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Côme de la Caterie

Chambre 9

Bas les pattes

Normal que je me sois énervé, c’est MON bouquin, d’abord !

Posé sur la table basse à côté de laquelle je suis assis, le “Bouquins des citations” de Claude Gagnière…
Eric Javot s’approche, prend le livre, le feuillète et s’apprête à quitter le patio…
- Excusez-moi monsieur Javot, c’est MON livre, j’aimerais bien le garder !
- Oh excusez-moi je ne savais pas !
- Vous ne saviez pas ? C’est n’importe quoi, vous me voyez le lire et vous ne saviez pas ? Et vous partez avec sans un mot ?

Et voilà, je suis parti en vrille sans préavis…

- Mais je vous le rends votre bouquin… Pas la peine de vous énerver ! Ce n’est pas un bourse-molle qui va me traiter de voleur quand même ! Un dictionnaire de citations, ça vous résume bien… Typique du cuistre, mais c’est tellement triste ! Tenez, moi aussi, je vais vous balancer une citation Les citations, c’est de la pensée en conserve : c’est pas cher, c’est pas toujours très bon, mais tout le monde en mange..
- Oui Monsieur Javot, je connais, c’est Nicolas Meyer… Tout le monde en mange ? l’important c’est de bien digérer… Moi, je vais vous citer Disraeli : La sagesse des sages et l’expérience des âges sont perpétuées par les citations.. Oui, J’ai la prétention de vouloir me nourrir de cette expérience et de cette sagesse. Et ma vie a une consistance autre que celle d’un réalisateur has-been qui n’existe plus aujourd’hui que par des coucheries pitoyables rapportées par des paparazzi !

Son amie, Mademoiselle East, s’est approchée et, mâchoires serrées, décidée à me gifler. Saisie au poignet par Javot, elle n’a pas pu aller jusqu’au bout de son geste.
- Laisse, Elisa, tu vas te salir !
- Ben moi, je refusais de dire comme les autres que vous étiez un goujat, un malotru, je vous défendais… Pourtant je vois bien maintenant qu’ils avaient raison… Vous n’êtes qu’un pauvre type ! De la sagesse, de l’expérience dites-vous, eh bien tant qu’à vous inventer une vie, vous auriez pu choisir d’incarner quelqu’un d’aimable !
- Oh vous, mademoiselle, vous devriez rester en dehors de tout ça ! Vous ne me connaissez pas… Le plus souvent l’apparence déçoit. Il ne faut pas toujours juger sur ce qu’on voit. C’est Molière. C’est Tartuffe. Je donne la référence mais je me demande si vous en avez entendu parler ?

Je dois bien avouer qu’elle avait raison. Je suis un pauvre type. En train de faire un esclandre pour une vétille. Même pas l’excuse de l’alcool ou de la fatigue… Non juste un gros con qui va mal au fond de lui mais qui est trop fier pour…
Pour faire quoi d’ailleurs ?

- On va en rester là, a repris Javot… On ne sait jamais, si un paparazzi passe par là, ça m’embêterait qu’il nous immortalise sur une photo rappelant que nous avons pu, un jour, respirer le même air !
Derrière lui, discutant vivement avec Mademoiselle East, j’ai entendu Enjalbert, le bellâtre aux chemises Desigual bariolées me traiter de cagarel et de cabourd. Alors oui, je suis un taré, un nabot. Tu me m’apprends rien, caronheta [1] !
Et oui ! je parle aussi ton patois !
Le pouvoir des mots, vous ai-je dit. Même si ce sont les mots des bas-fonds…

Ben oui, mais c’était MON livre !

J’ai aperçu M. Tardif, attentif et prêt à intervenir. Suffisamment fort pour que je l’entende, il s’adressait à Henri : J’aime beaucoup cette auberge… le calme et la sérénité qui se dégagent de ces murs. J’espère que TOUS les clients se rendent bien compte de la chance qu’ils ont ! Sinon à quoi bon séjourner ici, n’est-ce pas Henri ?
Puis s’adressant à moi, après avoir échangé un sourire avec Javot et sa June East : tout se passe comme vous le souhaitez, Monsieur de la Caterie ? Oh ! un dictionnaire de citations… un livre passionnant je devine… Vous permettez ?

Ben… je l’ai laissé prendre MON livre…


“Tout ce que je lis, tout ce que les gens pensent de moi, ce n’est pas moi. Je suis quelqu’un de sympa, et ce qui est ressorti, c’est juste que j’étais un gros con, mal élevé, pas sympa. Le regard des autres est important pour moi, donc quand je rentre chez moi, je ne peux pas être heureux. Il va falloir que je prenne un peu de temps pour moi et que j’arrive à m’endormir”
(Benoit Paire, joueur de tennis).


C’est mort maintenant… Je vais avoir du mal à me relever de cette colère de ce caprice-je-serre-les-poings-je-fais-pipi-par-terre…
Je me vois mal offrir un bouquet de fleurs à Javot…
Pourquoi ?
Qu’est ce qui m’a pris ?
J’ai besoin de craquer, d’ouvrir les vannes, d’extérioriser, de laisser suinter hors de ma tête et de mon coeur toutes ces sales idées qui m’encombrent. Sortir du mensonge, vivre à l’air libre, respirer avec les poumons de Rémi Acceteo et non plus au travers de ceux, racornis, de Côme-de-la-Connerie
Je ne peux m’empêcher de penser à Cioran qui disait Vivre signifie : croire et espérer, mentir et se mentir.
Malheureusement ma vie se résume aujourd’hui à se mentir.

Qu’est-ce que j’ai raté ?
Qu’est ce que j’ai raté… à part ma vie ?

J’avais tout pour être heureux. Des parents aimants, des études réussies, des activités lucratives, des frères et sœurs qui me foutent la paix alors que nos chemins ont toujours été différents, à la limite des parallèles…
J’ai eu du succès, j’en ai encore pour peu que j’accepte de temps en temps d’y mettre le prix et d’allonger quelques billets en même temps qu’un beau gosse pas farouche dans mon lit…
Et j’ai (peut-être) même un enfant…
Pendant longtemps j’ai réussi à faire passer mon mauvais caractère pour de la causticité ou l’expression d’un esprit vif, féroce et vachard.
Et ce soir je me conduis comme un gamin capricieux, vaniteux et misérable.…
Quand je m’entends expliquer dans les méandres de mon cerveau “oui mais c’était MON bouquin” j’ai l’impression d’entendre la Roxane de En Famille”. [2]
La différence c’est que Roxane est un personnage de sitcom. Il y a 10 scénaristes qui s’ingénient à la rendre odieuse.
Moi je suis tout seul pour un résultat conforme, le rire en moins.

Demain, une fois encore je vais affronter le regard des autres. Regards dans lesquels je lirais “gros con” en lettres majuscules. GROS.CON.
Et je ferai face, parce que je préfère passer pour un gros con plutôt que d’apparaître comme quelqu’un de faible… ou simplement de fragile.
Je ferai face Je ferai semblant de faire face.
Comme d’habitude.


Tiens j’y pense… Lundi, j’étais tellement perturbé… J’ai bien vu que quelqu’un s’était connecté à ma boite mail… mais je n’ai même pas pris le temps de consulter les messages…

Notes

[1] Petite charogne

[2] tous les soirs à 20:25 sur M6

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