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Diane

Chambre 2

Contre vents et marées

J’ai toujours considéré que l’enseignement de l’équilibre à vélo était la mission du père. J’avais donc amplement délégué cette tâche pour mes filles. Et voilà que je m’étais auto-promue coach de Jeanne pour son cours de vélo électrique. Je n’avais aucune compétence en la matière. Un peu stressée, à me demander dans quoi je m’étais embarquée, je rejoignis Jeanne à l’accueil. Personne. Pas de Jeanne, elle s’était dégonflée (voilà que je me mets à faire des jeux de mots…) L’absence de réceptionniste me fit tiquer. Je sortis et retrouvai en effet Jeanne au local. Je ne pus pas m’empêcher de la taquiner sur sa tenue vestimentaire… le jaune était de mise pour le haut, mais le reste… on voyait qu’elle avait choisi le confort. Je coupai court aux explications d’utilisation de Vernon que Jeanne entendait sans écouter. Je repris les explications, avec pratique à l’appui. Je réglai l’assistance au maximum, pour soulager l’effet du poids de l’engin. J’étais vraiment inquiète que cela la déstabilise. J’aurais dû me méfier un peu plus. Très vite Jeanne a retrouvé ses habitudes de pédaler, mais je pense que le vélo allait trop vite, et elle n’avait pas le temps d’anticiper les changements de direction. J’ai l’ai vue tomber dix fois, mais au dernier moment, elle retrouvait l’équilibre et reprenait sa course. Je trottinais à côté, histoire de, mais à chaque fois que je l’imaginais tomber, je me demandais bien comment j’allais pourvoir la rattraper !

Incroyable Jeanne ! Elle a rajeuni de plusieurs dizaines d’années, on aurait dit une gamine qui découvre le vélo sans les roulettes ! Et je joue de la sonnette, et je crie victoire à qui veut l’entendre ! Ça aura eu le mérite de rendre le sourire à Natou qui passait par là et qui ne manqua pas d’encourager la cycliste ! Il n’est jamais bien loin ce sourire, mais j’ai senti que sa joie de vivre avait pris du plomb dans l’aile avec ce qui s’était passé dimanche.

En guettant Jeanne sur le dernier virage, je vis Emile Le Floch et lui fis un signe. Il s’approcha, l’air intrigué. Oh non, il ne m’avait pas reconnue.

“Diane, chambre 2. J’ai assisté à la partie de pétanque samedi.

-Ah oui, bien sûr ! Pardonnez-moi, il y avait tellement de monde, et je suis arrivé il y a peu de temps.

-Oui, je comprends, ne vous inquiétez pas. Attention, écartez-vous, voilà Jeanne. Elle essaie un vélo électrique, et j’ai réglé l’assistance un peu fort, elle ne maîtrise pas encore bien sa vitesse, ni sa direction !

Elle semblait un peu plus adroite et se lança dans un deuxième tour de l’auberge. Elle finissait royalement son deuxième tour, amorçait le freinage pour s’arrêter près de nous, quand il y eu un loupé et elle repartit de plus belle en dérapant sur les orteils d’Emile ! Il a accusé la douleur à force de jurons digne du capitaine Haddock. Et je me suis souvenue que lors de la partie de pétanque, il s’était ramassé une ou deux boules sur le même pied. Jeanne avait fini par s’arrêter et n’en finissait pas de s’excuser. Je la rejoignis pour la libérer du vélo, m’assurer qu’elle allait bien. Elle était désolée pour Emile, mais tellement heureuse d’avoir réussi et d’avoir re-goûté à son plaisir de jeunesse ! Emile, boitant, s’approcha de nous pour rassurer Jeanne et se faire pardonner son langage qui n’était adressé qu’à la douleur ! Quel gentleman ! Nous fûmes rejoins par Faustine et son mari Esteban qui avaient encouragé Jeanne d’un autre endroit de la boucle.

Elle s’est ensuite demandé quand elle allait pouvoir montrer ses prouesses à Inès. Quel beau cadeau elle allait lui faire ! Elle inversait les rôles, Inès en serait tout fière. Gonflée à bloc, Jeanne convia tout le monde à dîner avec nous, nous avions convenu de dîner avec Antoinette. Tout le monde signifia Faustine et Esteban, Emile ayant disparu clopinant vers l’auberge, sans doute pour aller soulager son pied.

Au dîner, nous n’avons pas manqué de narrer les exploits de Jeanne la cycliste mais aussi ceux d’Antoinette et Esteban à la pétanque. Nous avons également fait plus ample connaissance, Jeanne et moi du couple Biraben. Qu’ils sont beaux. J’étais fasciné par la façon dont ils se regardaient, et dont ils regardaient l’autre à la dérobée. Il y avait tellement de tendresse, d’amour et de complicité. Quand ils ont parlé de leurs cinq enfants, qu’ils s’étaient connus étudiants, je n’ai pu m’empêcher de faire la comparaison avec ma propre histoire, moins brillante. Antoinette a capté mes pensées et m’a adressé un clin d’œil. LE couple est très littéraire, très cultivé, ils sont passionnants à écouter. Ils m’ont donnée envie d’explorer cette littérature africaine anglophone. Je n’avais eu qu’un aperçu avec Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie, que j’avais découvert par hasard et que j’avais adoré. Il me reste encore quelques jours à l’auberge, j’espère que j’aurai encore la chance de les croiser à nouveau.


En rentrant dans ma chambre, je découvre un mail de Pierre.

Mon amour,

Tu me manques, je te demande mille fois pardon. Je n’ai pas réalisé à quel point j’ai pu te blesser en acceptant cette proposition sans te consulter. Je pensais que nous emmener dans un autre pays, vivre une expérience nouvelle tous ensemble nous aurait fait du bien. J’ai pensé que cette vie sans tâches ménagères te séduirait. En visitant les différentes maisons sur place, j’ai essayé de nous projeter dedans. Je t’assure que tu m’as accompagné par la pensée pendant mes différents voyages.

Quand tu m’as annoncé que tu ne voulais pas me suivre, je n’ai pas voulu te croire. J’ai fait mon kéké, mais au fond de moi, j’étais dévasté. Je n’avais pas conçu une seconde que j’irai seul au Nigeria.

Je ne peux pas croire que tu veuilles me quitter. On forme une équipe depuis tellement longtemps tous les deux. J’ai déconné en prenant cette décision, je te le répète, et m’excuse encore une fois. Mais cela mérite-t-il vraiment de tout gâcher ? On peut trouver une solution : toi et les filles me rejoignez un mois sur deux ? Promis, pour une prochaine mission en expatrié, je te demanderai avant.

S’il te plaît, revoyons-nous tous les deux, dis-moi où tu es, je te rejoindrai.

Tu as eu raison de me secouer, nous nous sommes laissés prendre par notre routine. Prenons un nouveau départ. Au Nigeria justement. On aura plus de temps pour tous les deux. S’il te plaît, ne gâche pas nos belles années passées ensemble.

Je t’aime,

Pierre

Et merde.

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