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Joseph Midaloff

Chambre 12

Jojoff ambianceur de vos soirées

Je crois que j’ai foutu la merde. J’espère que non parce que sinon ça veut dire que Julie va me faire la gueule pendant des jours. Elle dit toujours que je ne tourne pas assez ma langue dans ma bouche avant de parler. Pourtant elle se plaint pas quand je la tourne dans la

Julie j’espère que tu tiens parole et que tu ne lis pas ce cahier, comme tu m’as dit.

La journée avait pourtant bien commencé : les vélos sont bien, légers et confortables. Par contre alors les routes de montagne ça tire un peu. En rentrant je pourrai monter Ménilmuche à l’aise Blaise. On avait pris des paniers et on a plus ou moins roulé toute la journée, sauf le pique-nique et les pauses pour boire et pisser. Compliqué les pauses pipi avec les femmes. Ici c’est trop à la vue, là il y a trop de broussailles, t’as vite fait de faire dix kilomètres de plus rien que pour trouver un coin validé par les dames.

Sinon j’aime bien faire du vélo avec Julie parce qu’on a le même rythme. On va à la même vitesse de croisière et on a besoin de se reposer à peu près au même moment. En plus on a trouvé un super coin pour manger, avec un beau paysage. Et ces paniers la vache, j’ai cru qu’on pourrait jamais redécoller.

Quand on est rentrés on a croisé Le Floch, le gars de mon équipe à la pétanque avec Biraben. Je croyais qu’il serait déjà parti quand on arriverait mais non il est encore là jusqu’à demain, avec sa famille qui l’a rejoint pendant que j’étais à Paris. Julie a proposé qu’on dîne tous ensemble.

C’est la patronne qui servait vu que c’était jour de repos pour Natou. Elle a l’air d’avoir repris du poil de la bête la tôlière. Je suis sûr que c’est grâce à Natou, qui doit bien la soulager côté charge de travail, même si les deux pépètes qui étaient venues donner un coup de main à mon premier séjour avaient dû bien aider déjà. J’espère qu’elle la paie à la hauteur, faudra que je demande à la gosse. On connait les patrons dans l’hôtellerie, ça vaut ceux de la grande distribution.

Le Floch nous a présenté sa femme et sa fille. Première bourde, comme Ji Hyuk a un air et un nom asiatique, voilà pas que je sors :

« Vous êtes tombés sur une super agence d’adoption, elle a des yeux bleus comme vous la petite. »

J’ai tout de suite su que j’avais dit une connerie parce que Julie m’a balancé un direct dans les tibias et Lenaig (la femme de Le Floch) a fait claquer sa langue.

« Ji Hyuk est ma fille », a fait Le Floch.

Julie m’a dit tout à l’heure que j’étais vraiment trop con de pas avoir vu que ses yeux étaient exactement les mêmes que son père. Je sais pas comment on peut voir ça, des yeux bleus c’est des yeux bleus quoi, j’ai pas un microscope intégré comme elle. J’ai un camarade qui a adopté un gamin vietnamien, on avait fait une fête d’enfer quand il est arrivé alors j’ai tout de suite pensé à ça, normal !

Le Floch a dû divorcer de la mère de la gosse et se remarier avec Lenaig, mais sur le coup ça m’est pas venu cette explication.

En tout cas, heureusement j’ai vite parlé d’autre chose et j’ai demandé à Ji Hyuk en quelle classe elle était. Les parents se sont regardés et Le Floch a répondu qu’elle venait d’arriver en France et que son inscription était en cours pour le collège.

« Oh, la maman s’installe ici, vous devez être bien contents !

— Non, sa maman est décédée on va la prendre avec nous. »

Ah ben bravo Jojoff, t’es un gars délicat il n’y a pas à dire… Tout le monde avait l’air de vouloir pas être là. Julie avait honte de moi, Lenaig était contrariée (elle a peut-être pas envie d’hériter de cette gamine ?), Le Floch avait l’air de vouloir être n’importe où sauf là et la môme regardait ses parents comme si elle avait peur d’avoir fait une grosse bêtise. La bonne ambiance.

Julie a aussitôt enchaîné mine de rien en parlant de son métier. Ça marche toujours bien ce sujet car les gens ont toujours des tas d’idées sur les instits et comment ils devraient faire leur boulot. Ça s’est détendu, les Le Floch étaient de moins en moins crispés et ne disaient pas de conneries à Julie au sujet des vacances trop longues ou je ne sais quoi qui aurait pu lui faire prendre un manche.

Tout naturellement la conversation s’est poursuivie sur les autres métiers de la table. Lenaig est aide-soignante, encore un métier dur et mal payé tiens. On a une copine infirmière, Martine, alors on a fait bien gaffe à pas l’engrainer dans une discussion sur les bobos et horreurs médicales, Martine dit que dès qu’elle dit qu’elle bosse dans le médical c’est comme si elle ouvrait les portes de l’enfer.

Franchement ça se passait bien. Et puis Lenaig m’a demandé quel métier je faisais :

« Je suis rotativiste à la retraite » et je me suis tourné vers Le Floch. « Tu verras qu’on s’y fait, Le Floch ! C’est l’année prochaine pour toi, tu m’as dit ? »

Oh la la. Oh la la la la… Qu’est-ce que j’avais pas dit là. Lenaig a fait un bruit quelque part entre le hoquet, le grognement, le soupir, je sais pas trop mais si Julie faisait un bruit comme ça je me ferais tout petit tout petit. Puis elle s’est levée – on n’avait même pas mangé le dessert ! –, elle a fait un signe à Ji Hyuk pour qu’elle la suive et elle a quitté le restaurant droite comme un i en Helvetica, sans un regard pour mon pauvre Mimile.

M’est avis qu’il va dormir sur la moquette, le Mimile. Je m’en veux mais je pouvais pas deviner, merde !

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