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Jeanne Monfreau

Chambre 15

Qui de friand vin est ami, est de soi-même un grand ennemi

Après toutes ces émotions, j’ai essayé de me reposer un petit peu. Je me sentais fatiguée par le tourbillon des rencontres et des lieux, et c’est un peu normal, après tout je sors d’habitude à peine de chez moi et de mon jardin. Je suis retournée 2 journées avec Emilie et Inès : j’ai parfois l’impression de déranger leurs activités normales. Forcément, je ne peux pas suivre partout leurs visites, et donc lorsque je suis là, ils restent à la maison et je me demande si ça ne les ennuie pas un petit peu. Et moi, je me sens mal à l’aise. Heureusement, il y a Inès qui a toujours des idées : on a fait de la pâtisserie, du tricot car elle avait dégoté une vieille pelote poussiéreuse et rêche je ne sais où, et puis je lui ai montré comment ramasser des groseilles et des framboises. On aurait pu faire de la confiture car il y en avait une bonne quantité, mais il n’y a pas de pots vides dans la maison. Dommage, car en farfouillant dans un placard j’ai trouvé une belle bassine à confiture en cuivre, dans un état impeccable. A l’évidence, personne ici ne l’utilisait… Personne n’utilise non plus les outils de jardin que j’ai trouvé dans la remise. Si tu voyais ça : des herbes folles partout, les groseilles sont entourés de pissenlit, et je ne parle pas des arbres qui mériteraient une bonne taille. N’empêche, voir ça, ça m’a fait penser à mon jardin et à mes tomates. Je me demande dans quel état tout cela est. J’espère que Mme Pernin s’en occupe bien comme elle me l’a promis. Oh, que ça m’inquiète ! Je vais rentrer, il y aura du liseron de partout, je vais passer mes matins à genou dans la poussière à racler tout ça, c’est certain! C’est que je fais ça toute seule, moi, tout vieille que je suis. Emilie m’a dit que pour cette maison, un paysagiste venait régulièrement faire l’entretien, mais enfin… Le nigaud qu’elle s’est choisie pourrait tout de même faire un petit peu. Oh, je vais encore dire du mal de lui, ce n’est pas bien.

En parlant de dire du mal… Le vieux fou à coté à remis ça ! Déjà il y a eu sa musique en pleine nuit, et aucune excuse. Ensuite j’ai appris qu’il s’est fait remarqué à nouveau en chantant dans le lac, qu’il a fallu aller le récupérer et que maintenant, son ami est malade par sa faute. A l’inverse, le nouveau monsieur qui s’occupe du service semble très bien, et qui s’appelle Vernon, non seulement il a participé à ce sauvetage, mais dès le lendemain il était à pied d’oeuvre, toujours impeccable et digne, c’est admirable. Mais bref, ce matin, je terminais ma petite prière à côté du lit et subitement, voila que ça se met à brailler sur le balcon : C’était encore lui, qui s’époumonait sur le son d’une guitare. “Ivanna pardonne moi”, et que je suis un vieux fou qui t’aime ou je ne sais pas quoi… Encore une pauvre dame qu’il doit importuner, ou alors c’est juste dans sa tête. Oh, vraiment, quel sans gène ! Le temps de finir mon Je vous salue Marie et me signer, j’ai voulu aller lui dire de baisser d’un ton : j’ouvrai la porte du balcon, que j’ai entendu des choses que je n’ose répéter et je l’ai juste vu s’engouffrer dans sa chambre avec sa guitare Et après ça, plus un bruit. Je pense que cet homme est complètement dément, et il dérange tout le monde ! Je veux bien pardonner, mais tout de même…

Heureusement, il y a des personnes plus agréables : J’ai revu 2 de mes nouvelles amies de la messe : Brigitte et Diane.

Brigitte, je l’ai croisée ce matin au petit déjeuner, elle venait dire au revoir à tout le monde accompagnée de son mari, c’est bien courtois de sa part. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui dire qu’elle devrait être dans une chorale, avec sa jolie voix, on ne peut pas gâcher un talent pareil ! Elle m’a confié que son talent, c’était les bijoux ! Penses-tu, la surprise ! J’en ai rigolé tant c’était évident. Eh bien, elle compte se mettre à en fabriquer, tout comme je le pressentais dans la voiture quand elle parlait de ses pierres et de ses fils d’or à tresser ! C’est un bien joli projet, et dommage finalement que Monthodon soit si loin de Dôle, parce que je voudrais bien voir ses créations, je suis tellement certaine que ça serait surprenant, comme sa jolie et puissance voix dans son petit corps qui ne tient à rien du tout. Elle a eu des ennuis avec sa santé, m’a-t-elle dit, mais je n’ai pas demandé de détails, ça ne me concerne pas. Tiens, à l’heure qu’il est, elle doit être en train de terminer sa valise ou bien déjà être sur la route, elle quitte l’auberge ce matin. C’est un peu frustrant de rencontrer d’aussi curieuses personnes ici, et hop, à peine on se connait, on se quitte. Moi-même, il me reste encore tout juste une semaine avant de faire le chemin du retour.

Diane, nous avons dîné ensemble hier au soir. Je lui ai demandé comment elle allait, car elle semblait changée, pleine de résolution. Hélas, ce n’était pas des bonnes nouvelles. Elle est résolue à divorcer. Je ne la connaissais pas il a de ça 10 jours, mais ça m’a fait un choc. J’ai eu du mal à cacher mes larmes. Je n’ai plus qu’à prier pour que le bon dieu la pardonne, et surtout qu’il lui trouve un nouveau chemin, et que sa famille s’équilibre à nouveau sans son homme, et avec ses enfants. Elle va forcément les garder, elle est la mère et puis son mari s’en va en Afrique, je ne sais plus où. C’est cette décision inconsidérée qui a tout précipité, et c’est vrai que les temps ont changés : mon époque où les hommes décidaient et où nous suivions sans rien dire pour assurer le ménage, et bien, cette époque-là est terminée. Je lui ai dit que je comprenais son choix, dans un sens. Partir au bout du monde, sans famille, sans amis, c’est beaucoup demander tout de même. Voilà bien encore un homme qui pense à lui, à ses ambitions, et ne voit pas qu’il faut aussi prendre soin de sa petite femme. Le même genre que ce Russe mal éduqué que j’ai comme voisin de chambre, voila! J’en ai touché un mot à Diane d’ailleurs, c’est elle qui m’a raconté pour l’histoire du lac. Et apparemment, il force aussi pas mal sur la boisson, et ça expliquerait bien ses vocalises et vulgarités de ce matin. Comme je l’ai dit à Diane : “Qui de friand vin est ami, est de soi-même un grand ennemi”. Et bien, celui-là son ennemi on sait ce que c’est, et je ne prierai pas pour l’aider! Ah ça non !

Alors que cette pauvre Diane, je voudrais bien l’aider, mais comment ? J’aurai eu 20 ans de moins, c’est sûr que je lui aurai proposé de m’occuper de ses enfants le temps qu’elle trouve un emploi, une maison… Ah, que je suis vieille et hors de cette époque, même si j’essaie de suivre. Je suis encore là pour le tricot et les confitures, et puis pour sécher les larmes et souffler sur les bobos, mais je ne suis peut-être pas la mieux placée pour conseiller la vie des familles modernes, et encore moins aider vraiment, nous habitons si loin l’une de l’autre. Alors quoi faire ? Je peux lui offrir mes oreilles, ma compassion et mes prières et puis rien d’autre. Mais ce sentiment d’impuissance, c’est tout ce que je n’aime pas, et ça me rend mélancolique.

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