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Alexeï Dolgoroukov

Chambre 14

Faire diversion

Ce matin en sortant de la chambre, nous rencontrons devant l’ascenseur une nouvelle arrivée à l’auberge. Cheveux courts et blanc, tonus de femme sportive malgré l’âge qui avance, elle nous tend cordialement la main en se présentant avec une pointe d’accent (belge ?) :

— Miranda Sotto, enchantée.

Le Comte se plie en deux :

— Comte Nicolaï Pétrrrrrrovitch Rrrrromanov pourrrrr vous serrrrrvirrrrr, Madame.

— Alexeï Dolgoroukov.

Je m’interroge quelques secondes : l’ascenseur a été un peu capricieux, la jeune actrice qui vient de revenir à l’auberge s’y est trouvée coincée l’autre jour avec Irène-Aimée. Et il est un peu petit pour y entrer à trois. Tant pis, bien qu’encore fringant, le Comte ne peut pas descendre l’escalier. Et puis il n’y a que dans les fictions douteuses qu’on utilise le même truc plusieurs fois. Je les installe et commence à dévaler l’escalier pour le réceptionner en bas.

Et à mi-hauteur, bien évidemment : gros bruit métallique et grinçant, l’ascenseur s’est arrêté à mi hauteur !

— Alexeï !!! Alexeï !!! Nous grrrrrand besoin secourrrrrrrs !

— Je… euh… j’arrive en bas, Monsieur le Comte, appuyez sur le bouton d’appel !

— Quel êtrrrrrre bouton ? Moi pas voirrrr corrrectement.

— Demandez à Madame Sotto d’appuyer, (et en cet instant je forme des vœux pour qu’elle ait une meilleure vue que lui).

— Pas êtrrrrre possible !!! Madame Sotto êtrrrrre dans grrrrrande panique, elle rrrrrrespirrrrrer vite et mine blafarrrrrde.

Je réfléchis à toute allure. Autant la cabine ne semble pas présenter de danger immédiat, autant un malaise dans l’ascenseur avec le seul Comte comme secours potentiel me paraît être une menace imminente au calme de l’auberge.

— Monsieur le Comte. Essayez de lui prendre la main et de respirer calmement, en lui demandant de vous imiter.

Quelques rrrrr apaisants me parviennent, j’y crois quelques secondes mais…

— Elle pas calme, Alexeï, rrrrrrespirrrrer comme locomotives des trrrrains dans Anna Karrrrénine !

— Il va falloir faire diversion, alors, Monsieur le Comte. Essayez de la surprendre, d’attirer son attention vers autre chose.

Un cri féminin me parvient quelques secondes après, juste avant le bruit de la cabine qui se remet en route. Je ne sais pas ce qu’il a fait mais c’est d’une efficacité redoutable.

La porte s’ouvre et Madame Sotto en sort indignée.

— Votre comportement est insultant, monsieur, jamais au grand jamais personne ne s’est permis un tel outrage à mon égard.

Elle s’éloigne à grandes enjambées pendant que je sors le Comte de la cabine.

— Qu’est-ce que vous avez fait, encore ?

— Quoi encorrrre ? Moi suivi conseil vôtrrrre, Alexeï. Surrrrprrrrendre elle et diverrrrrsion faite parrrr baiser emprrrressé. Fonctionner à merrrrveille, elle rrrrreprrrendrrre souffle immédiatement pour gifler pauvrrrrre secourrrrs bien intentionné.

À bien le regarder, il a effectivement une belle trace de doigts sur la joue. Il s’en remettra, mettons que c’est pour toutes celles qu’il a esquivées jusqu’à présent.

— Monsieur le Comte ?

— Oui cherrrr Alexeï ?

— En 2020, pour embrasser les femmes, il faut leur consentement éclairé et enthousiaste. Fini les trucs de vieux machos.

— Alexeï, enthousiasme contestable, cerrrrrtes, mais consentement elle pas éclairrrrable, lumièrrrre éteinte !

— Je lui ferai livrer des fleurs dans la journée, allez. Mais pour la diversion, la prochaine fois, pensez à chanter, peut-être. Ça avait bien marché ces derniers jours, quand vous chantiez.

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