Informations sur l’accessibilité du site

Ann-Kathrin von Aalders, Gräfin von Ersterbach

Chambre 1

Et dans un an ? - Wenn ein Jahr vorbei ist

Chère Marie-Ange,

Anneliese est repartie jeudi matin. Rassurée de me savoir… en bonne santé. Passés les premiers moments un peu schief… — ah ! Ce mot me manque toujours en français. Awkward. Gênants ? Gauches ? — nous avons su trouver notre rythme de croisière et je suis heureuse qu’elle ait pu être le témoin de mon histoire, cela la rend plus tangible. J’aurais moins l’impression d’avoir tout rêvé. Je ne suis pas certaine qu’elle ait compris exactement la teneur de ma relation avec Akikazi, mais je ne me suis pas non plus étendue sur la question. Je me demande comment Armin Junior, Anton et Alrich vont prendre la chose. J’ai imaginé la scène 100 fois dans ma tête et n’arrive même pas à entamer la conversation.

— Bonjour, j’ai un amant, il est suisse, s’appelle Akikazi et est féru de Kubrick et de danse contemporaine.

J’hésite à rajouter “Ah, et aussi, je l’aime”, histoire de mettre le feu aux poudres.

J’en ris à défaut d’en trembler. Armin et Anton vont en faire une syncope et Alrich aura probablement le même genre de réaction que pour Javot et sa moto et me demandera s’il peut avoir son arbre généalogique. Je crois bien que c’est la première fois de ma vie que je me trouve dans une situation où j’ai peur (je crois que peur est bien le mot) de me trouver face à mes enfants. Quelle peur exactement ? Qu’ils n’approuvent pas ? Je pense que c’est couru d’avance pour au moins deux d’entre eux. Qu’ils me posent des questions auxquelles je ne sais ou ne veux répondre ? Anneliese a déjà posé ces questions et j’ai été très claire. Je crois qu’il est tout à fait possible que j’aie en fait peur de me trouver face à moi-même et de devoir mettre des mots sur cette relation.

Parlons-en, de cette relation. Oui, j’ai bien réécrit plus haut “je l’aime”. C’est facile à avouer sur une feuille de papier en simulant un dialogue qui n’aura jamais lieu, ou en tous les cas pas en ces termes. Mais je reste encore si peu sûre de la nature exacte de mes sentiments ! De l’amour, probablement. Quel amour ? Plus compliqué. Bien sûr, avec lundi qui s’approche et notre départ programmé, la question récurrente de “que se passe-t-il après ?” est en marge de beaucoup de nos discussions. Nous avons d’ailleurs abordé ce thème et sommes convenus que j’irai passer quelque temps à Lausanne vers la fin août. Et nous prévoyons de nous retrouver à Lausanne pour assister à la représentation de la IXème symphonie chorégraphiée par Béjart en juin 2021.

Je vous vois d’ici lever un sourcil Marie-Ange, voire esquisser un sourire. Oui, vous avez bien lu. Nous avons très clairement évoqué la possibilité de nous connaître encore dans un an pour assister à une représentation de danse contemporaine. Et je dois vous avouer que j’en suis un peu l’instigatrice, puisque c’est moi qui ai mis le sujet sur le tapis. C’est lui qui m’a proposé de ne pas attendre juin 2021 et de nous retrouver plus tôt. Quand il m’a proposé cela, Marie-Ange, je ne suis pas sûre d’avoir su cacher ma joie et mon soulagement. Marie-Ange, je ne sais pas où cette histoire me mène, mais je suis maintenant certaine qu’elle ne s’arrête pas là. JA!


Aujourd’hui j’ai rencontré Natacha, à qui je souhaitais parler depuis quelque temps, pour m’excuser. Je l’ai rencontrée en milieu d’après-midi.

— Natacha, vous avez un moment ?

— Adieu Anne-Catherine. Sûr ! Mais j’ai pas beaucoup de temps parce que là on va jouer à la pétanque ! Vous jouez dans votre pays ? Parce que la pétanque c’est sérieux, moi je joue depuis toute minotte. Aussi, vous voulez pas m’appeler Natou ? Y’a personne qui m’appelle Natacha et à chaque fois que vous le dites je cherche pour savoir avec qui vous tchatchez.

— Natou, je voulais vous demander de bien vouloir m’excuser.

— Des excuses ? Peuchère, c’est la meilleure de l’année celle-là et pourquoi, vé ?

— Parce que je vous ai dit de faire attention à Toni et je pense que ce n’est pas juste de ma part de vous donner des conseils sur un homme que je ne connais pas.

— Vé ! Jojoff m’a dit un peu la même chose y’a pas si longtemps. Qu’est ce qui vous arrive à tous de changer d’avis comme de Marcel ? D’abord, personne ne l’aime et après tout le monde me dit “Natou, c’est toi qui décide”. Il a fé un truc Toni ? Ou quoi ?

– Non, enfin, pas que je sache. Mais ma vie a beaucoup changé en l’espace de peu de temps, ce qui m’a amenée à réfléchir sur ce que je vous avais dit sur Toni et votre relation avec lui. En fait, je me rends compte que nous sommes seules habilitées à vivre nos histoires, personne ne peut les vivre à notre place. Donc je vous demande pardon.

Natacha me regarda avec un sourire lumineux.

— Ahhhh ! Anne-Catherine, mon pardon vous l’avez même sans l’avoir demandé, pas la peine de vous escagasser. Je suis pas sûre de quels habits vous parlez là, les habits lités, mais vous avez bien raison, personne ne peut vivre à notre place, mon Toni, c’est moi qui le connais. Mais tant que je vous ai sous le coude, Anne-Catherine, je peux vous poser une question ?

À son habitude, elle n’attendit pas la réponse.

— Le monsieur un peu pitchoun japoné là, c’est votre calignaïre ?

— Mon quoi ?

— Votre amoureux, je veux dire, votre Toni quoi !

Je crois bien que j’ai rougi. “Oui,” lui dis-je.

— Bé ça m’étonne pas ! Je vous ai espinchés un peu tous les deux – pas avec des jumelles hein, je suis pas détective  ! – mais j’ai bien vu comme vous vous badez tout le temps au-dessus de l’assiette dans le restaurant, là, à parpeléger comme des papillons. On dirait des novi, manque plus que des cœurs partout et de la musique.

Elle m’a regardée droit dans les yeux, m’a serrée dans ses bras et embrassée sur la joue avant de partir en coup de vent :

— Bah, ça me fait toute chose de vous voir avec un amoureux. Vous me raconterez, hein, comment vous avez attrapé le béguin ? Il a l’air bien gentil ce japoné. Mais là j’ai pas le temps, la pétanque ça n’attend pas !

À vrai dire Marie-Ange, je ne suis pas sûre d’avoir tout compris, l’accent chantant de Natou et son vocabulaire fleuri sont parfois difficiles à comprendre ! Cet échange en revanche m’a fait chaud au cœur. Natou dégage une énergie incroyable ! Je serais bien allée jouer à la pétanque, quelque chose que bien sûr je n’ai jamais fait, mais il m’a semblé que les équipes étaient déjà formées. Une autre fois ! La vie est pleine de surprises.

Je vous embrasse,

A-K. v. A.

Haut de page