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Émile Le Floch

Chambre 5

Discussions du soir

Samedi soir, salle de restaurant, tintements de couverts, discussions diverses

Lenaig : Les tresses que vous avez faites vont très bien à Ji Hyuk, Faustine. Merci de votre temps et patience.
Faustine : Ne me remerciez pas, Lenaig. Ça me fait une coupure de mes autres activités.
Esteban : Une asiatique avec des yeux bleus européens et des tresses africaines… manque plus qu’un quelque chose d’amérindien et vous aurez tout combiné.
F : Peut-être la jeune fille discrète qui porte souvent des lunettes noires. Il m’a semblé la voir offrir à Adèle un attrape-rèves assez caractéristique.
Émile : J’ai aussi vu un dictionnaire français-algonquin dans la bibliothèque.
Natou : Bonne mère ! Les tresses, Jiji, c’est top ! Oups pardon, heu… vous avez choisi ?

Passation des commandes. Ji Hyuk hésite.

J : Chèvre chaud, c’est viande ?
Ém : Non, du fromage fait avec du lait de chèvre.
J : Tu crois je peux manger ?
L : Tu peux essayer. Au pire, tu mangeras la salade.
N : Vé, je dirai de mettre plus de salade et quelques tomates aussi.
Ém : Natou, vous êtes parfaite.
N : Nan, j’ai encore plein à apprendre avant d’en savoir autant que M’dame Jeanne.
F : Apprenez, mais surtout, restez comme vous êtes.

Natou s’en va prendre d’autres commandes

L en souriant : Une flèche, cette serveuse.
Es : Elle est arrivée ici en couple, comme vacancière. Toni, son compagnon, l’a quittée il y a environ deux semaines. Madame Lalochère l’a prise dans le personnel, ce qui tombait bien car elles étaient toutes les deux proche du bout du rouleau.
Ém relevant brusquement la tête : Toni ?
F : Vous l’avez croisé, il est parti début août. Le marseillais qui faisait limite mafieux.
Ém se levant après quelques secondes de silence : Je reviens.

Regards interrogateurs de toute la tablée. Émile sort rapidement de la salle et revient après cinq minutes, une enveloppe à la main.

Ém : Antonio Manilla, c’est ça ?
Es : Peut-être, je ne sais pas.
L : On peut demander à Natou.
F : Je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée. Peut-on savoir pourquoi, Émile ?
Ém : J’ai trouvé cette enveloppe hier dans une poche du sac de Ji Hyuk.

Il montre l’enveloppe portant « Émile Le Floch » au marqueur.

L glaciale : Encore un secret à révéler ?

Émile retire une feuille pliée en deux de l’enveloppe et la tend à Lenaig.

Ém : Lis.
L : « 19 mai 1990, dette payée, signé Antonio Manilla ». C’est tout ?
Es : Nous pouvons vous laisser seuls, si vous préférez.
L : Ça dépend. Émile ?
Ém : Ça ira. Y’a trente ans, je commençais dans la marchande. C’était pas aussi standardisé qu’aujourd’hui avec les conteneurs et tout ça. C’était mon troisième voyage, avec un capitaine à l’ancienne, la vraie ancienne marine. Compétent, mais dur, très dur. Dire qu’il était seul maître à bord après Dieu, c’est donner plus de pouvoir au bon dieu qu’il n’en avait réellement sur le bateau.
Es : Comme Bligh dans les révoltés de la Bounty ?
Ém : Dans ce genre. L’une des particularités des navires qu’il commandait était qu’ils étaient connus comme propres. Ne participant à aucun trafic. Jamais.
F : Jamais ? J’ai du mal à croire ça. Tellement facile de cacher quelque chose dans un bateau.
Ém : Vous avez raison, Faustine, pour les petits trafics des membres de l’équipage, ce qu’on pouvait avoir dans le sac à l’embarquement. Mais pour tout trafic plus volumineux, c’était un vrai démon pour les repérer. Un manifeste de douane un peu bizarre, un contenu et un contenant qui ne sont pas complètement appropriés… il trouvait et faisait immédiatement jeter à la mer.
Es : Au moins, c’est simple et direct.
Ém : Sauf quand ce sont des passagers clandestins.

Silence

L : Tu ne dis pas que…
Ém : Si. Il avait cette réputation quand j’ai embarqué. Aucune preuve, évidemment. Je pensais que c’était une rumeur qui lui permettait d’être tranquille. Donc, on devait faire un Marseille… Anvers je crois, enfin Marseille j’en suis certain. Aujourd’hui, c’est une semaine à dix jours de navigation presque directe. Y’a 30 ans, c’étaient environ deux à trois semaines, selon les escales. Bref, après une semaine, on trouve ce type bien caché, Antonio. Le capitaine a dit de le foutre à l’eau. Comme quoi sa réputation était fondée.
Es : C’est criminel !
Ém : À notre époque, et même bien avant, sans aucun doute. Mais ça c’est fait. Ça aurait dû se faire ce jour-là. J’ai juste pas pu. Engueulade monstrueuse avec le capitaine. Vraiment cru qu’il allait me faire jeter à l’eau aussi, sauf qu’un clandestin ça n’existe pas, alors qu’un membre de l’équipage, il aurait fallu déclarer l’accident. Me suis retrouvé enfermé dans une cabine avec Antonio pendant presque deux jours, le temps d’arriver à Nantes où le capitaine nous a débarqués. Il m’a fait une bonne recommandation en contre-partie de mon silence. Antonio m’a dit « je te revaudrai ça » et a disparu à peine les pieds posés sur le quai. Jamais revu depuis. Je l’ai pas reconnu ici.
F : Comment a-t-il su pour la petite ?
Ém : Beaucoup de choses se savent chez les marins. Dans les bars des ports, ça cause, et ça écoute. Certains de mes marins étaient au courant.
L : Eux.

Natou revient chargée d’assiettes
N : Vaï vaï, bon appétit !

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