :-)
A Pep qui tire plus vite que mon ombre… :-P
Tu as entièrement raison, le choux à la crème (surtout les miens ;-)), c’est le petit Jésus en culotte de velours
10 Commentaire de Franck -
Meuh non, spa le chou à la crème qui n’a strictement aucun intérêt ! D’abord le maamoul, ensuite le baba au rhum épicétou !
By the way j’aime beaucoup cette peinture de votre premier jour à l’auberge, mon général :-)
11 Commentaire de Pétronille Delatour -
Mais voyons @Franck, le général ne se fourvoie pas dans ces lieux interlopes. Il y envoie sa fille qui n’a rien de militaire, à part l’éducation peut-être et un certain penchant pour à la rigueur. :D
12 Commentaire de Avril -
J’aime les personnages qui ont le ton que leur patronyme laissait imaginer… Impression qu’avec elle, ça va filer droit… avec de l’humour parsemé ici et là… j’ai déjà hâte du prochain billet…
13 Commentaire de Franck -
Général, oui général, à vos ordres Mme Pétronille :-D
Quoi qu’il en soit je constate que mon avis sur le chou (beurk) n’est pas remis en question et c’est donc que j’ai raison à la majorité qualifiée de moi-même \o/