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Joseph Midaloff

Chambre 6

(sans objet)

Serge Reggiani dans Les Sept Frères Cervi, 1968. Crédit : Film Italia
Une photo de moi prise par Julie le jour où j'ai été nommé chef roto, en 2008.

Salut mon Didi,

Je viens de rentrer de Bourg. Cette fois c’est bien fini, mon lapin. Ça m’a plus fichu un coup qu’il y a six mois parce qu’il n’y avait personne pour me chanter le « À la » et moi debout sur une table avec une grosse voix bête, les yeux qui piquent et les guiboles qui tanguent, personne pour me donner déjà rendez-vous pour la prochaine sortie vélo, le prochain gueuleton au Roi du Couscous. Signez là votre fin de contrat, merci monsieur, au revoir monsieur, bonjour chez vous. J’ai l’impression d’avoir raté ma sortie ou plutôt d’en avoir fait une de trop. Appelle-moi Aznavour. J’aurais jamais dû accepter cette mission.

Je suis rentré sans me changer et je suis là comme un corniaud, en salopette devant l’ordi depuis une plombe pour t’écrire. Il va bien falloir que je l’enlève à un moment cette salopette pleine d’encre qui ne sera plus jamais pleine d’encre. D’habitude je la donne le vendredi au service laverie de l’auberge et elle m’est rendue propre le samedi, mais pas aujourd’hui. Je la laverai à Stains. Au moins elle aura fait son dernier lavage en famille. Je la remettrai peut-être des fois pour bricoler ou mes petits-enfants me la prendront pour se déguiser en ouvrier.

C’est vraiment la retraite pour moi, ma caille. Maintenant quand on me demandera ce que je fais dans la vie, je répondrai « retraité ». Tu te rends compte ? Non, on peut pas s’en rendre compte avant que ce soit son tour. Quand tu bosses encore, t’as un truc à répondre, un truc qui dit « je sais faire ça », même si c’est un boulot de merde, mais un truc qui dit à quoi tu sers, je sais pas comment expliquer. Moi j’étais fier d’être un roto, maintenant je suis dans le grand sac « retraités », avec des dizaines et des centaines de milliers d’autres que jamais t’aurais voulu être mélangé avec eux avant. Les petits cons pleins de mots anglais de la mission, quand ils bosseront plus ils diront « retraité » eux aussi. Et puis les gendarmes. Et puis le patron aussi, tiens. Tous ensemble, tous ensemble, wé, wé, retraitéééééés, MON CUL !

J’arrête là car je suis pas d’humeur mon loulou, je voulais te faire le feu d’artifice du dernier jour mais je vais dire que des trucs tristes et c’est pas être un bon camarade, ça. On devrait jamais l’ouvrir quand on est mal vissé. Et puis c’est pas moi ça, c’est pas mon genre de faire la pleureuse, jamais Lino se laisserait aller comme ça.

Salue bien les camarades, dis-leur que je pense à eux. Des bises à toi et à ta femme,

Ton Jojoff

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