Hier, j’ai écrit à mes parents.
Enfin ! C’est sans doute ce qu’ils se diront lorsqu’ils recevront ma lettre. Je ne sais pas si c’est d’écrire dans ce carnet qui m’a (re)donné le goût de l’écriture, de la belle calligraphie. Installée sur le petit bureau de ma chambre, des feuilles blanches devant moi, je me suis attelée à la tâche. Choisir ses mots, les formulations, éviter ce qui pourrait les inquiéter, les déranger. Répondre aux questions qu’ils se posent depuis que j’ai eu Hortense au téléphone, que je l’ai remerciée de son colis par mail. Anticiper. Rassurer. (se) Raconter.
Faire semblant et mentir. Ce que j’ai voulu éviter à tout prix depuis mon départ. Le silence pour rester vraie, du moins avec moi-même. C’est si facile de leur mentir. Lorsque je les écris, lorsque je les dis. C’est si difficile lorsque je me regarde dans la glace après. Impression de vivre en usurpatrice. Pourquoi continuer ? Parce qu’ils ne savent rien de moi. Ou si peu. Parce que je veux les maintenir à distance. Garder loin de moi tous ces regards d’une famille dont je ne fais pas vraiment partie. Plus vraiment partie. Garder loin de moi leur façon de vivre si loin de mes valeurs. Ils n’ont jamais su voir ce qui a été pendant près de 18 ans sous leur nez. Pourtant, comment leur en vouloir ? Ils m’ont sans doute élevée comme toutes les autres. Alors pourquoi n’ai-je pas suivi la même voie qu’elles toutes ?
Je leur ai parlé d’ici. De l’endroit superbe, de toutes ces montagnes, de tous ces arbres, du lac. Des gens que je vois chaque jour. Ceux qui sont partis et auxquels je pense parfois, souvent, avec tendresse et émotion. Ceux encore là que je vois changer, se mélanger, s’isoler. Qui vivent leur vie, poursuivant leur propre chemin, bifurquant, parfois, au carrefour qui vient d’apparaitre. Ceux qui arrivent, que je découvre de loin. Ceux qui nous offrent ce cocon douillet, au-delà du simple service de leur fonction.
Cette impression que j’ai trouvé comme une famille (mais toujours en marge d’elle, je ne sais pas faire autrement) je l’ai tue. Pourquoi leur faire du mal ? Ce serait cruel. Je ne crois pas être si aigrie, amère pour cela.
Leur parler de mon rituel, poser un cadre à leurs suppositions, leur curiosité. Je ne veux pas qu’ils empiètent sur mon espace, ne serait-ce qu’en pensée. Les tenir à distance tout en parlant de ma vie ici fut un exercice d’équilibriste. J’espère avoir été assez bonne, qu’ils ne voient rien d’autre entre les lignes.
Tout en écrivant, en choisissant les mots, ressentir combien j’ai changé. Et pourtant être sur la corde raide plus que jamais. Corde tendue au-dessus d’une gorge profonde et son torrent capricieux. Marcher d’un pas hésitant, tanguer légèrement, garder son équilibre grâce à ma pratique d’art martial qui me sert de balancier. Puis, plus assurée marcher rapidement, plus loin, avant de m’arrêter, pétrifiée par le vide au-dessous de moi et le vacarme assourdissant de l’eau qui jaillit, intrépide, joyeuse et grondante.
Finir par leur parler de mon voyage sur l’île de Sado en septembre. J’ai reçu la réponse à ma candidature. Ce fut un mélange de joie et d’effroi. Cela fait un moment que je n’ai pas été au pays du soleil levant. Il fut une période où j’y allais chaque mois deux ou trois jours. J’avais à faire. Heureusement que j’ai anticipé, j’ai fait ma demande de séjour quand j’ai envoyé ma candidature. Même si je n’arrivais pas à passer la première sélection, j’avais choisi de retourner là-bas. J’ai d’autres choses à faire, pas dans le même registre.
Expliquer aux parents ce projet dont je ne suis plus sûre, c’est leur montrer un petit bout de moi, quand même. Ils vont encore dire combien Hugo est fantasque, ajoutant d’un air entendu “Mais où va-t-elle chercher tout ça ?” Peu importe. Il fallait que je leur dise. Qu’ils se fassent un peu à l’idée de mon séjour de deux ans là-bas. Si je suis prise. Si j’en ai toujours envie.
Cette lettre m’a pris du temps. Beaucoup. Beaucoup trop. Entre soigner le fond et la forme, et s’appliquer dans la calligraphie.
Cette lettre m’a vidée de toute mon énergie. Elle a fait ressurgir en moi des images, des évènements, des souvenirs lointains ou bien plus présents. Elle m’a fait redevenir si petite.
Minuscule…
1 Commentaire de Sacrip'Anne -
Ça va être chouette, va.
2 Commentaire de Pep -
On ne ment jamais totalement à ses parents, on les préserve. :-)
3 Commentaire de Isabelle Forget -
Pep> je vais en faire un cadre et le placarder chez les miens !
4 Commentaire de Esteban Biraben -
Hé hé. Tu ne sais pas ce que tes parents te cachent.
5 Commentaire de Hugo Loup auteur -
Sacrip’Anne> Nous l’espérons :-)
Pep> Tu crois ? Pas l’impression que la petite le sache ;-)
Isabelle>Ne dis pas ça ! Si jamais il y a des ados qui trainent ici, les parents sont foutus !
Esteban> C’est sûr. De grands cachottiers les parents, question de survie