Il ne manquait plus que ça, tiens. Voilà qu’avec les âneries de lundi, je suis certainement en train de m’enrhumer. Difficile de dire si je dois cette petite surprise estivale à notre opération sauvetage en mer de l’autre Comte d’opérette ou à notre tête-à-tête nocturne et boisée avec la frangine (qui m’avait piqué mon blouson, évidemment). Pour couronner le tout, avec les résidus du bourre-pif de la mini Gumowski, devoir me moucher me met la narine gauche en chou-fleur. Son coup de piston n’a rien à envier à ceux des plus trapus de la famille. Forcément, ça l’a fait rigoler, Charlie, lorsque je lui ai annoncé que j’allais faire un saut à l’hôpital de Saint-Claude cet après-midi. No comment, greluche.
On avait un peu improvisé cette excursion avec Jeanne et Henri. Jeanne n’ayant pas eu de nouvelles de Denis depuis leur dernier échange téléphonique, on s’était tous dit qu’une petite visite de courtoisie serait la bienvenue. Sauf Lulu, pour motif que Denis s’était comporté en pingre avec lui. Pour l’occasion, j’avais sorti la Skoda. Juste histoire de rouler plus confortable et de moins galérer pour le stationnement dans Saint-Claude qu’avec le tank, puisque j’avais également prévu de passer récupérer une commande chez Solange, ma libraire préférée, et si possible pousser chez l’un des cavistes de la Grande Rue pour refaire le stock de Lagavulin. Pour ce dernier point, j’espérais secrètement éviter toute allusion trop prononcée à notre passage improvisé de lundi, ceci dit. Avec Jeanne à proximité, le sujet pourrait devenir rapidement… délicat
.
Je suis arrivé légèrement à la bourre, mais rien d’excessif. D’autant que j’imaginais très bien Jeanne en profiter pour « régler un ou deux trucs », comme à son habitude. Néanmoins, elle apparut presque aussitôt la voiture immobilisée.
— Coucou, Jeanne. Tu n’amènes pas Adèle ?
— Adèle ? Dans un hôpital un après-midi d’été ? Gaston, tu as perdu la tête ou quoi ?
— Hum. Pas faux.
— Je l’ai confié à la petite Marseillaise. Tu sais, la jeune Natacha ?
— Wow ! Tu es certaine que c’est une bonne idée, ça ?
— À 200 %. Gestion parfaite de mon passereau, même lors de la partie de pêche d’hier, avec Henri.
— Oh. C’est bon à savoir, dis donc.
— Je ne te le fais pas dire.
Puis, elle tenta de revenir une nouvelle fois à la charge au sujet des marques sur mon visage, malgré ses tentatives infructueuses de la veille et de la matinée.
— Tu ne veux toujours pas m’expliquer comment tu t’es fait ça
, je présume ?
— Nan.
— Tête de bois…
— …
Sur ces entrefaites, l’ami Henri débarqua à son tour. Avec un panier. Avec un panier ?
— Dis donc, le petit Chaperon Rouge, on ne va pas voir Grand-Mère, tu sais…
— Commence pas. Je lui ai prévu des munitions à ce brave garçon. Doit pas être à la fête côté gastro, depuis quelques jours. Faut savoir se montrer humain, non ?
— Tu marques le point. Et tu as quoi dans ce panier, alors ?
— Ça te regarde pas. C’est pas pour toi.
— Bon, les garçons. Faudrait peut-être y aller, non ?
— Casse pas la tête, on est partis, va.
On s’installa, je les briefai rapidement sur les petites courses que j’envisageais de faire en sortant de l’hôpital. Henri me fit des gros yeux à l’évocation de la possible étape caviste. Tout le monde boucla sa ceinture. Contact.
— Et en avant.
— Oui, mais : doucement.
— Quoi ? Doucement ?
— Tu vas tâcher de démarrer doucement.
— …
— Faut que j’t’le répète encore une fois ?
— …
Je démarrai donc doucement. Très doucement. Et mis un gros coup de gaz dès les roues sur le bitume, histoire de valider la bonne réception du message auprès d’Henri.
— Z’êtes allés pêcher hier, alors ?
— Ouais. Avec le Jojoff, Adèle et la minote de Marseille. C’était bien.
— Tu as eu ton sandre ?
— Tu veux vraiment que je te symétrise le tarin, toi !
— Sérieusement ? Vous allez me faire ce numéro tout l’après-midi ?
— …
— …
La suite du trajet se fit calé sur radio pipelettes, la radio des anecdotes de l’auberge
. On voyait bien que ça ne plaisait parfois qu’à moitié à Jeanne. Mais, d’un autre côté, elle n’était pas la dernière à contribuer — en omettant soigneusement les détails qui auraient été les plus croustillants — et paraissait aussi un peu soulagée de nous savoir plus attentifs aux résidents qu’on ne le laissait généralement croire.
La visite à l’hôpital fut… expéditive.
Celle concernant Denis, plus particulièrement. Puisqu’elle n’eut même pas lieu. Nous nous sommes gentiment mais fermement vus refoulés. Surtout fermement. Pour les nouvelles d’ensemble que le personnel daigna nous communiquer, Indiana allait physiquement bien, pas de souci de ce côté-là. Mais il semblait nerveusement très fatigué
et les visites resteraient donc réservées à la famille proche. Nous avons eu beau essayer d’insister, précisant que nous étions ses collègues et Jeanne son employeuse, rien à faire. Jeanne hérita au passage d’un lot de formalités à envisager, puisque l’accident était supposé avoir eu lieu au cours d’un trajet professionnel (?).
Autant dire que nous étions tous les trois assez agacés. Jeanne et moi, peut-être un peu plus même que le contexte ne suffisait à le justifier. Ce qui sembla ne pas échapper à Henri, qui prit sur lui de détendre un peu l’atmosphère.
Levant haut son panier pour bien le faire voir, Monsieur ne trouva rien de mieux que de lâcher malicieusement sa question badine.
— Dites ? Ça vous dérangerait que j’emprunte votre chambre froide ?
1 Commentaire de Sacrip'Anne -
Ce Denis, depuis le début, on ne peut pas dire que le contact humain soit son fort :D
2 Commentaire de Éric Javot -
Coucou Gaston, va falloir que l’on se croise, j’ai aussi ma petite réserve de Lagavulin, du 12 ans âge et du 16 ans aussi ;-)
3 Commentaire de Avril -
Quel plaisir les dialogues des deux Heckle et Jeckle ! <3
4 Commentaire de Gilsoub -
Oh ben dis donc il y a des milliardaires ici :-)