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Jeanne Lalochère

l’aubergiste

Lettre à Gabriel

Gabriel,

Tu te plains toujours de ne recevoir que du courrier administratif dans ta boite aux lettres alors j’ai décidé que cette fois-ci, je te donnerai des nouvelles sur papier !

Commençons par le plus important : l’anniversaire d’Adèle. Comme convenu j’ai pris nos billets de train pour le 26-27. Puisque tu fais relâche les mercredis, on pourra passer la soirée ensemble. Je laisserai le combi sur le parking de la gare ou je demanderai à Gaston ou Henri de nous y déposer. Je n’ai rien dit à Adèle, ça sera la surprise quand je lui donnerai l’enveloppe jeudi ! Janette et elle vont faire des gâteaux pour le goûter, Adèle a invité toute l’équipe et en principe Margot, sa grande copine de classe, devrait pouvoir venir aussi, elle ne part pas en vacances.

J’ai bien récupéré de la fatigue accumulée, mes balades deviennent de plus en plus longues et faciles. Adèle m’accompagne le plus souvent, pleine d’énergie et d’enthousiasme comme d’habitude. On se lance dans de grandes conversations, parfois très sérieuses mais le plus souvent sans queue ni tête. Je crois que ça m’aère la tête au moins autant que le bon air de la montagne m’aère les poumons. On profite aussi que tu n’es pas là pour chanter, avoue que c’est sympa de notre part de t’épargner ça ;-)

Tu dois te souvenir de la jeune fille marseillaise haute en couleurs dont je t’avais parlé et qui s’est fait larguer par son petit ami. Je cherchais quelqu’un, elle cherchait un boulot, elle était serveuse dans le bar familial, l’équipe était favorable à son embauche, ça s’est fait très vite. Elle a commencé hier. Vernon m’a dit qu’après avoir dressé les tables elle a disposé des petits bouquets de fleurs sur chacune. Ça ne m’a pas étonné d’elle, elle a le sens de l’accueil. Pour l’instant c’est parfois maladroit mais je suis sûre qu’elle progressera, le fond est là.

Elle occupe la chambre libérée par Denis. On a fait les cartons avec Gaston. Je ne peux pas te dire ce qu’il y avait dans les fichiers dont tu étais si curieux, je n’ai pas eu le temps de les regarder. Je te raconterai quand je viendrai.

Depuis que Lucien m’aide pour la mise en place du petit déjeuner, j’apprends à mieux le connaître et à l’apprécier. Il sort parfois un peu de sa réserve, pas souvent, pas beaucoup, juste assez pour me signifier que je suis un peu plus que sa patronne pour lui. Ça me touche beaucoup car j’ai l’impression que ce n’est pas une attitude familière chez lui. Ce mélange de vieux sage et de gamin malicieux, de taiseux et de pince-sans-rire en fait quelqu’un de très attachant et ça n’est pas la pointe de tristesse au fond de ses yeux même quand il rit qui va changer ça, au contraire. Quelle que soit la raison de cette fêlure, je suis sûre que c’est elle aussi qui lui donne sa part de tendre humanité.

Je suis un peu toquée de toute mon équipe à vrai dire, je m’en rends bien compte. J’ai envie de te parler de chacun d’entre eux pour te donner envie de les connaître. Je rêve parfois que tu puisses venir avant la fin de la saison mais bêtement cette perspective me ferait aussi un peu peur : et s’ils ne t’aimaient pas ? Et si tu ne les aimais pas ? Ça me ferait un peu de peine je crois. J’aime que les gens que j’aime s’aiment mais ça n’est pas inéluctable.

Je ne veux pas t’en dire trop sur les clients, tu me connais, mais il y en a aussi que je trouve attachants et pour lesquels je me dis que si je les rencontrais ailleurs on aurait sûrement des choses à partager. En attendant (en n’attendant rien plutôt), je me console en favorisant leurs amours par prolongation de séjour (je te raconterai), déplacement d’armoires (je te raconterai aussi) ou en jouant au facteur (encore un truc à te raconter, avec Gaston en guest star en plus !).

Il y en a aussi d’extravagants, agaçants au premier abord puis touchants finalement. Ou pas : l’un des clients a le profil type du goujat et pour l’instant je ne saurais dire si c’est une carapace ou s’il est vraiment imbuvable ; je penche pour goujat. En tout cas il semble s’être mis à dos bon nombre de gens en quelques jours. Pour compléter la galerie il faudrait que je te parle aussi des fugueurs – en tout cas c’est l’impression qu’ils me donnent, quoi qu’ils fuient : la ville, les emmerdes, leur famille, la justice ? – et des mystiques ou simplement mystérieux, je ne saurais dire. Et puis la dame en noir, jeune pourtant, sorte d’archétype de la Corse de Colomba, sur la réserve ou aux aguets, c’est selon. Mme Danchin m’a dit qu’elle a accroché un drapeau de la Corse au-dessus de la tête de lit !

Ah j’oubliais : il y a une femme qui connaît Denis ! Je n’en sais pas beaucoup plus, elle a demandé s’il était là lors de son arrivée mais je n’ai pas eu l’occasion de la recroiser depuis.

Bref je ne m’ennuie pas à observer discrètement tout ce petit monde. Il y a cependant un vrai souci avec un client qui est resté planqué dans sa chambre h24 depuis plusieurs jours, monte des paniers de victuailles bien trop copieux pour lui tout seul et s’est mis tout à coup à écouter du k-pop (dixit Adèle, qui fait mon éducation musicale). D’une façon ou d’une autre il faudra que j’en sache plus ; pour l’instant nous respectons son badge signalant qu’il ne souhaite pas qu’on fasse sa chambre mais ça m’inquiète un peu.

Je repense à l’anniversaire d’Adèle : j’ai pu commander et recevoir un exemplaire de Zazie dans le métro en édition originale. Elle aura le sien comme chacun d’entre nous désormais :)

Je t’embrasse très très fort. J’ai hâte de te voir et de faire connaissance avec Manu !

Jeanne

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