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Joseph Midaloff

Chambre 12

Ah mes amis, quel jour de fête !

On peut dire qu’on a bien fêté la bonne nouvelle d’hier et en bonne compagnie en plus ! Le barbecue qu’Henri a bricolé marche du tonnerre et le coin qu’il nous a trouvé, sur la petite plage au bord du lac, est nickel. Il y a même un aménagement tables et bancs en bois pour les pique-niques. On était grand confort, surtout que Henri avait invité Tardif, l’intendant, et que ce bon gars avait apporté assiettes, couverts et verres et une bonne bouteille de rouge en prime. Installés comme des princes !


Riton et moi on s’était donné rendez-vous à midi pile pour lancer le barbecue avant l’arrivée des autres. Une organisation au poil selon la règle des trois demi-heures. La première tu sors la bidoche du frigo (enfin celui d’Henri qui avait bien voulu que je la lui confie hier) pour qu’elle soit bien à température ambiante au moment de la cuire ; la deuxième tu lances le charbon qui attendait sagement dans le coffre de la voiture pour avoir une bonne grosse braise et la troisième tu redivises en trois : tu cuits ta bidoche badigeonnée de gros sel 10 minutes d’un côté, 10 minutes de l’autre, 10 minutes de repos et tu sers. C’est le père de ma douce qui m’a appris. En arrivant Henri avait tout de suite mis des bières au frais dans une cagette trempée dans le lac.

Je n’avais réveillé Julie que juste avant de partir rejoindre Riton parce qu’on avait passé une nuit façon puzzle, avec le bébé d’à côté qui s’était mis à faire savoir qu’il était vivant mais pas à la bonne heure. On n’a pas râlé, déjà parce qu’on était trop de bonne humeur des bonnes nouvelles mais en plus on se souvient qu’on en a fait des nuits de zombies avec les filles !

Tardif et Julie sont arrivés les premiers pendant que la braise préparait. Elle avait beau être sûrement encore un peu au radar elle avait pensé à prendre les raquettes de badminton et l’enceinte bluetooth à connecter avec le téléphone pour se mettre de la musique. Ça se voyait pas qu’elle avait mal dormi, elle était toute jolie avec sa robe rétro vichy et son chignon Casque d’Or. Elle a lancé la playlist Amérique du Sud qu’on se met à la maison pour travailler nos tangos, rumba, bossa-nova… J’avais les pieds qui me démangeaient mais je suis resté concentré sur ma mission ! Ça mérite une médaille parce que j’avais surtout envie de mettre mes mains autour de sa taille et de la faire tournoyer dans sa belle robe. Mais j’avais faim de bouffe aussi, avec le petit déj qui avait sauté pour cause de bébé pleureur.

Javot a débarqué tout seul avec du pain, des chips et des tomates comme promis, en nous disant que June arriverait plus tard. Il avait l’air un peu masqué mais ça s’est arrangé quand sa nana s’est pointée au top de sa forme, toute réjouie. Peut-être une dispute d’amoureux mais c’est pas sûr, ce type se fait un cinéma parfois… Enfin bref, on était au complet et on a pu lancer les côtes en buvant des bières bien fraîches. Quand je pense qu’il y a des gens qui se baignent dans ce lac, faut avoir le cuir épais l’eau est glaciale.


Le petit gars de la Ferme des Adrets ne s’était pas foutu de ma gueule. La viande c’était du nanan, goûteuse et fondante. Quand je dis « petit » c’est façon de parler, c’est plutôt le modèle belle baraque blonde mais il a l’air si brave type que c’est quand même un petit gars pour moi. Henri nous a découpé ça comme un chef pendant que Tardif nous servait le rouge qu’il avait apporté. Il s’y connaît le bougre, ça coulait tout seul.

June et Julie se sont embarquées dans une grande discussion sur la vie de Simone Signoret, l’actrice chérie de ma chérie. La jeunette nous a fait des imitations terribles, avec même le petit chuintement de sa voix, c’était comme si elle était là devant nous. Elle a raison d’être actrice, c’est fait pour elle. Javot la regardait avec des yeux de merlan frit mais en douce, quand elle croisait pas son regard. C’est pas mes oignons mais vu qu’ils sont ensemble et que ça se voit comme le nez au milieu de la figure qu’elle en pince sévèrement pour lui je comprends pas l’intérêt de cacher qu’il le lui rend bien.

Il n’y avait qu’elle pour pas le voir. Tardif regardait l’un puis l’autre en se marrant discrètement dans sa moustache. Il a de la tenue le bonhomme. Même avec nous, cordial mais sur son quant à soi de pro. Pas la même que le jour où le Comte nous avait fait son numéro de soprano et qu’il avait sauté à la baille pour aller le récupérer, plein comme une barrique avec ses potes !

L’alcool aidant, au bout d’un moment où il semblait être tombé en méditation - ou alors c’est dès qu’il est près du lac qu’il médite - Javot finit par sortir :

« Quand même, si j’en faisais un film de ces vacances je me ferais huer. Quelle est la probabilité de trouver en moins de trois mois dans une auberge au fond du Jura avec vingt chambres un faux comte russe, deux tireuses à l’arc, un mec perché sur son autocar, un réalisateur et une actrice dans des chambres contiguës, une Marseillaise et son maffieux, une comtesse autrichienne et son amant japonais mais helvète, la fille cachée d’un marin, une mamie nova qui fait du vélo, une illuminée avec ses phasmes, j’en passe et des meilleures ? »

Ça nous a fait méditer nous aussi. C’est vrai que c’est pas commun ici.


Après manger on s’est affalés sur des plaids pour digérer. Henri râlait que c’était moins confortable que son hamac. Tu m’étonnes, je l’ai testé je sais pas combien de fois pour ma sieste son hamac quand il était occupé ailleurs. Il a bien raison.

C’était quand même assez confortable pour qu’on soit pas loin de s’endormir tous comme des bébés. Des bébés qui dorment je précise, pas comme notre petit voisin cette nuit. La conversation devenait de plus en plus molle, jusqu’à ce que Natou arrive avec la petite de la patronne dans ses jupes.

« Té, vous avez l’air bien à la peine ! » qu’elle nous sort en rigolant.

C’est beau d’être jeune. Elle avait tout son service dans les pattes mais elle était deux fois plus en forme que nous. Julie s’est levée pour l’embrasser et elle en a profité pour lancer une autre playlist, style musette. Natou battait des mains :

« Allez on danse, on danse ! Jojoff fais-moi danser comme au 14 juillet ! Et les autres aussi, tout le monde danse ! »

La pêche je vous dis. On a tous grogné mais on s’est levés. Elle a le don pour que tout le monde veuille lui faire plaisir. June et Javot étaient pliés de rire à se marcher sur les pieds, Julie est allée prendre le bras d’Henri pour l’obliger à venir sur la « piste », Tardif et Adèle se tenaient par les mains et faisaient à peu près n’importe quoi mais on s’en fout. On était bien, là !

Et puis il y a eu Ginette et Julie a dit à Natou avec un grand sourire : « Celle-là elle est à moi, fillette ! » Et on a dansé tous les deux, comme on la danse depuis trente ans qu’on en a fait notre chanson. Je ne sais pas s’ils en ont marre de la chanter mais nous on n’en a pas marre de la danser notre Ginette !


Après ça je serais bien retourné sur les plaids, ou mieux dans un vrai lit, mais Adèle avait repéré les raquettes de badminton et voulait absolument y jouer. À elle aussi c’est dur de refuser quelque chose alors on s’y est mis. Comme on n’avait que quatre raquettes pour huit on a fait ça façon tournoi.

C’est Adèle qui a inventé des règles vu qu’aucun de nous n’y avait jamais joué et que d’ailleurs on était nuls de chez nuls, tous autant qu’on était. Le pire c’était Henri. Il a bien dû mettre six ou sept fois le volant à la baille et heureusement qu’on en avait plusieurs parce qu’il y en a deux qui sont partis façon petits bateaux dans le bassin du Luxembourg et qu’on les reverra pas de sitôt.

« Avoue que tu veux jouer avec ton sandre et pas avec nous », se marra Adèle.

« C’est pas ma faute, il y a trop de vent !

— Y’a pas un pète de vent Henri, qu’est-ce que tu racontes ?

— Bien sûr que si il y a du vent, mais vous le sentez pas parce que c’est un micro-climat juste autour de moi. »

Il avait l’air tellement sérieux que ça nous a tous mis la barre de rire et lui avec.

Au bout d’un moment, Tardif regarda sa montre et déclara qu’il devait rentrer pour un coup de fil. Ça a donné le signal de départ pour tout le monde et on a tout rangé. Tardif a dit que les assiettes et les couverts c’était de l’ancien stock pas utilisé et Henri a proposé de stocker tout ça dans le hangar à bateaux pour la prochaine fois.

« Mettez tout dans la brouette, je m’en occupe », il a dit. Il est parti avec son chargement et après ça on l’a plus revu. M’est avis que c’était un aller simple pour le hamac.

Sur le chemin du retour, je me suis débrouillé pour pouvoir parler seul avec Natou et je lui ai expliqué le souci que je m’étais fait pour Julie et que c’est pour ça que j’avais pas été à la hauteur à pas penser qu’elle bossait aujourd’hui et pour pas avoir su lui donner des conseils. Elle m’a pris la main et l’a serrée très fort.

« Bonne mère, heureusement que tu m’en as pas parlé, j’aurais pas su faire semblant de pas m’inquiéter ! Et t’en fais pas pour les conseils, va, tu m’en avais déjà donné un bon : faire confiance à mon instinct ! »

On s’est dit à tout à l’heure vu qu’on se reverra au restaurant et j’ai suivi les autres dans l’escalier jusqu’au deuxième étage. Javot et June sont partis vers leurs chambres, nous vers la nôtre, Adèle et Tardif ont continué vers le troisième étage.

J’en ferais facilement une habitude des journées comme ça !

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