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Gaston Gumowski

chauffeur-livreur

Daemonius Meridianus

Après un début de semaine plutôt frais et couvert, soleil et ciel bleu sont de retour et ils sont en colère : ça commence à taper, même sur ces mi-hauteurs du Haut Jura. Il fait bon être à proximité du lac de l’auberge, le long du cours de l’Ondine, ou dans les bois. J’imagine qu’Henri a intensifié ses siestes dans son hamac à couvert pas loin de la petite plage et qu’il ne me faudra pas trop compter sur cet emplacement-là pour un roupillon improvisé en journée, à l’air libre et au frais. Pourquoi pas du côté de la cabane où j’avais envoyé Hugo, tiens ? Ça, ça me semble jouable dans les jours qui viennent. Puisque même mon coin de grange risque d’être trop chaud en après-midi pour un somme. Oui. Bon plan, Gumowski. J’aurais bien aimé la croiser, cette petite Hugo. Juste histoire de tenter de rééquilibrer la partie. J’ai la sale impression qu’elle mène aux points, pour le moment. J’ai besoin de passer du baume sur ma fierté, moi. Quand je pense que je me suis fait étaler par mon asticot de frangine, ce n’est pas très glorieux. Même si je n’ai pas été compté KO, heureusement ! Je ne sais pas ce qu’il me réserve pour la suite, mais déjà maintenant je peux dire que ça aura été un drôle d’été. Une accumulation de petites pièces presque insignifiantes, bigarrées et qui pourtant semblent vouloir s’emboîter. Une variante de l’alignement des planètes. Ou une autre connerie de ce type. J’ai l’impression que tout, autour de moi, a accéléré depuis ce jour où Henri m’a parlé de l’auberge. Je n’ai plus rien cherché à contrôler depuis. Je me suis juste laissé porter et entraîner. Certains jours, je me sens complètement largué, d’ailleurs. Ça devrait m’énerver mais, bien au contraire, j’ai l’impression de pleinement me délecter de ce sentiment. Je crois aussi que je m’amuse par moments à essayer de deviner ce que m’apporteront encore les journées d’été qu’il nous reste.

Pour l’heure, je me contente de profiter de la fraîcheur du soir en terrasse. Au calme et dans le silence. En guise de sas avant d’aller dormir, Léo s’est installée au salon avec son carnet de croquis, Charlie s’est posée à côté d’elle avec un livre. Enfin… Une version ralentie et assommée de Charlie, pour être exact. La charge chimique de son traitement du moment entrave son tourbillon naturel. Ça nous fait un peu bizarre, à Léo et moi. On la reconnaît moins et on la dorlote plus. J’ai préféré rester dehors, à l’écart, la thermos de café et une bouteille de Nikka From The Barrel à proximité, Kind of Blue dans les oreilles et… les fichiers de Denis sous les yeux, ainsi qu’un simple carnet de brouillon et un crayon. J’ai besoin de griffonner lorsque je m’adonne à cette activité. Comme un réflexe palliatif, une façon de garder la pression sous contrôle sans devoir y réfléchir et risquer ainsi d’empiéter sur la concentration. Un peu plus loin, comme toujours, un peu en embuscade, mon carnet noir et mon stylo-plume. Ça me permet de me débarrasser rapidement des idées étranges et pas toujours confortables qui me traversent régulièrement la tête. Je lève souvent les yeux au ciel pour y contempler la Lune et les étoiles, aussi. J’aime tant ces nuits d’été. Surtout vu d’ici. Je pense bien profiter de celle qui se présente. Comme je ne ressens pas la moindre somnolence pour l’instant, je crains de ne pas aller me coucher bien tôt, ce soir encore. Comme qui dirait, j’aurai tout le temps de dormir lorsque je serai mort.


— Je peux me joindre à toi un moment, Tonton ?
— Mais bien sûr, ma Bouclette. Ça va ? Charlie t’a abandonnée ?
— En quelque sorte, oui. La demi-portion s’est effondrée sur son livre et a déjà commencé sa nuit sur le canapé. Je vais avoir besoin de tes bras, je pense.
— Pas de problème, j’irai te charger ta peste dans votre lit.
— Tu m’en sers un petit dans ton verre, steuplé ?
— Dans mon verre ? Tu veux connaître mes pensées, c’est ça ?
— Pas besoin de ça, tu sais bien. Avec Henri, on pourrait cosigner un Les Gumowski pour les nuls.
— …

Je ferme instinctivement le capot de mon ordinateur portable. Et pour la confidentialité promise à Jeanne, et pour profiter pleinement de l’instant avec ma petite-sœur-pas-de-sang-celle-là.

— Ah mais tu bossais ! Je te dérange ?
— Non, non. Pas du tout. Pas du vrai boulot, non plus. Un service entre amis et quelque chose que je ne pourrai pas terminer ce soir d’une façon ou d’une autre. D’autant que j’ai déjà l’essentiel. Et toi ? Tu avances comme tu le souhaites ?
— Ohlala ! Non ! J’en ai déjà une tonne et de partout. Je pars un peu dans tous les sens. Mais c’est de ta faute, aussi ! Tu m’as donné carte blanche et avec le potentiel de cette ferme, j’ai des idées et des envies plein la tête…
— Fais-toi plaisir, surtout.
— Hum. Parlant de plaisir…
— Oui ?
— Comme ça, tu t’es fait attraper par le Démon de Midi ?
— Pardon ?
— La petite Hugo…
— Ah non mais tu ne vas pas t’y mettre non plus !?
— Allez ! Avoue ! Il n’y a pas de honte à ça… Charlie et moi validons ton choix en plus ! Mais tu t’en doutes déjà, pas vrai ?
— Laisse-moi deviner : je dois ça à Henri, pas vrai ? Il en a forcément rajouté, je peux te le dire !
— Henri mais pas que. Hey ! Et respire : il n’y a pas de mal à ça, tu sais… C’est juste que nous avons tous été surpris. On ne s’attendait pas trop à ça, après le départ d’Anna.
— Attends, Léo. Il n’y a rien eu entre Anna et moi. Tout juste un chapitre d’introduction à une histoire qui a été mise en attente en un éclair. Et pour ne rien te cacher, je ne passe pas un jour depuis sans penser à elle. À me demander où elle est, comment elle va, et si nous nous reverrons un jour. Et il n’y a rien non plus avec Hugo. Et puis c’est la faute de Charlie, ce truc, d’abord !
— Comment ça ?
— Ben si elle ne m’avait pas parlé d’Hugo comme elle l’a fait, ça se trouve, je ne l’aurais peut-être pas remarquée. Bon. C’est vrai qu’elle est… Jolie. Très jolie. Mais elle est tout de même beaucoup trop jeune pour moi, faut pas déconner. Elle a l’air d’être encore plus jeune que toi, bon sang !
— Et alors ? Et puis…… Jolie. Très jolie, c’est ça ? C’est tout ? T’en es sûr ? Tu te fous de moi. J’ai un peu de mal à te croire là. Essaie encore pour voir ?
— …
— Allez, Tonton, tu veux vraiment que je l’écrive ce Gumowski pour les nuls ?
Appétissante. Voilà ce qui a failli m’échapper. C’est bon ? Mademoiselle est satisfaite ?
— Ah ouais ! Carrément ! YES ! Alors qu’est-ce que tu attends, dis ? Tu n’as pas une petite faim ?
— Arrête, Léo. Franchement. Je suis trop vieux pour ces conneries.
— Non. Ah non ! Ça, c’est une connerie ! Ta remarque. Ne viens pas me faire croire non plus que Gaston Gumowski se découvre soudainement un profond respect pour les convenances. Pas toi. Pas maintenant. Tu te fous royalement de ta réputation. Tu es de plus en plus libre et sauvage. Tu es même devenu un peu barbare, je trouve. Perso, je te kiffe de plus en plus.
— …
— Alors, Tonton… Qu’est-ce que tu attends ?
— Laisse tomber. Et viens, on va coucher notre petite, avant qu’elle ne bave sur les coussins du canapé…

Je me lève alors pour récupérer notre chargement au salon. Léo suit le mouvement sans rien dire d’abord. Le temps de revenir à ma hauteur et de me prendre le bras.

— Je ne vais pas lâcher le morceau aussi facilement, tu le sais ?
— Oh oui, Léo ! Je le sais…

Sur ce, elle me gratifie d’un sourire king size, d’un baiser d’oiseau, d’une bourrade, puis d’une bonne claque sur les fesses.

— Hardi, Gumowski ! ;-)


Une fois la plus petite déposée délicatement dans le lit, j’embrasse cette Belle aux bois dormants sur le front et sa Princesse Charmante avant de quitter leur chambre. En repassant par la cuisine, je remarque cette enveloppe matelassée récupérée juste au retour de l’auberge en fin d’après-midi, après la signature demandée par le coursier. Je n’en connais toujours pas son contenu mais suis très familier de l’expéditeur et de son discret logo « gig ». Indiscutablement, c’est quelque chose qui peut attendre et qui attendra très certainement. Je regagne donc la terrasse et je ne peux m’empêcher de sourire tout seul.

Je pense à une autre enveloppe, à peu près du même genre que celle de la cuisine, que j’ai laissée à Jeanne, cet après-midi également, au retour de ma course pour une veuve noire silencieuse comme un caveau. Je peux te confier ça, s’il te plaît ? À remettre à Mademoiselle Loup. Bien entendu, j’ai eu droit à un sourire multifacettes de Jeanne. Sourire interrogateur, un brin réprobateur, un brin amusé. Je me suis permis un Et, non, Jeanne, tu ne poses pas de questions à ce sujet. Lui faisant un clin d’œil, je me suis penché par-dessus le comptoir de la réception pour lui faire une bise avant de filer.

Dans l’enveloppe, un exemplaire d’une édition Moundarren de Chiyo-ni - bonzesse au jardin nu et un simple mot sur une carte de correspondance.

Sergent,

Pour le cas où vous souhaiteriez retourner dans cette cabane et sa clairière.
Pour un peu de calme, du repos, une communion ou du plaisir.

Et laissez-moi vous appeler Hugo.

Gaston

Et…
J’ai même pensé à inscrire mon p’tit 06.

Léo, ma chère Léo, j’espère qu’il n’est pas déjà parti sous presse, Les Gumowski pour les nuls. Sinon, tu vas être quitte pour une diffusion en urgence d’un addendum.

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