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Gaston Gumowski

chauffeur-livreur

Brumisateur naturel


Je ne suis pas un voyageur. J’ai très peu voyagé jusqu’à ce jour. Mis à part les sauts de puce pour mon boulot à l’époque. Parce que même sur des longues distances, ça ne restait que ça : des sauts de puce. Sorti de la gare ou de l’aéroport, c’était direction les bureaux où j’étais attendu, ou bien l’hôtel qui allait me servir de dortoir entre chaque journée plutôt chargée. Je n’ai donc guère eu l’occasion d’apprécier certaines destinations qui avaient pourtant fait rêver l’enfant et l’ado que j’avais été. Et je n’ai jamais bien su m’organiser pour étaler mes séjours ou préparer quelques échappées touristiques sur le peu de temps libre qui aurait pu se présenter. Sorti de ce cadre, je n’ai jamais voyagé bien loin, à titre personnel. Genre pas même un changement de continent. Et jamais seul, qui plus est. Ç’en est même parfois source de moqueries de la part des filles qui, elles, ne manquent jamais de plier bagage pour vite aller galoper dans des contrées lointaines. Cette année étant l’exception, surprenante au départ, mais qui s’explique désormais par leur annonce. Bref. Chez les Gumowski, si vous cherchez un baroudeur, adressez-vous à la petite sœur.

Moi, je suis plus du genre arpenteur. Je me limite inconsciemment à une petite zone, que je vais vouloir découvrir dans les détails, jour après jour. Et là, comme un idiot, je ne peux m’empêcher de penser à Hugo. Allez. On se reprend. Je dois rester concentré si je veux parvenir à me remettre les idées en place pour les prochaines semaines. Pour les prochains mois, j’espère. Même si je sens que c’est loin d’être gagné, de la trouver cette fichue concentration. Parce que si le bonhomme est un arpenteur, mon esprit est un vagabond irrécupérable. Je crois que ça a toujours été le cas. Peut-être moins une fois que j’avais mis les pieds dans cette école de management et que je m’étais laissé emporter par les pratiques, penchants et habitudes du milieu. Lorsque j’y repense, j’ai la sale impression que beaucoup de choses ont basculé à cette époque. L’impression que je me suis perdu avant même d’avoir eu une chance de me trouver. Et voilà que je repense à Hugo. Mais pas pour les mêmes raisons, cette fois. Que cela me ramène au doux souvenir de cette soirée au restaurant est une chose, bien sûr, mais ce sont nos échanges lors du repas auxquels je pense. Ce sentiment qu’elle est un peu perdue, elle aussi. Ou en train de se chercher. Ce qui ne me surprend que le temps de me rappeler à quel point elle est jeune. Mais passons.

Je suis un rêveur éveillé, également. Un promeneur solitaire, mais bien éloigné des clichés qui ramènent tout à Rousseau, trop systématiquement. Ça m’a souvent posé des problèmes, cette histoire. Trop projeter pour finalement être déçu. Trop anticiper au point de me priver des surprises. Trop angoisser de sorte à régulièrement chercher à m’esquiver à la moindre occasion qui risquerait de me déborder, j’ai cette tendance à superposer au réel plusieurs couches parallèles, jouant entre la rêverie, l’hallucination, le petit cinéma personnel dans ma tête. Au final, ça m’a presque toujours tenu en dehors de l’instant. Y a-t-il meilleur moyen de passer à côté des cadeaux de la vie ? Je souris en me relisant. Je remarque que j’ai employé le passé. C’est bon signe. Certainement trompeur, mais bon signe tout de même. Il y a de l’espoir, non ? Je vais me rassurer en me raccrochant à ça, tiens. Ce n’est que dans ma tête, en fait, que j’ai tout d’un aventurier. Quitte à me tendre moi-même de sales pièges. Et puis il y a eu ce moment dans ma petite histoire où le destin est venu me filer un coup de main. Un coup de main… Plutôt un coup de batte dans la gueule, mon con. Hum. Tout n’est pas réglé, tu vois. Alors je vais me la poser sous les yeux cette question : cet accident, une chance ou un mauvais coup du sort ? Je crois qu’il va falloir que je m’accorde sur une réponse. Une réponse qui ne laissera plus de place aux doutes.

Ça ne sera pas encore pour ce soir, ça me semble évident. Le pub ferme. Je vais donc plier mes petites affaires. Peut-être me mettre en quête d’un club. Ou peut-être plus sagement regagner mon hôtel. En croisant très fort les doigts pour passer une nouvelle nuit dans un profond sommeil, apaisé. Comme la nuit précédente.

L’air marin ou le dépaysement ?


Hugo,

Je suis vraiment à côté de la plaque sur toute la ligne avec toi depuis mardi. J’espère que tu ne m’en veux pas déjà. Je ne pensais pas moi-même traîner tant à te donner des nouvelles.

Alors, voilà :

C’est sous un ciel mitigé que j’ai posé le pied sur le tarmac de l’aéroport de Copenhague, mercredi en milieu d’après-midi. Ce n’était pas une fuite, ou un départ sur un coup de tête, bien au contraire. De fait, j’avais planifié cette escapade danoise depuis une semaine. Lors de ma dernière virée à Genève. Je n’avais simplement pas prévu ce qui allait m’arriver entretemps. Tout comme je n’avais pas envisagé un instant me retrouver à oublier de te parler de cette courte absence avant mon départ effectif.

Ce voyage représente presque une sorte de pèlerinage. Je serais même tenté de dire que, cette fois, ça me donne presque l’impression de boucler un chemin initiatique. Je suis venu ici pour faire le point, tranquillement, avec moi-même. Loin de mon Haut Jura, loin de mes siamoises, loin de ma tribu. OK. Peut-être également un peu plus loin de toi, aussi. Mais ça, nous en reparlerons peut-être plus tard. Je suis surtout venu ici pour retrouver un vieil ami, que je vois assez peu. Quand je dis « vieil ami », ce n’est pas ce qu’il y a de plus juste, seulement l’association qui me vient le plus facilement à l’esprit.

J’ai pris conscience, ces toutes dernières semaines, combien cet homme m’avait protégé de la société et préservé de moi-même, depuis une demi-douzaine d’années. Je pense aussi avoir compris pourquoi nos échanges se voulaient aussi rares que précieux. Au début, je pensais que je le voyais comme un second père. Ou un père complémentaire, qui aurait sa propre place dans un contexte bien différent de celui attendu et naturel de mon père Gabriel. Aujourd’hui, je me demande plutôt s’il ne s’agissait pas d’un accoucheur, d’un mentor, presque. Je ne l’ai pas prévenu de ma venue. Ni lors de la mise en place de ce voyage, ni au moment de partir, ni depuis que je suis arrivé. Encore un problème de programme, d’aiguillage farceur dans mon cerveau. J’avais prévu de le contacter mercredi soir ou hier matin au plus tard, pour certainement passer la journée de jeudi ensemble. À marcher et à discuter. Einar (puisque c’est son prénom) n’est capable de bien discuter qu’en marchant. Et en marchant lentement, de préférence.

[…]

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