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Côme de la Caterie

Chambre 9

Janus bifrons ou "la prudence"

Quelle pouvait être la probabilité de rencontrer un deuxième Côme dans l’auberge ?
Quand j’avais recherché ma nouvelle identité, j’avais lu qu’il y avait moins de 3000 Côme en France depuis le début du XXème siècle. Même si ce prénom est redevenu un peu à la mode, il n’est qu’en 187ème position des prénoms les plus donnés ces cinq dernières années…
Et là j’apprends qu’un mouflet de 3 semaines me “vole” ma singularité… Chambre 13…

Côme de la Caterie…
Rémi Acceteo pour l’état civil…
J’ai cherché un anagramme qui pouvait me plaire… Côme Caterie.
J’ai rajouté une particule pour parfaire le personnage et pour le fun et voilà… je me présente, Côme de la Caterie.
Personnage inventé pour fuir la réalité, pour se fondre dans l’invisible, pour vivre sans laisser de trace…
Double identité… Heureusement qu’on ne demande plus de remplir les fiches de police dans les hôtels ! Côme de la Caterie va passer 6 semaines dans une auberge alors que Rémi Acceteo se sera volatilisé…
Désolé Marie, tu ne porteras pas mon nom.

C’est assez effrayant lorsque je repense à la manière dont les événements et les rencontres se sont enchainés et entremêlés.
Ce coup de foudre intellectuel et - très rapidement - sensuel entre elle et moi.
A me faire oublier toute retenue.
A me faire oublier Fabien (avec lequel il n’était pas question de construire quoi que ce soit mais qui, question sensualité, assurait bien et m’apportait cette sérénité du corps si importante à mon équilibre).
Marie a remplacé tout ça. J’ai oublié la carrure de Fabien et ses étreintes et j’ai fondu devant la fragilité et les courbes de Marie.
Je m’suis fait tout petit devant une poupée…
Nous partagions même l’amour de Brassens (même s’il restait à la porte de la chambre à coucher pour faire place à des sonorités plus animales…)
Ce jour-là, Fabien m’avait invité à l’accompagner à un vernissage. Marie, elle, avait été invitée par l’artiste. Nos chemins se sont croisés devant une sculpture que j’ai qualifié d’inachevée et que Marie a remisée au rang des horreurs.
Nous avons ri ensemble et continué la visite en décochant nos critiques vachardes mais évidemment on l’a fait avec humour, enrobé dans des calembours mouillés d’acide
A la fin de notre visite, les œuvres exposées ne méritaient même pas - selon nous - d’être sponsorisées par Emmaüs. Je crois que l’artiste nous a entendus. Nous ne l’avons pas salué.
J’ai oublié Fabien, elle a oublié le sculpteur, nous avons fui ensemble dans la nuit froide.
Elle tremblait, je lui ai souri. Elle s’est blotti dans le confort de mes bourrelets. J’ai humé ses cheveux.
Nos baisers nous ont conduit jusque chez elle. Et la nuit s’est évaporée sous nos caresses.

Le lendemain j’ai reçu un sms de Fabien. Si tu reviens j’oublie tout LOL Sois heureux petit bouchon… Je t’embrasse. F.
Elégant ce garçon. Quand je pense que je l’ai perdu…

Lâcher la proie pour l’ombre comme on dit… Ah si je m’étais souvenu de Shakespeare : “Une fille n’a qu’une envie, c’est de se marier et quand elle est mariée, elle a envie de tout.”
C’est un excellent débriefing de ma vie, de ma relation, de ma prison avec Marie. Le tout maquillé derrière un rideau flamboyant pour les sens.
Je lui ai tout offert, elle m’a beaucoup donné… Ou prêté plutôt. Je ne savais pas que ce serait un prêt avec intérêts.
Notre relation ne tenait finalement que sur nos sens. Les miens surtout. Et quand elle a commencé à être moins présente au creux de mon épaule, j’ai cherché un nouveau Fabien…
Ou plutôt des nouveaux Fabien…
Et j’ai repris mon double visage, le jour avec Marie, la nuit avec des inconnus.
Voilà pourquoi je pense souvent à Janus, le dieu des commencements et des fins, des choix. En oubliant trop souvent la prudence.
Je n’ai pas compris suffisamment tôt qu’elle savait…
Et là…

J’ai été sorti de mes pensées et écarté de ces foutus souvenirs par des bruits difficile à définir au départ… Des rires, des crissements sur le gravier, des voix que j’avais du mal à identifier, des mots tellement dans les aigus que je ne les comprenais pas…
Je croyais (j’espérais) avoir la possibilité de passer ma mauvaise humeur sur une bande de jeunes bruyants et irrespectueux. C’est fait pour ça les gamins, quand on est un vieux ronchon. On passe ses nerfs sur eux et on leur interdit de répondre, rapport au respect qu’on doit aux anciens…
Or je suis resté scotché par ce que j’ai vu. La mamie de chambre 15 qui s’essayait au vélo, commentant avec force rires ses erreurs, ses louvoiements, ses chutes.
Et elle actionnait la sonnette comme une dingue.
Et elle trouvait ça drôle, tout ça sous les yeux d’une autre cliente qui riait de concert.
Des vieilles qui jouaient comme des gamines attardées… Qui faisaient du bruit quoi…
Elle a amoché un client en lui rentrant dedans et tout ce petit monde a eu l’air de trouver ça marrant !
Moi qui m’apprêtais à râler contre des gamins… Ces “adultes” immatures donnaient parfaitement raison à Sagan “La jeunesse est la seule génération raisonnable” alors que là, j’avais affaire à des vieux indélicats.

Je vais descendre au restaurant où le risotto crémeux au poulet, champignons et asperges et le clafoutis aux abricots devraient m’aider à affronter mes démons et combler le vide de ma vie.

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