À quoi ça sert que je me dise que je devrais à nouveau suivre plus souvent mon instinct si je ne l’écoute qu’à moitié ? J’aurais bien dû les prendre ces deux paravents japonais. Ça aurait fini de rendre ce petit coin totalement serein. Mais même sans ça, je le sens bien déjà. Je devrais arriver à faire une nuit, ici, j’espère. Et puis, j’irai récupérer ces paravents plus tard. J’appellerai tout à l’heure pour les réserver et les faire mettre de côté. Peut-être même me les faire livrer, tiens. Et il faut qu’elle fonctionne, cette installation. Je ne vais pas rester bien longtemps sain d’esprit si je ne parviens pas à faire au moins une ou deux nuits complètes par semaine. Déjà que j’ai les fils bien dénudés, faudrait pas que je tente trop le Diable. Ah. J’entends les siamoises qui remuent. Est-ce que Léo va tout de suite repérer les plans ? Ça devrait, à mon avis.
— Ahoy, pirate ! Permission de monter à bord ? Gaz’ ? T’es où ?
— Là.
— Là où ?
— J’ai bien une réponse toute faite pour toi, mais pas certain qu’elle soit à ton goût…
— Très fin…
Je me redressai pour qu’elle puisse me situer. Même si j’étais persuadé qu’elle n’allait pas vraiment avoir besoin de me chercher longtemps.
— Là. Je finissais de m’installer. Viens voir.
— Oh ! Sympa ! Mais !?
— Mais… ?
— Mais tu étais vraiment sérieux quand tu disais que tu allais t’installer dans la grange ?!
— Je vous ai dit que j’allais m’installer un coin pour pouvoir dormir un temps dans la grange. Rien de plus. Rien de radical et sûrement pas du définitif, bécasse. Le temps d’exorciser ma chambre et de me reposer d’ici là. Je sens que ça commence à faire des étincelles du côté de ma boite à fusibles…
— Tu n’es toujours pas décidé à tenter les somnifères alors, tête de mule ?
— Ça ne me fait pas l’effet recherché, tu le sais. Ça m’assomme en journée et me rend irritable mais je ne m’endors pas mieux pour autant.
— Et à partir de quand je peux commencer à me faire du souci ?
— J’ai encore un peu de marge, t’inquiète. Où est Léo ?
— Cette question… Elle a trouvé les plans tout de suite en se levant, pardi !
— Bizarre, ça. Je ne l’ai pas entendue crier…
— Elle a émis un « Hiiiiiiiiiiiiii ! » étouffé, filé dans notre chambre et en est redescendue avec deux blocs, une trousse remplie de crayons encore plus grosse que sa trousse de toilette et a déjà investi la grande table du séjour. Ce qui veut dire que si on organise un autre repas tribu, faudra veiller la météo : ça ne pourra se faire qu’à l’extérieur…
— Bien !
— Tu te doutes que c’est l’un des plus cadeaux que tu pouvais lui faire, non ? À ce sujet… Tu as vraiment bien bien réfléchi, dis ?
— Charlie… On en a déjà parlé…
— Oui, mais regarde… Même pas un mois qu’on est arrivées et tu viens déjà dormir dans la grange ! Qu’est-ce que ça va donner lorsqu’on aura véritablement emménagé ici ?
— Arrête tes conneries, tu veux ? C’est également chez toi. Et tu sais très bien que cette installation-là est temporaire, simplement liée à mes nuits blanches du moment. Et aux siestes trop mouvementées dans la chambre, aussi. Ce n’est qu’une « cellule de survie » provisoire. Un test. Tu devrais même croiser les doigts pour qu’il soit concluant.
Elle croisa ses doigts. Des deux mains. Et laissa s’échapper une légère grimace.
— T’as mal à ta main, pas vrai ?
— Oui. Ça ne passe pas vraiment. Au contraire, presque.
— Bien fait !
— …
Elle voulut faire mine de me menacer de son poing, sauf que cette fois la grimace ne fut pas légère, mais franche et sonore.
— Ouch ! Putain !
— Fais voir ta patte.
— …
— Bordel, Charlie. C’est multicolore et enflé. Je vais dire à Léo de te descendre à l’hosto. M’en serais bien chargé moi-même à grand renfort de coups de pied au cul mais « notre p’tite patronne » m’a réquisitionné pour deux courses taxi aujourd’hui. Un départ, une arrivée.
— Ah… L’arrivée de la fameuse « surprise », certainement.
— Huh ?
— Oui, il y a un séjour réservé, sans nom, si ce n’est ce mystérieux « Surprise ». Pour te dire, ça a même réussi à intriguer Vern malgré son flegme tout terrain. Seule Jeanne semble être au courant et elle nous la joue tombe. Pourtant, crois-moi qu’on l’a cuisinée, Léo et moi. Rien. Pas un mot. Juste un sourire en coin à chaque fois. Je ne sais pas ce qu’elle mijote mais ça a l’air de bien l’amuser.
— …
— Et pour le départ, ça doit être Virginie. Puisque Hugo est motorisée.
— Hugo ?
— Hugo Loup. Un tout petit bout de femme, toute belle, toute jeune, assez secrète. Hugo, c’est son prénom. Et si je n’avais pas déjà ma blonde, j’aurais été assez tentée d’en faire mon goûter…
Je lui fis les gros yeux en mode pseudo-sermon.
— Ne va pas lui raconter ça, à ta blonde, ça pourrait tout de même chauffer pour ton matricule.
Elle pouffa, se tourna, et baissa son caleçon pour m’exhiber sa fesse droite et la trace bleu violacé qui s’y trouvait au beau milieu.
— Wow. C’est quoi ça ?
— Hier soir pendant le service. Pour me « punir de trop reluquer la petite au chignon ». Léo m’a méchamment pincé la miche, j’ai même failli en laisser tomber ce que j’avais dans les mains.
— Vous êtes vraiment deux calamités…
— Ouais. Avec lesquelles tu t’es condamné à passer les prochaines années, mon grand frère chéri.
— …
— Dis donc Tu devrais peut-être t’affoler un peu, non ? C’est pas loin de 11 heures déjà.
— Oh Merde !
J’étais juste dans les temps en arrivant sur le parking. J’aperçus Virginie au comptoir de la réception, qui semblait être seulement en train de régler son départ. Et, plus loin sur le parking, finissant d’enfourner ses affaires dans un vieux Land Rover, la fameuse Hugo. C’est vrai qu’elle n’est pas bien haute, dis donc. C’était donc à elle, ce gros jouet ? Et je la vis charger une espèce de gros tambour du côté passager. Je pris le temps d’échanger quelques mots rapides avec elle, sans doute pour la première fois, j’en étais alors surpris. En tout cas, peut-être pas pour la dernière à mon avis. Je reviendrai là-dessus un peu plus tard, je pense.
Virginie était maintenant à côté de la Skoda, il était plus que temps de lever le camp. Je l’ai trouvée un peu plus reposée, un peu plus présente dans son corps. Certainement un peu mieux dans sa tête, donc. Elle n’était pas beaucoup plus bavarde que lors de notre premier trajet, encore souvent perdue dans ses pensées. J’aurais aimé avoir trouvé du temps pour discuter un peu avec elle, autrement que de chauffeur à cliente. J’avais croisé Antoine ces derniers jours, qui se disait ravi du petit défilé régulier des résidents de l’auberge à sa ferme. Et qu’il avait apprécié la présence et l’assistance régulière et inattendue de Virginie. Un petit soulagement, une rupture dans son train-train habituel, le plaisir de pouvoir discuter un peu avec une personne qui partageait les mêmes faiblesses que lui pour ces animaux. D’ailleurs, je l’avais chambré un brin, Antoine, en lui disant que je le trouvais bien plus causant qu’à l’accoutumée.
Sur la route, j’ai dû sortir de mes gonds une ou deux fois, parfois exagérer sur l’accélérateur et quelques dépassements sur des lignes blanches. Mais c’était ça où je risquais bien de lui faire louper son train. Ça ressemblait à un gros complot routier, aujourd’hui, du départ de l’auberge, jusqu’à la dépose de la gare de Bourg-en-Bresse. Mais mission accomplie. Virginie montait bien dans le train sans avoir à changer de réservation. Et moi, il ne me restait plus qu’à me trouver un coin tranquille pour me poser. Écrire un peu dans le carnet, déjeuner, lire quelques pages, jusqu’à l’arrivée de cette fameuse surprise
.
J’étais tranquillement appuyé sur la portière passager de la Skoda, venant tout juste d’éteindre une cigarette, qu’en levant la tête en direction de la sortie des arrivées, je la vis apparaître.
Je n’en croyais pas mes yeux.
Elle était là.
Elle était revenue.
1 Commentaire de Sacrip'Anne -
Héhéhé ! Ça nous met du baume au cœur à tous !
2 Commentaire de Tomek -
https://www.youtube.com/watch?v=ot-… <3
3 Commentaire de Avril -
On croise aussi les doigts pour que le test soit concluant et que les fils se renudent au plus vite. ;)
Et il y en a une qui te remercie pour la course en Skoda aussi :-*