Dylan s’amuse comme un petit fou à Portivechju. Il s’est filmé sur Tik Tok en pleine séance de dance challenge. Il a fait un malheur. Get Busy, bouge ton corps bébé. Mon fils est souple comme un balai Océdar mais il a suffi qu’un gars populaire lui dise : “Toi, je te veux dans ma team, tu vas déchirer ta race” pour qu’il s’entraîne huit heures par jour à bouger les pieds, les mains, les épaules et le bassin. C’est bien mon fils, quand il a une idée en tête…
J’avais le cœur battant, mardi dernier, en roulant vers Pollox au volant de ma Mini Cabrio… Trois années passées à éplucher les registres généalogiques et j’allais peut-être enfin connaître le fin mot de l’énigme grâce à la conférence du Dr Amandina Shamonda “Les Canadiens en forêt domaniale de Joux, 1917-1918”. J’espérais surtout pouvoir m’entretenir avec elle et lui poser des questions précises. Nous avions échangé quelques mails, et elle semblait très ouverte et coopérative.
J’ai programmé le GPS et roulé sur une départementales sinueuse comme une couleuvre. Je suis finalement arrivée sur le parking d’un bâtiment métallique sans charme sur lequel on pouvait lire :
SALLE DES FÊTES DE POLLOX
Quelqu’un avait rajouté une banderole :
Salon de généalogie, entrée libre
J’aurais imaginé quelque chose de plus accueillant, mais il ne faut pas être trop difficile quand on se rend dans un départemental rural comme le Jura.
A l’entrée, une dame d’un certain âge m’a tendu une brochure en me souhaitant la bienvenue. Je lui ai demandé où se tenait la conférence du Dr Shamonda, elle a pris un air désolé et m’a m’annoncé qu’elle avait été reportée, Madame Shamonda ayant été retenue à Montreal pour des raisons familiales.
Quelle déception ! Devant mon air dépité, elle m’a conseillé de visiter le stand de Renée Dion, spécialiste de l’histoire militaire, qui pourrait m’aider à identifier n’importe quel uniforme à partir de photos anciennes. Puisque j’étais là, je suis entrée. Au milieu des stands régionaux, des ateliers d’animation pour enfants, j’ai repéré un auteur en dédicace et je me suis approchée de la pile de livres posés sur la table.
Que vos enfants se détournent de vous
— Quel titre glaçant, n’est-ce pas ! s’est s’exclamé un septuagénaire à côté de moi.
J’ai reconnu un des pensionnaires de l’auberge. Il formait avec son épouse, une grande et belle femme, un couple qui ne passait pas inaperçu. Dans cet endroit sans âme, au milieu de ces gens qui déambulaient sans me voir, cette rencontre avait quelque chose de réconfortant. Après quelques banalités sur le charme de notre lieu de villégiature, nous avons décidé d’aller boire un verre ensemble, à la buvette de la salle des fêtes. Je ne pouvais m’empêcher de regarder du coin de l’œil Faustine, et j’ai fini par lui poser la question qui me brûlait les lèvres :
— N’êtes vous pas trop déçue que la conférence du Dr Shamonda soit repoussée ? Elle est la seule spécialiste à s’être intéressée à la 2ème Canadian Construction Company.
Mon interlocutrice a ouvert des yeux ronds. Visiblement, elle ne comprenait pas de quoi je lui parlais. Je me sentis aussi gênée que les gens doivent l’être quand, après m’avoir demandé où nous avons adopté Dylan, ils m’entendent leur répondre : “Cet enfant est sorti de mon utérus.”
Esteban Biraben m’a tirée d’embarras :
— Nous ne connaissons pas les travaux du Dr Shamonda, nous sommes ici pour par hasard et par curiosité. Peut-être apprendrai-je du nouveau sur la branche basque de notre famille ?
Nous avons continué à bavarder agréablement. Esteban m’a montré des photos de leurs cinq enfants, adultes maintenant, je leur ai montré la vidéo de Dylan dansant sur Tik-Tok.
— Il a l’air heureux et épanoui ! Notre fils Laurent a souffert du racisme, comme beaucoup d’enfants métis et nous ne nous en sommes pas rendu compte, je le regrette aujourd’hui.
Je lui ai souri et j’ai dit :
— Mon fils n’est pas métis. Son père et moi sommes blancs, et Dylan est noir.
Faustine a répondu :
— Il y a donc quelqu’un, parmi vos ancêtres, qui l’était…
— C’est pour cela que je suis ici. Je m’intéresse à la 2ème Canadian Construction Company.
1 Commentaire de Avril -
J’espère pour Delphine qu’elle ne déterrera aucun cadavre dont l’histoire aurait du rester secrète.
Imaginez un peu le choc si elle apprend qu’elle a du sang du Jura…
2 Commentaire de Sacrip'Anne -
Bonne plongée dans les histoires familiales, Delphine.
3 Commentaire de Kozlika -
Du coup j’ai regardé cette histoire de 2e Canadian Construction Company, vachement intéressante !
4 Commentaire de gilda -
Je découvre aussi, merci pour ce morceau d’Histoire.