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Henri Bonaventure

factotum

Turn-over

« Il est complètement fou ce mec. Mais moi, les dingues, je les soigne. Je vais lui faire une ordonnance, et une sévère… Je vais lui montrer qui c’est Henri. Aux quatre coins de Paris qu’on va le retrouver, éparpillé par petits bouts, façon puzzle. Moi, quand on m’en fait trop, je correctionne plus : je dynamite, je disperse, je ventile ! »

Ça résume bien[1] ce que j’ai comme programme pour le Toni si jamais ça lui prenait l’envie de pointer le bout de son tarin dans le coin… À bon entendeur !

Je vous fait pas le détail mais en gros il a lâché Natou — tu sais la petite marseillaise qui pêche si bien — comme un malpropre et ça l’a d’ailleurs rendu fumasse la petiote ! Avantage de la situation, elle va faire partie du staff bientôt et c’est pas pour me déplaire, elle met du soleil partout avé son assent !

Cela dit, une personne en plus dans le personnel, c’est pas ça qui va arranger le moral (financier) de la p’tite patronne ; ils ont trouvé des projections économiques calculées par le Denis, projections qui mèneraient tout droit dans le mur paraît-il ! Alors tu le sens comment ça peut la tournebouler la boss ?

On a appris tout ça avec Lucien, alors qu’on silençait religieusement ensemble de la vie et de toutes ces sortes de choses quand on a vu descendre la p’tite patronne avec une gueule de déterrée ; rapport au manque de sommeil, ou aux tracas, ou aux deux m’est avis…

Seulement ce qu’on a appris aussi c’est que les « chiffres » avaient l’air un peu louches, dixit le gars Gaston qui va jeter un œil dessus, vu qu’il sait un peu y faire avec ce genre de trucs — avoir fait plusieurs métiers, ça peut aider. Tiens, en parlant de Gaston j’ai la bizarre impression qu’il me cache un truc ; il va falloir que j’enquête un peu du côté des filles, des fois qu’il ne soit pas en train de retomber dans un de ses travers chimiques, mais j’ai l’intuition que c’est autre chose.


J’aime assez trainer à l’auberge avant de rentrer me mettre au pageot ; On a une sorte de routine avec Lucien, une fois que les clients sont montés ou partis, c’est selon. On verrouille et on sort sur la terrasse observer le lac, ou de l’autre côté pour voir si son troupeau de renardeaux seraient dans le coin à quémander à bouffer — d’ailleurs est-ce que c’est réellement une bonne idée de les nourrir, me suis-je souvent dit in petto, mais bon, Lucien est un grand garçon, il doit savoir ce qu’il fait.

Et puis un petit verre, ou deux, mais pas plus parce qu’après j’ai un peu de mal pour rentrer droit, ça aide bien à dormir sur ses deux zoreilles, comme ils disent en métropole !

Lucien est pas du genre bavard et c’est à demi-mots que j’ai capté quelques bribes de son passé, pas assez cependant pour m’en faire un tableau complet. Il paraît bon vivant mais je pense qu’il a du passif question vie privée ; reste à savoir lequel, si jamais je l’apprends un jour. C’est quand même une sacrée tribu de gueules cassées le staff de l’auberge, au sens relatif évidemment, quoiqu’avec Gaston c’est pas toujours du figuratif, si tu vois ce que je veux dire !


On a causé de tout et de rien avec la p’tite patronne et Lucien hier soir, surtout de rien quand on a compris qu’il fallait éviter de mentionner le bazar de Denis — cela dit il va bien falloir tirer ça au clair et éventuellement prendre des décisions, mais le jour est pas arrivé et il n’y a pas le feu au lac, comme disent les amis suisses.

Une porte réparée, l’ascensoriste avec qui on a un contrat de maintenance qui se fait tirer l’oreille pour inclure un passage à l’auberge avant la saint-Glinglin — j’ai l’impression qu’il y a une porte palière qui ferme mal et ça bloque l’ascenceur, avec son lot de désagréments, ai-je cru comprendre, pour quelques clients.

Un barbecue prêt pour le Jojoff qui revient avec sa régulière dans pas tard ; on a discuté de l’endroit où on pourrait l’installer pour éviter les foudres des contrôleurs des assurances, si jamais il y avait un accident. Faut dire qu’avec une auberge construite à l’ancienne, le bois c’est bien, c’est beau et ça brûle bien, ça serait bien de limiter les risques… Alors du côté de la plage, a priori, serait une bonne idée. Reste à voir si ça conviendra.

On a eu de quoi faire deux ou trois phrases, ponctuées d’une ou deux gorgées, ponctuées d’un long silence pensif, à tour de rôle ou avec l’ange qui passe, d’évoquer le chassé-croisé des clients le week-end dernier, ce qui arrange bien la trésorerie me suis-je permis de dire à la patronne pour tenter de lui remonter un peu le moral de ses chaussettes, mais on sentait bien qu’il allait en falloir beaucoup plus, d’arguments, et du genre solides et chiffrés, pour qu’elle s’en remette…


— Bon, Lucien, tu m’en mets un p’tit dernier et ensuite je file ? Lui ai-je demandé une fois la patronne remontée dans ses quartiers.
— Yup…

Une fois bien silencé de nouveau, j’ai enfourché mon vélo en me disant qu’il était décidément pas bien causant ce taiseux de Lucien. Je me suis demandé s’il avait pas un problème qui le rongeait, lui aussi…

Note

[1] J’adore ce film !

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