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Lucien Durand

veilleur de nuit

À mi chemin

J’en suis au milieu de la saison, et il me reste encore six semaines à tirer ou six semaines de moins à faire, c’est selon comme dirait mon cousin Dédé, celui du midi dont je vous ai déjà parlé je crois, et si je n’en ai pas encore parlé il faudra que je le fasse un de ces jours. Cette question de verre à moitié plein ou à moitié vide, je ne me la pose pas souvent parce que les verres je les préfère nettement quand ils sont pleins, et comme je suis d’un naturel plutôt optimiste je m’efforce de les garder toujours ainsi. Et puis un verre à moitié plein c’est facile à gérer, on peut le recharger indéfiniment, alors qu’un verre à moitié vide il faut malheureusement le finir sans trop savoir si on aura le temps ou les munitions pour le remplir à nouveau. C’est terriblement déroutant.

Bref, les verres sont à moitié pleins ad vitam æternam pour toi mon Lulu, c’est très bien ainsi, et si je n’arrive pas forcément à bien l’expliquer, je me comprends tout de même, ce qui est l’essentiel. Si en revanche vous, mes hypothétiques lecteurs, ne comprenez pas tout dans mon argument, servez-vous un petit verre, et reprenez ce premier paragraphe depuis le début autant de fois qu’il le faudra, sans oublier de remplir votre verre à chaque itération bien entendu, jusqu’à ce que vous conveniez avec moi que c’est bien la meilleure philosophie dans la vie. Vous y êtes maintenant ? Si ça tourne un peu ne vous inquiétez pas, c’est normal, vous vous y ferez, et revenons à nos moutons, la suite sera plus facile à comprendre, même avec un petit coup dans l’aile.


Si je n’ai pas écrit dans ce petit blog depuis au moins quinze jours c’est que j’ai été très occupé. Par le travail d’abord, qui me demande une grande disponibilité et une abnégation de tous les instants pour ne pas remplir ce sacré verre trop souvent, histoire d’être en mesure de veiller sur le sommeil de mes clients. Surtout que nous avons été bien bousculés récemment avec l’état de santé de Jeanne, qui nous faisait une version discrète du burn-out qui a malheureusement emporté Denis, le manager fou que je n’ai presque jamais vu tant il passait de temps à faire des calculs, enfermé dans sa chambre. Pas une grande perte en ce qui me concerne, le type ne m’a pas une seule fois proposé de partager une bouteille en un mois, c’est dire comme il était peu qualifié pour diriger du personnel.

Notre petite Jeanne, donc, qu’il a fallu soutenir afin de finir la saison avec une capitaine encore aux commandes plutôt que de laisser l’auberge comme un bateau ivre perdu dans l’océan de cet été sans fin. Après de longues palabres avec Henri et Gaston, nous avons fini par lui proposer de nous occuper de tout ce qui était possible pour lui permettre de se reposer un peu. Enfin, Henri et moi avons surtout silencé ensemble, car nous nous comprenons mieux ainsi, et allègrement refilé le bébé à Gaston, bien plus doué que nous pour la négociation. Tout cela a fini par porter ses fruits, et nous avons embauché les jumelles de Gaston pour aider partout où elles le pouvaient, et elles ont assuré le service à table et quelques heures à l’accueil comme des professionnelles, ou presque aux dires des clients qui semblent bien s’en amuser. C’est étrange, je dis “nous avons embauché” comme si j’étais partie prenante dans la gestion de cet établissement, et c’est bien ce que j’ai fait pourtant, prendre parti pour Jeanne. Cette auberge a ceci d’étonnant qu’elle me fait me sentir comme dans une famille, prenant fait et cause pour le moindre souci d’un de ses petits, ce qui n’est pas dans mes habitudes, moi qui cultive mon indépendance et ma solitude depuis si longtemps. Mais je m’y suis fait, et c’est bougrement agréable cette chaleur humaine et ces attentions. Je suis bien content d’avoir découvert ça à soixante-cinq balais.


Et puis il n’y a pas eu que le travail, car j’ai enfin réussi à me concentrer sur la préparation de ma retraite. Pas de ce que j’allais en faire, de tout ce temps qui me sera offert, et que je vous raconterai une autre fois, non, pas de comment j’allais en profiter, mais plus bêtement comment obtenir le droit d’en bénéficier. Et c’est un travail monstrueux que de réunir tous ces certificats et feuilles de paye, et de vérifier que l’administration n’a rien oublié de ma carrière. Il m’a donc fallu, plusieurs nuits durant, occuper le salon avec des montagnes de photocopies à classer, au point que j’en ai presque oublié d’aller voir mes renards. Je n’ai quand même pas oublié de les nourrir, mais je les ai un peu négligés et j’espère qu’ils ne m’en voudront pas de ne pas avoir assisté à leurs repas et à leurs jeux pendant quelques jours. Ça devrait aller mieux maintenant que j’en ai terminé avec ce dossier de toute une vie.

C’est incroyable mon Lulu le travail que ça demande de se préparer à ne plus travailler !

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