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Diane

Chambre 2

Vent en poupe

J’ai vraiment de la chance. Après avoir envoyé mon e-bombe, il était évident que Corinne cherche à m’appeler. Je redoutais qu’elle n’essaye de savoir où j’étais, de connaître les détails de mon rendez-vous avec Pierre, ou pire qu’elle me fasse des reproches. Mais c’était la sous-estimer. Elle a surtout cherché à savoir si j’allais bien, et à me confirmer sa loyauté et son soutien indéfectible. Elle m’a aussi informée qu’elle avait réussi à intercepter une lettre du Trésor Public. Je suis donc allée à Pollox prévenir le Café des Sapins de ma démarche. Je n’avais pas envie de donner l’adresse de l’Auberge. Je fais pourtant confiance à mon amie. Je crois que j’ai envie de garder cet écrin pour moi, de ne pas subir d’intrusion du monde parallèle que j’ai laissé avec ses violences sociales.

J’ai retrouvé Antoinette mercredi. J’étais contente de la croiser et lui ai proposée de faire un tour de lac ensemble. Elle a accepté d’emblée et m’a confiée par la suite, qu’elle s’était surprise elle-même à accepter, ça n’est pas dans ses habitudes de citadine ! Je lui ai raconté les derniers rebondissements, jusqu’à l’épisode de la jeune fille en robe rouge. Je lui ai aussi présenté mon plan d’action. Elle était tellement contente pour moi qu’elle m’a même proposé de nous héberger les filles et moi, si besoin était, dans son appartement parisien. J’espère que je n’aurai pas à y recourir. C’est incroyable comme la confiance s’est si vite et si facilement installée. On se connaît peu, on a dîné ensemble une fois et je me suis confiée à elle dès le premier soir plus qu’à mes amis. Cette fois, c’est elle qui s’est confiée. Elle m’a raconté une vieille histoire, mais qui a des répercussions aujourd’hui. Une vieille, belle et intense histoire. J’avais perçu qu’Antoinette avait du caractère, mais je ne l’aurais jamais imaginée rebelle et militante. Et ingénue que je suis, je n’aurais pas pensé qu’elle avait été attirée par les femmes. Je ne sais pas détecter ces sensibilités, à moins qu’elles ne soient flagrantes voire caricaturales. Et à l’inverse je les soupçonne alors qu’il n’y a pas lieu ! Je me souviens qu’il m’avait fallu trouver le courage, à l’aide d’un peu d’alcool, pour oser demander à mon meilleur ami Xavier s’il était homosexuel. Il avait ri aux éclats et ne s’était pas offusqué, comme je l’avais craint. Je m’étais justifiée en disant que je ne lui avais jamais connu de compagne, il ne m’en présentait jamais. Il m’avait regardée de son regard gris, mi-amusé, mi-mystérieux, mi-triste (ça fait beaucoup de mi…) que c’était parce qu’il attendait sa princesse charmante.

En guise de princesse charmante, Antoinette était tombée sur une tornade de féminisme, de modernisme et d’hédonisme. Et Antoinette lui avait préféré la tranquillité d’une vie bourgeoise. La vie que j’avais embrassée moi aussi. Bon je n’avais pas eu un choix de fou non plus, et aventurière comme je suis, j’aurais fui en courant devant cette Pascale. Antoinette m’a assurée que je serais moi aussi tombée sous le charme, même sans être attirée par les femmes. La façon dont elle m’a décrit Pascale y laissait plus qu’entrevoir que son souvenir avait ravivé quelque chose. Mais les contraintes sociales d’alors restent les contraintes sociales d’aujourd’hui, c’est encore difficile pour elle d’envisager de vivre une nouvelle histoire après le décès de son mari. Que diraient ses enfants ? Je me sens ridicule de comparer nos situations, mais moi aussi je redoute le jugement de mon entourage, à commencer par parents (l’image de Maman avec sa pelle à tarte me revient, ça a dû arriver un jour pour que cette image s’imprime à ce point !). Et je crains la réaction de mes filles. Vont-elles m’en vouloir ? Pourtant le divorce est un phénomène de société plus répandu que l’homosexualité féminine (même dans ce domaine, je crois qu’hommes et femmes ne sont pas logés à la même enseigne du désaveu). Antoinette m’a réconfortée en me disant que l’amour de mes proches ne pouvaient pas se tarir à cause de mon choix. J’aimerais qu’elle ait raison. J’aimerais qu’elle fasse aussi confiance à l’amour que lui portent ses enfants. Je lui suis vraiment reconnaissante de la confiance qu’elle m’accorde et de son soutien.

Nous nous sommes quittées charmées de notre balade et de nos discussions.

Hier, après ma balade quotidienne loin des chemins escarpés cette fois (j’ai failli me faire bien mal il y a quelques jours) j’ai enfilé ma robe pourpre, je nage presque dedans maintenant. J’avais rendez-vous avec Jeanne pour dîner. Sans le savoir, j’ai testé ma résistance à la désapprobation : ma décision de divorcer contrevient aux valeurs catholiques de mon amie. Ça, je l’assumais facilement. Pourtant, je me suis sentie désarmée face à ses larmes. Une fois la déception passée, elle m’a dit qu’elle comprenait mon choix et me donnait presque raison. Cela vient confirmer ce que m’assurait Antoinette, quand les gens tiennent à vous, ils ne vous tournent pas le dos pour de mauvais choix. Encore un peu de baume au cœur. Puis elle m’a raconté la rocambolesque scène de sérénade. J’ai d’abord ri, puis en voyant son air fâché, j’ai opté pour une réaction outrée. Maintenant que j’évoque cette scène par écrit, le sourire me revient. J’aurais tellement aimé voir ça !

Justement, plus tard, j’ai croisé le secrétaire du Comte, il ne semblait pas encore en grande forme. Je n’ai pas pu m’empêcher de l’aborder et après m’être inquiétée de sa santé, je lui ai demandé comment il gérait les frasques du Comte. Il m’a répondu ” avec abnégation et créativité. Et un peu de liquide pour offrir des tournées”. J’ai ri du ton badin et la désinvolture avec lesquels il voyait les choses.

- Vous savez, je suis à son service depuis 15 ans, j’aurais pu me faire la malle depuis longtemps si j’avais voulu. Il ne faut pas croire que je suis une victime, cette situation me convient par certains aspects.

- Pardonnez-moi, je ne vous vois pas comme une victime. On perçoit qu’il y a entre vous une relation plus profonde que vous ne le laissez transparaître. C’est juste que je ne peux m’empêcher, quand je vois votre mine déconfite parfois, de vous plaindre.

- Ah, c’est sûr que j’ai mon lot de lassitude et de grosses fatigues. Surtout quand je dois dépatouiller les conséquences désastreuses de ses agissements.

- D’ailleurs, comment vous comptez faire avec Jeanne ? Elle m’a racontée la scène du balcon, on est loin de Roméo et Juliette ! A ces mots, il se passe plusieurs fois la main dans les cheveux.

-Ah, pour ça, je n’ai pas encore trouvé de solution, mais il ne faut pas que j’attende le 13 août non plus.

- Si vous avez besoin, je pourrais jouer la postière et remettre à Jeanne un billet d’excuses avec une invitation à boire un thé à la russe.

-Je n’avais pas imaginé ça… D’habitude, je préfère ne pas mêler d’autres personnes, pour éviter que ça tourne mal. Mais merci pour la proposition, je vous ferai signe si j’ai besoin de votre aide.

-N’hésitez pas !

Oui vraiment, j’ai de la chance d’avoir croisé Jeanne et Antoinette pendant mon séjour. Pour compenser ma conduite pécheresse auprès de Jeanne, je lui ai proposé de l’emmener à la messe. Il faut que glisse un mot sous la porte d’Irène-Aimée pour la convier de nouveau. Une nouvelle séance à la messe et 17 “je vous salue Marie”, et mon âme regagnera des points pour le Paradis !

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