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Diane

Chambre 2

La croisière s'amuse... et va à la messe

Cette traversée a failli être en solitaire. Comment j’ai pu croire quinze secondes que j’allais rester isolée dans ma chambre à réfléchir sur moi-même pendant trois semaines ? Déjà au bout de la première semaine, je ne me supportais plus, toutes ces voix contradictoires dans la tête qui m’empêchaient d’avancer.

Je suis heureuse de mes rencontres avec Jeanne et Antoinette. Et voilà que grâce à Antoinette, j’ai pu assister à une partie de pétanque mémorable. Il y a dans cette auberge un fluide magique qui crée des situations impossibles dans la vraie vie : jamais je n’aurais imaginé Antoinette faire équipe avec ma petite voisine de palier à l’accent chantant et avec le réalisateur Javot (si j’avais su… quelle gourde ! C’est ça aussi les réalisateurs, on aime leurs films, on connaît leur nom, pas leur visage ! Mes copines vont bien se moquer de moi !). C’est en revenant de balade que je suis tombée sur l’équipée. J’ai rejoint d’autres femmes et Adèle pour grossir le rang des supportrices. Je me suis régalée ! Entre les expressions de Natou, les commentaires enjoués et moqueurs de mes camarades de banc, et surtout l’application des joueurs, quelle représentation ! La scène de l’outil de mesure est à garder dans les annales de l’auberge ! Quel bon moment ! J’ai compris que June avait séjourné à l’auberge et y était revenue, et que ce n’était pas que l’auberge et ses environs qui l’avaient charmée. J’ai découvert Faustine, une belle femme très cultivée, très drôle et posée, un brin intimidante. Et Natou. Quel soleil ! Chaque personne présente semblait touchée par ses rayons. Quelle générosité, quel humour. Elle donne beaucoup cette fille. Elle semble recevoir aussi beaucoup des personnes de l’auberge, mais dans la vie du monde parallèle qu’on a tous quitté, cela me paraît moins sûr…

Cette nuit, j’ai été réveillée par un cri de douleur comme je n’en avais jamais entendu, même quand ma fille Juliette s’est cassé le poignet. J’ai identifié que cela provenait de la chambre de Natou. Je n’ai pas voulu faire ma greluche comme l’autre fois et me suis précipitée pour lui porter secours. Mais le voisin Jojoff, un des joueurs de pétanque d’hier, avait été plus efficace et berçait déjà Natou pour la consoler alors que j’approchais à peine de l’encadrure de la porte. Je les avais déjà vus tous les deux et avais perçu beaucoup de tendresse dans une relation proche de celle d’un père avec sa fille. Je les ai laissés et suis repartie sur la pointe des pieds, en apercevant plus loin Eric Javot et June s’enquérir eux aussi de l’origine des pleurs. Je suis allée me recouchée, je devais me lever tôt pour emmener ces dames à la messe !

J’étais beaucoup moins enjouée que la dernière fois à l’idée d’assister à la messe. Pour ne pas décevoir Jeanne, j’avais décidé de faire pénitence, pour me racheter de ma conduite pécheresse à rompre les liens sacrés du mariage. Je traînais un peu la patte, mais j’étais contente à l’idée de faire plus ample connaissance avec Irène-Aimée. On avait déjà fait le chemin la semaine dernière. Avec Jeanne on avait beaucoup monopolisé la parole à l’aller, Brigitte au retour, laissant peu de place à une personnalité plus discrète. Irène-Aimée semblait fatiguée quand on s’est retrouvées à la voiture. Pourtant elle a fait preuve d’un regain d’énergie quand on a évoqué ma situation et ce qui m’avait décidée à quitter Pierre. Elle était sacrément remontée alors qu’elle ne me connaît pas, cela doit résonner avec son expérience personnelle. Je n’ai pas osé demander.

Je ne parvenais pas à me sortir de mon humeur maussade, et si j’avais été illuminée la semaine dernière par la lumière particulière qui régnait dans l’église, cette fois, les vitraux ne parvenaient pas à réchauffer la grisaille qui passait au travers. J’étais beaucoup moins réceptive au déroulé de la cérémonie. Quelle barbe tous ces textes à propos de Jésus. Je ne peux m’empêcher de repenser au Royaume d’Emmanuel Carrère et à comment cette petite secte juive qui n’avait rien pour elle avait bouffé l’Empire Romain de l’intérieur et été à l’origine de la chrétienté. L’important, c’est que Jeanne soit contente. Elle a l’air de réagir au sermon. Je ne sais même pas de quoi il parle, j’espère qu’elle ne me demandera pas mon avis.

Naturellement, nous avons déjeuné ensemble à l’auberge. Irène-Aimée étant fatiguée, elle a préféré décliner et a retrouvé sa chambre. Pendant le déjeuner, j’ai informé Jeanne que mon séjour se terminait dans la semaine, que je ne pourrais pas la conduire une troisième fois à la messe.

- Vous pourriez y aller en vélo, la taquinais-je.

-Ne vous inquiétez pas pour moi, je pars moi aussi avant dimanche prochain. Je retrouverai ainsi ma chère église. Vous vous moquez de moi avec le vélo, mais je me suis posée la question d’essayer un vélo électrique. Ma chère Inès m’en parle souvent et aimerait bien que je m’y mette.

-Il y en a à l’auberge, c’est l’occasion de tester !

-Ah tiens, oui, vous m’accompagneriez ?

-Oui, bien sûr, on pourra faire un petit tour du lac pour commencer. On essaie demain après-midi ? Comme ça, si ça vous plaît, vous pourrez recommencer les autres jours, en empruntant des chemins avec plus de pente.

-Oui, vous avez raison. Vous êtes vraiment gentille de vous occuper de moi comme ça !

-C’est pas vraiment s’occuper de vous ! C’est juste vous tenir compagnie et vous soutenir dans votre démarche. Je sais ce que c’est : toute seule, on n’ose pas, on ne bouge pas. Mais s’il y a quelqu’un auprès de qui rendre des comptes, qui vous donne le petit coup de fouet qui vous manque pour passer à l’action, alors là on se lance. Je serai votre coach !


Bon, dans quoi je me suis lancée ? Je ne pourrai jamais la rattraper si elle tombe. J’ai testé un vélo électrique pour voir si ce n’était pas trop lourd à manipuler. Elle devrait s’en sortir, c’est assez stable. J’espère qu’elle ne va pas regretter ! Et il ne faudra pas que j’oublie de faire un tour au Café des Sapins demain, ma lettre avec la contravention n’est toujours pas arrivée.

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