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Gaston Gumowski

chauffeur-livreur

L'âme de fond


Alors, ça y est ?
C’est maintenant que la fin commence ?

Je l’ai attendue pendant si longtemps que j’avais presque fini par croire que je me racontais des histoires. Et là, je ne suis même pas surpris. Ni d’avoir failli me tromper. Ni d’avoir certainement raison. Raison. Ahahah ! Pauvre malade ! Comment oses-tu ? Es-tu seulement encore en mesure d’utiliser ce mot. En connais-tu seulement le sens ? En as-tu seulement connu un jour la signification ? Tu jongles avec les mots pour te raconter des histoires. Pour te créer des masques. Pour te défiler. Pour tromper. Pour parvenir à supporter l’immonde rien que tu es. Et quand tu en prends alors la mesure, que fais-tu ? Ce que je fais là, justement. Je m’accorde un rendez-vous avec elle. Un tête-à-tête avec la bouteille. C’est bien la seule amie qu’il me reste, si je prends le temps de bien considérer ma situation. Je suis fatigué. Si fatigué. Si souvent fatigué. Tellement plus ce soir encore. Ça ne pourra plus durer bien longtemps.

Alors, ça y est.
C’est maintenant que la fin commence.

J’ai assez attendu. J’ai assez douté. J’ai assez tempéré.

Mes mains sont profondément entaillées de toujours devoir tenir courte et tendue ma propre bride. Comment mon esprit peut-il vivre dans ce trot modéré ? Il ne le peut pas, évidemment. Il se morfond. Il se recroqueville. Il nécrose. Ce n’est pas un animal domestique, il faut que je l’accepte une bonne fois pour toutes. S’il faut que je lâche la bride pour vivre, je devrais faire le deuil de toute velléité de contrôle. Table rase du passé. Table rase de ce présent jour après jour. Table rase de tout plan d’avenir. Je me refuse d’envisager les brides chimiques. Je ne veux plus être un automate. Je ne veux encore moins être un zombie. Je veux des hauts très hauts. Je veux des vertiges qui font crier fort et pleurer d’euphorie, qui me font battre le cœur à la limite de l’explosion, qui donnent la fièvre, qui font bouillir le sang. Je veux sentir une poussée m’arracher toujours plus haut loin de ce monde. Attends. Attends. Il faut que je réfléchisse. Il faut que je me concentre. Le souci est toujours le même : il arrive que tout se coupe pendant la montée. Et alors… C’est la redescende brutale. La gerbe assurée. La tronche qui se fracasse contre le sol, les murs. Le goût de mon sang maudit dans ma sale gueule pâteuse. Les hurlements des trop nombreuses voix dans ma tête. Et je n’ai pas de solution. Aucun remède contre ces putains de redescentes. Je me fous que le problème soit chimique ou lié au câblage. Je m’en torche de toutes ces raisons, de toutes vos raisons, de tous vos avis médicaux, de prétendus experts. Et torchez-vous aussi avec, c’est ma tournée ! Moi, je m’en tape des raisons. Moi, ce que je me bouffe quotidiennement, ce sont les conséquences. Et elles ont vraiment un goût de merde. Vous n’avez pas idée quel goût de merde elles ont.

Alors ce soir, pour faire passer, je bois.
Et je vais boire encore.
Et je vais même boire beaucoup.

Et peut-être bien que je finirai par bouffer une poignée de plomb.
Et je ne demanderai pardon à personne.
Je vous emmerde !

G.

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