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Hugo Loup

Chambre 19

De la brume matinale à l'éclaircie de fin d'après-midi


Réveil embrumé à 5 heures. J’enfile ma tenue et je pars courir comme une automate. Je me vide la tête en répétant à chaque foulée : “Encore une, encore une, encore une…” Comme les premières fois en arrivant au collège. Je n’étais pas sportive, qui l’eut cru ?
En rentrant, j’ai eu une envie folle de plonger dans le lac pour me réveiller. Une baignade dans le petit matin blême, quand le ciel pâlit avant que le soleil n’apparaisse à l’horizon. A la place, je me suis trainée jusqu’à ma chambre. Douche rapide, petit-déjeuner de même, pas d’entrainement, je n’ai pas la tête à ça. Il faut un minimum de concentration. Alors je m’affale sur le lit, en travers. Les lits doubles, quand on est seul, ne servent qu’à cela. Je mets mon casque et lance Trombone Shorty. Il met la pêche ! Encore plus quand je pense à Janette et à son grand rire.
Pour autant je ne bouge pas de mon lit. Mes orteils, mes doigts s’agitent tandis que le reste de mon corps est complètement relâché. Je sens que je ne vais pas faire grand-chose aujourd’hui.

Dans la matinée, Vernon Tardif m’appelle. Mon colis vient d’être livré. En arrivant à la réception, j’avise un gros carton. Ma sœur a encore fait des siennes. Qu’a-t-elle bien pu mettre là-dedans ? Un de ses enfants ? Histoire de me surveiller…
Le si joliment prénommé Vernon (ses parents devaient être vraiment fan de Boris Vian) me parle, je ne l’entends pas. Il me fait signe. Ah oui ! J’ai gardé mon casque. Je me suis fait tous les albums de Trombone, en boucle…
Il me demande si j’ai besoin d’aide. L’est guère plus grand que moi, le Vernon. Je doute qu’il puisse vraiment m’aider à monter la bête. Il m’assure qu’il me sera très vite apporter dans ma chambre par Henri, le factotum. Pauvre Vernon ! Sait-il qu’Henri est comme une anguille ?

Néanmoins, à peine vingt minutes plus tard, le colis est dans ma chambre. En ouvrant, point de neveu, fort heureusement. Je rêve, elle a trouvé le moyen de se tromper de kimono. Au lieu du blanc réglementaire en coton épais, c’est celui en soie aux feuilles d’érables. Elle croit que je vais à un défilé de mode ou quoi ? En le sortant, une lettre tombe.

Chère Hugo,
Tu trouveras tout ce que tu m’as demandé. J’ai rajouté tes sandales en paille. Elles te seront sans doute utiles.
Je suis contente que tu m’aies téléphoné. Personne n’avait eu de tes nouvelles. Même pas les parents. Imagine leur état ! Je les ai rassuré. D’autant mieux que tu m’as dit avoir rencontré des gens dans ton auberge.
A ce propos, je t’ai joint quelques petites choses en plus. J’imagine que tu n’avais pas pris de petite robe noire dans ta cantine. Te connaissant, tu as dû prendre le strict nécessaire. Tu en as pourtant de si jolies. Le choix a été difficile. J’ai choisi celle qui, pour moi, te sied le mieux. Celle en crêpe de soie avec ses petits boutons et ses passepoils en satin champagne. Près du corps jusqu’aux hanches puis s’évasant, elle met si bien en valeur tes jolies formes féminines. En plus elle te donne une démarche de danseuse. Évidemment, tu ne peux la porter avec tes sous-vêtements “styling by army”, aussi ai-je pris soin de joindre ton ensemble de dentelle noire. Le balconnet est encore le mieux pour le décolleté en cœur de ta robe. Tu trouveras aussi tes sandales fines à talons hauts.
J’espère qu’avec cette tenue, le sosie de Gamblin te remarquera. Lui ou un autre, sœurette ;-)
Pour finir je t’envoie 2 pulls et un gilet. J’ai regardé la météo dans le Haut Jura, il n’y fait pas très chaud. Maman a tenu à te faire un gâteau. Ton préféré. Puis chacune a voulu te joindre un petit quelque chose : livres, collier et boucles d’oreilles, rouge à lèvres… Tu connais nos sœurs. Sans oublier les dessins et petits mots des enfants, bien sûr.
Prend soin de toi, amuse-toi, lie connaissances, flirte… Profite de tes vacances loin de nous.
Je t’embrasse bien fort petite sœur
Ta sœur qui t’aime, Hortense

Je crois que je vais la tuer la prochaine fois que je la vois. Non mais de quoi je me mêle ! Quelle plaie cette sororie ! Moi qui croyais qu’en parlant du sosie de Gamblin j’allais avoir la paix sur le sujet… Je me suis encore faite avoir.
Cette robe est bien trop habillée pour la mettre ici, même pour le dîner. Encore une fois, Hortense est déconnectée avec la réalité, ma réalité. Je n’ai pas le même train de vie qu’elle. Je n’en voudrai pas non plus. J’aime bien mettre de l’argent de coté, puis acheter ce que j’ai désiré et attendu. Le goût en est meilleur. Bien meilleur. Cette petite robe m’a coutée une fortune.
J’imagine la tête de certains si je descendais de mon Highlander avec cette robe et mes sandales à talon. J’en ris !

Finalement, le déballage-rangement m’a emmené jusqu’au déjeuner. Ce midi je me fais plaisir. Quenelles de brochet au riz et légumes du soleil (tomate, aubergine, courgettes, herbes de Provence) pour commencer, Pain d’épices et sa boule de glace en dessert. Entre les deux un peu de fromage. J’aime beaucoup le fromage et particulièrement ceux du Jura. Depuis longtemps.
Nous sommes deux à nous lever en même temps. Elle arrive avant moi. Elle inspecte chaque sorte de fromage et je vois son visage se fermer un peu plus à chaque fois. Je lui propose mon aide, peut-être ne connait-elle pas. Elle semble étrangère. Espagnole ou Italienne peut-être. Toute de noir vêtue, elle a couvert ses cheveux d’une sorte de mantille. Elle porte certainement le deuil. Il est difficile de lui donner un âge. Elle parait une petite quarantaine, alors que son regard, quand on arrive à le capter, lui, semble n’avoir point d’âge. Comme une certaine sagesse s’y reflète.
Je lui désigne chaque fromage, avec son nom et sa spécificité. Rien ne semble lui convenir.
— Je vous recommande le bleu de Gex. Il est produit dans les plateaux du Haut Jura. Ce persillé est plutôt doux.
— Avec du lait de brebis, mademoiselle.
— Ici les fromages sont tous faits avec du lait de vache, je suis désolée.
Inclinant légèrement la tête, elle retourne à sa place, sans plus un mot, ni un regard. Bien étrange personne. Ni Espagnole, ni Italienne. Son français est impeccable, malgré l’accent. Accent que je reconnaitrais entre tous. C’est celui de mon supérieur immédiat. Un Corse ! Je comprends mieux sa tenue.

Retour dans la chambre. Retour sur mon lit, position étoile de mer. L’après-midi ne sera pas plus fructueux que ce matin. Je me traîne, la journée se traîne en langueur aussi. Je n’aime pas ça. Mauvaise nuit, courte et entrecoupée de rêves étranges. La grosse enveloppe est toujours là. Toujours cachetée. Toujours un mystère.

Il fait chaud. Je me réveille en sueur. Il est près de 16 heures. Sur un coup de tête, jetant un dernier regard sur l’objet sur ma table de nuit, je sors, pieds nus. Je marche vite vers le lac, jusqu’au ponton. J’enlève jupe et haut et je plonge en sous-vêtements “styling by army” comme les surnomme Hortense. L’eau est plus chaude, ou moins froide c’est selon, que le cours d’eau vers la clairière. Cela me permet d’y rester un peu plus longtemps.
Remontant sur le ponton, je m’y allonge sur le ventre, dos au soleil. Je ne bronzerai pas. L’astre n’est que le révélateur de mes tâches de rousseur. Qui resteront malgré tout discrètes. Je me retourne pour finir de sécher, puis je retourne à l’auberge, mes vêtements à la main. Je ne vois rien ni personne. Qu’une seule idée tourne dans ma tête. Je me dépêche. Il y a comme une urgence.
Lorsque j’arrive dans ma chambre, je prends l’enveloppe. Une seule personne a pu me l’adresser. Une seule. Quoi et Pourquoi sont les questions qui restent encore sans réponse. Il me suffit d’ouvrir pour avoir le quoi. Je sais que je vais attendre. Maintenant que je sais l’expéditeur, je sais aussi où je dois l’ouvrir et quand. C’est évident pour moi. Une révélation. Là, en séchant sur le ponton.

Je suis pressée d’être à demain. Pressée de retourner à la clairière de Gaston. Pour ouvrir son enveloppe. Il est clair que ce n’est pas par simple gentillesse. Ne pas chercher. Attendre le bon moment au bon endroit. Et tout s’éclairera. Tout deviendra simple et évident. Simple… Evident… Enivrant cette idée…

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