Quel début de semaine mes aïeux ! Je résume vite fait…
Lundi virée ravitaillement vodka — ваше здоровье ! — dont on est rentrés torchés façon minables vu qu’on avait pas trouvé une seule boutanche de pomme-de-terre fermentée et qu’on avait du se rabattre sur du bizarre bien goûtu, tout ça avant de devoir se mettre à la baille, au retour à l’auberge, quand il a fallu récupérer la plate garnie du russkoff qui paradait au milieu du lac en chantant de l’opéra et qui refusait obstinément de rentrer à bon port.
Mardi coup de pêche avé l’assent de Marseille pour pêcher une sardine ou deux ; j’me moque mais Natou, la marseillaise en question n’avait rien à apprendre de moi et elle s’est chargée d’éduquer comme il faut la minote de la p’tite patronne sur la meilleure façon de sortir de la truite ou du brochet — et ça tombe bien j’ai un truc prévu pour bientôt qui la concerne. Quant à mon sandre… Voilà.
Mercredi, virée avec un bout de l’équipe (la p’tite patronne, Gaston et moi) pour aller encourager le Denis qui s’était mis en vrac et avait gagné un séjour trois étoiles à l’hosto, le pôvre ! On sait tous comment c’est l’hosto, surtout du côté du gastro, alors on avait prévu de quoi arrondir la cerise sur le gâteau ! Sauf que pas de bol, on était persona non grata là-bas, « Les visites sont interdites si vous n’êtes pas de la famille ! » qu’on nous avait dit ; va leur expliquer ce qu’on entend par famille, à ces stakhanovistes du réglement. On s’était retrouvés comme deux ronds de flan, à se demander ce qu’on fichait là.
Il faut bien admettre qu’exceptionnellement, Dieu n’est pas avec nous ! Mais il ne sera pas dit que nous avons sorti le matériel pour rien …[1] ; Alors j’avais proposé qu’on ne gâche pas la boustifaille et le liquide qui allait avec, sinon c’est péché, et qu’on aille s’occuper de ça chez moi. J’avais déjà quelques bières au frais et un barbecue qui n’attendait que ça… J’vous raconte pas la suite, j’ai pas trop le temps là, on m’attend, à part qu’on avait juste fait un détour par la librairie pour récupérer une commande de Gaston et ensuite filé at home.
Et ça c’est pour le tout-venant, parce qu’il y a eu aussi des événements un peu plus … Comment dire, personnels…
Léo m’avait attrapé l’autre jour pour me dire que Charlie me cherchait ce à quoi j’avais répondu qu’il n’y avait pas de souci, que j’étais dans les parages toute la journée, facile à trouver, éventuellement dans mon hamac, elle savait où.
Et c’est alors que j’étais confortablement installé dans ce hamac où je piquais un roupillon bien mérité que Charlie m’a débusqué.
— Tu as deux minutes à m’accorder ?
— Bien sûr, lui ai-je répondu en levant un œil de son côté.
— Tu connais Léo, tu me connais un peu, et on a un projet…
— Casses pas la tête, lui ai-je rétorqué aussitôt, tu veux un témoin pour une union un peu plus officielle que l’actuelle ou me trompè-je ?
— …
Elle est restée coite quelques secondes, avec les yeux qui s’arrondissaient façon hibou puis elle a éclaté de rire.
— Fin valab’, comme tu dirais, hein Henri ?
— Fin valab’ !
Parce qu’il était une fois une famille, bizarre comme toutes les familles du monde, avec un panda bourru doté d’une frangine montée en 380V continu.
J’avoue que la mienne était réduite à la simple expression de moi-même seulement, mes géniteurs ayant pris soit la poudre d’escampette soit une plate pour traverser la 三途の川 (Sanzu-no-kawa), alors j’avais choisi de l’adopter, lui comme pseudo-frangin, elle comme si elle était ma fillotte, rapport à la différence d’âge, tu comprends ?
Parce que sans fratrie connue de mon côté, et encore moins de descendants ou d’aïeux en vie — je n’en avais jamais entendu parler, sauf quelques bribes de la part de ma mère, quant elle était en veine d’histoire familiale —, c’était Byzance de les avoir et qu’ils l’aient accepté.
Avec Charlie on a eu de longues discussions, quand elle se questionnait sur elle-même, sa façon de voir et ressentir les sentiments qu’elle pouvait éprouver et des attirances qu’elle refusait alors d’accepter.
Pas facile d’assumer cette différence et le regard d’autrui alors quand elle a commencé, à mots couverts, à suggérer ici et là, ses appétences, j’ai tendu une oreille attentive et on a dénoué, petit à petit, les nœuds qu’elle s’était construits.
Je crois que c’est à ce moment que j’ai compris la valeur des relations forgées hors la biologie.
Quelque temps plus tard elle était revenue, avec Léo, que je ne connaissais pas encore à l’époque.
— Henri, je voudrais te présenter quelqu’un de spécial.
— Spéciale comme spécialement spéciale ? Lui avais-je répondu.
— Son simple « Oui ! » avait suffi.
J’avais embrassé Léo légèrement rougissante, puis Charlie, radieuse, puis les avait prises chacune par la main et on était parti fêter ça…
C’était bien !
Et puis il y a Gaston, le gars Gaston, celui avec lequel je passe mon temps à me fritter comme le grand frangin que j’avais toujours espéré. Il a une histoire particulière, qu’il conviendra qu’il dise, un jour, si l’envie l’en prend et que je me garderai bien de dévoiler ici, car elle n’appartient qu’à lui.
C’est lui qu’il a fallu dénoyauter alors qu’il était trop le nez dans sa farine chimique ; lui aussi qu’il a fallu bousculer pour lui sortir les vers du nez — c’est étrange d’ailleurs, chez lui, ça se passe souvent du côté du pif, allez savoir ce qu’un réducteur de tête en dirait ! — après ses cascades motorisées, parce que l’air de rien il était un livre ouvert et on, je, lisais parfaitement entre ses lignes, de ses mains, de ses rides au gars.
Je crois qu’il a — avait, peut-être ? — un don, furieux, pour détruire son bonheur quand il est trop parfait, comme s’il avait un syndrome de l’imposteur en permanence en train de lui souffler que non, ça n’était pas possible, qu’il n’en était pas digne.
Et malgré tout ça, ou à cause de tout ça, finalement, c’est le gars le plus fiable de la terre, de ma tribu, comme j’aime à les appeler.
C’était étrange, ces jours derniers, quand j’ai découvert cette cliente nommée Fox ; c’était étrange son attirance vers cette couleur renarde ; c’était étrange de le voir tenter de reconstruire quelque chose, d’un peu spécial. D’ailleurs je crois que ça a mis le feu aux poudres avec Charlie…
On en reparlera peut-être un jour, mais p’tain, tu peux pas savoir comment je les aime !
Note
[1] J’adore ce film !
1 Commentaire de Sacrip'Anne -
Il est vraiment bien, ce film :)
C’est original, d’habitude, on se demande où est Charlie… (je suis déjà dehors)
2 Commentaire de AkaïAki -
J’aime toujours autant te lire. J’aime cette délicatesse derrière la nonchalance. “Le cœur gros comme ça l’Henri” aurait dit ma grand-mère.
La famille qu’on se choisit… J’échangerai bien ta tribu contre ma famille, tiens !
Mais il a quel âge au juste, Henri, pour que Gaston soit le “grand frangin” ?
3 Commentaire de Avril -
Vous êtes peut-être non grata, mais tous joliment gratinés. Perso, je préfère.
L’évocation de ta famille de cœur est très émouvante. <3
4 Commentaire de Henri Bonaventure -
Disons que je suis l’aîné, sur le papier, mais que justement, être l’aîné, c’est pas toujours le plus gratifiant, en tout cas dans ma caboche ! Alors je conserve ce rêve de benjamin…
5 Commentaire de Natou -
Et P’tain ! qu’est ce qu’on vous aime aussi toute la tribu !
6 Commentaire de Claire Obscurs -
Tout comme Natou.