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Jacky Janssens

Chambre 3

Le carnet

Un jour Bashõ a disparu. Comme ça. Un matin de plein été. Je me suis réveillé et il n’était plus là. Je me suis réveillé dans un monde où Bashõ n’était plus là. Un monde qui avait l’air exactement pareil mais où Bashõ n’était plus là.

J’ai découvert un peu par hasard, au milieu de mon bazar, un petit carnet. Jolie couverture couleur prune, pages vierges, blanches. Je n’ai pas voulu écrire tout de suite, j’ai pensé à Bashõ ou Issa et j’ai dessiné des arabesques sur la première feuille et quelques mots.

Pensées perdues, pâles
L’espace s’emplit des mouvements
D’une douce chaleur

Ce jour là, j’ai planté un arbre, certes pas un bananier, juste un hêtre, au fond d’un jardin. Ce jour là, j’ai perdu Bashõ, mon livre de chevet préféré parti, envolé avec quelqu’un qui traversait ma vie comme un éclair déchire l’atmosphère. Je n’ai pas entendu de coup de tonnerre, était-ce si loin, pourtant si proche, le temps d’un soupir, de baisers légers, encore frivoles. Je ne devrais pourtant plus me laisser prendre à ce jeu.

Heureusement, depuis, j’ai découvert Priscilla. Elle occupe presque toutes mes pensées ; elle le vaut bien. Je vais l’habiller de nouveaux rideaux de velours couleur prune. Le lit est déjà installé, deux fauteuils tout confort en cuir encore dans leurs cartons attendent dans une soute et, dans quelques jours, un artisan installera enfin le coin salle d’eau-douche-toilette. Plus tard, peut-être, une kitchenette. J’ai dû rater quelque chose en arrivant ; je viens de découvrir une place de parking spéciale grand gabarit un peu à l’écart de l’auberge, mais la place étant déjà occupée, j’ai installé Priscilla à l’ombre de grands arbres vers la ferme des Adrets, en prenant soin de laisser assez de place pour faire passer même un gros tracteur.

En parlant de tracteur, ce n’est pas parce que Priscilla[1] est maladroite, et pas mal à gauche aussi, que j’allais laisser le pauvre Henri avec la réfection de son jardin sur les bras. Il n’est certes pas exactement comme il l’était avant mon arrivée, mais je pense en avoir fait un rêve minéral et boisé avec quelques morceaux d’écorces de pins ramassées ici et là et posée comme des lignes de vies, en pointillés.

J’ai renoué aussi avec le disco, un peu malgré moi, mais après tout, pourquoi pas ; l’électro-swing me fait de l’œil, surtout quand je regarde Smilin, Gabby J David ou Grâce Thomas sur youtube. Tiens, justement, un peu de musique ne fera pas de mal pour reprendre les mouvements disco et swing.

Well now, I get low and I get high
And if I can’t get either, I really try
Got the wings of heaven on my shoes
I’m a dancing man, and I just can’t lose

Note

[1] Surtout son chauffeur.

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