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Antoinette Lalande

Chambre 3

Acte manqué

Ma chère Pascale,

Merci pour ces longues heures au téléphone, je suis heureuse d’avoir pu entendre ta voix. Notre échange m’a tant émue, que j’ai eu besoin de m’isoler afin de retrouver un semblant de calme et rassembler mes pensées. Je me suis “déconnectée” comme disent mes enfants, j’ai coupé mon téléphone et cessé de consulter mes mails. Depuis la mémorable partie de pétanque de la semaine dernière, hormis un dîner sympathique en compagnie de quelques résidents de l’Auberge, j’ai réduit mon activité sociale au strict minimum, j’ai passé beaucoup de temps seule sur la terrasse de ma chambre.

Alors que je prenais le temps de la réflexion, la vie a continué à l’Auberge, le bal des arrivées et des départs a suivi son cours. D’ailleurs, alors que je t’écris ce mail, j’ai le coeur lourd car j’ai dû faire mes adieux à ma petite Diane. Nous avons échangé nos adresses mails, afin de se donner des nouvelles.

Elle a promis de m’en donner, et elle a intérêt à tenir sa promesse, car elle m’a un peu laissée sur ma faim ! En effet, peu avant son départ, je l’ai surprise en assez bonne compagnie et elle n’a pas vraiment tardé à m’avouer que ce séduisant “ami” venu lui rendre visite avait des intentions plus qu’amicales envers elle… Je ne peux m’empêcher d’espérer que ces intentions soient partagées, et que, si c’est le cas, elle lui laissera sa chance. Rien de tel que le début d’une belle histoire pour trouver le courage de tourner une page ! Qu’elle laisse donc son nigaud de mari partir seul vivre son fantasme de néo-colon…

Demain, c’est à mon tour de m’en aller, avec un brin de nostalgie. Finalement, je dois avouer bien malgré moi que ce séjour m’a fait du bien. Mes enfants n’ont donc pas eu si tort que ça d’insister.

Ce matin, alors que je sortais tôt pour ma dernière balade autour du lac, j’ai croisé Hugo qui, sans même prendre la peine de me saluer m’a demandé de but en blanc : “Antoinette, avec la sagesse de vos années, dites moi, comment faire pour choisir? pour savoir qu’on fait le bon choix?”. Un petit débat philosophique à une heure si matinale, ça ne se refuse pas ! Et ce, même lorsque les termes du sujet sont inconfortablement vagues. Après tout, elle ne tombait pas si mal, cette Hugo, puisque je réfléchissais moi-même à la question depuis quelques jours et que mon discours était tout prêt :

« Le meilleur conseil que je puisse te donner, Hugo, c’est d’essayer de te libérer du poids du “qu’en diras-t-on ?”. Echappe toi des pressions, celles de ta famille, celles de tes amis, celles de la société. Suis ton instinct, écoute toi : je suis sûre que tu sais ce qui est bon pour toi. Tu sais, la vie est trop précieuse pour la gâcher à essayer de satisfaire les autres. »

A la fin de ma tirade, j’ai réalisé que je ne savais pas qui j’avais le plus cherché à convaincre : Hugo… ou moi ?

Un peu chamboulée, j’ai décidé de lui renvoyer la balle et je l’ai à mon tour interrogée, l’air de rien. Tu sais ce que je lui ai demandé ? Quelle serait sa réaction si elle découvrait que l’un de ses parents avait une “vie cachée”, enfin si elle se rendait compte qu’elle ne connaissait finalement pas si bien sa mère ou son père ! Elle n’a pas été aussi destabilisée que ce que j’attendais. Elle a pris le temps de réfléchir. Sa réponse m’a surprise par sa maturité et j’ai eu cette curieuse impression qu’elle lisait en moi comme dans un livre ouvert !

D’ailleurs, elle m’a confortée dans mes dernières réflexions, et il est temps que je t’en fasse part après ces quatre longues journées de silence. Alors que lors de notre dernier appel, l’idée de venir te revoir me paraissait être une évidence, une fois seule dans ma chambre, le doute s’est insinué en moi, suivi de prêt pas la peur. Mais cette fois-ci, je vais tout faire pour ne pas y céder.

En effet, je ne sais pas ce que nous revoir pourra nous apporter. Peut-être est-ce illusoire de croire que notre complicité de jadis pourra renaître. Peut-être aussi que tu me trouveras inintéressante ou fânée. Peut-être encore que j’ai porté une image idéalisée de toi pendant toutes ces années et que te revoir la détruira. Mais peut être pas. Et finalement qu’avons nous à perdre ? Que vaut un souvenir lointain face à l’espoir d’en créer des dizaines d’autres ? Nous allons nous revoir, et nous verrons bien ce qu’il adviendra. Que ce soit une déception, une belle amitié ou une alchimie brûlante, il n’y aura pas la place pour les regrets.

Mais nous ne pourrons nous revoir qu’à une seule condition : que j’ai pu parler à mes enfants. Je dois tenir compte de l’impact que ce choix aura sur eux, car il en aura un. Je leur dois bien ça. Avant de te revoir, je dois donc prendre mon courage à deux mains, et tout raconter à Justine et Nicolas. Je veux leur raconter comment j’ai aimé une femme magnifique et forte, comment cette force m’a fait peur. Je veux leur dire la tendresse qui m’unissait à leur père et leur expliquer notre accord tacite de mener une vie normale loin de nos passés. Je veux leur parler de ce passé qui n’a jamais cessé de me hanter ; de ces visages que, des centaines de fois, j’ai cru reconnaître au détour d’une rue ; de ces nuits agitées à penser à toi. Enfin, je veux leur parler de toi aujourd’hui, de notre correspondance et de ma volonté de te revoir.

Je ne sais pas quand et comment je leur raconterai, je ne sais même si j’y arriverai. Je ne peux rien te promettre, mais je te demande d’être patiente et de croire en ma bonne volonté. Crois moi, j’espère de tout coeur y parvenir. Je t’en demande beaucoup et si ces conditions ne te paraissent pas acceptables, je le comprendrai et nous pourrons nous arrêter là…

Je t’embrasse,

Antoinette

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Mes chers enfants,

J’arrive au terme de mon séjour dans le Jura. Me voilà reposée et apaisée ! J’ai hâte de vous revoir et vous propose d’ailleurs que nous dînions tous les trois, le soir de la semaine qui vous conviendrait le mieux ?

A très vite, bises à tous

Antoinette

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